Biodiversité : En Camargue, la chauve-souris, sentinelle des précieuses zones humides

Ph illustration, iStock-Chauve-Souris @Paul Colley

Il s’agit de se pencher à  la fois sur l’état de santé de ces territoires et sur la conservation des chauves-souris vis-à-vis du réchauffement climatique pour mieux ensuite restaurer ces zones humides si importantes pour la biodiversité. C’est tout le sens d’un programme inédit, Rest-Chir’Eau, mené par les chercheurs de la Tour du Valat, à Arles. De quoi servir de modèle pour tous les marais de la planète. Et mieux résister au changement climatique.

La chauve-souris est un couteau suisse de la biodiversité : le seul mammifère volant existant sur terre régule notamment les populations d’insectes nocturnes. On la voit peu mais elle est très active… la nuit ! Chaque petit animal, qui eut longtemps mauvaise réputation, peut engloutir plus d’un millier d’insectes à chacune de ses sorties, hors hibernation, radar perso au vent, y compris pour flinguer le pire tueur en série, le moustique-tigre.

“Les chauves-souris jouent le rôle de bio-indicateurs”

Pauline Rocarpin. Enregistrement passifs des sons de chauves-souris. Ph. Tour du Valat

Les 34 espèces de chauve-souris qui participent aussi à la protection de certains insectes vivants dans son écosystèmes, sont protégées. “Et même si 75 % des spécialistes s’accordent à dire qu’il y a un lien étroit entre les chauves-souris et les zones humides, on connaît très mal ces interactions, y compris vis-à-vis du réchauffement climatique, explique Pauline Rocarpin, cheffe de projet de gestion et restauration des écosystèmes et coordinatrice de Rest-Chir’Eau. Or, “très sensibles à leur environnement, les chauves-souris jouent le rôle de bio-indicateurs. Le programme Rest’Chir’Eau (lire ci-après) va nous servir à avoir une vision globale. Nous allons suivre ces espèces suivant quatre périodes-phares : en période de transit automnal quand elles partent de leur site d’hibernation pour aller vers un site de reproduction ; en période d’envol de juvéniles et le transit hivernal. Sept sites ont été choisis”, confie-t-elle.

Mieux évaluer le fonctionnement des zones humides et donc leur état de santé

Par chance, la chauve-souris a une “exigence écologique forte ; elle fait partie des plus vieux mammifères à l’impressionnante longévité, parfois jusqu’à 35 ans. C’est aussi espèce très résiliente. Très présentes en Camargue, les pipistrèles sont focalisées sur certaines proies, notamment les moustiques qui vont se développer dans certains endroits, notamment là où il y a de l’eau stagnante, avec tel type de végétation, etc. L’idée, c’est donc de servir de ce programme pour préciser le fonctionnement d’une zone humide ; l’activité… Avec leur radar, les chauves-souris vont aussi émettre des ondes, dans leur technique de chasse pour attraper des proies qui volent et vont privilégier les haies ou les boisements pour éviter la prédation”. 

Mieux évaluer le fonctionnement des zones humides et donc leur état de santé. “Souvent, on prend le prisme du fonctionnement hydrologique, de la végétation, des oiseaux ou des insectes. Là, il s’agit d’avoir une vision globale et nuancée sur l’écosystème. A terme, l’idée est de produire un plan de préconisation de restauration sur cet ancien Bras de Fer du Rhône (canal du Japon) et de la trame turquoise”, une zone sensible définie par l’Agence de l’Eau pour protéger les écosystèmes dans l’Hexagone.

En Espagne, les chauves-souris n’hibernent plus

Ph illustration, iStock-Chauve-Souris @Paul Colley

Cela pourra servir ensuite d’exemple pour d’autres sites en France et même dans le monde en extrapolant ce modèle aux marais. Pauline Rocarpin dit encore : “Nous voulons apporter des réponses supplémentaires pour développer un nouveau regard. L’Espagnole Maria Mas, rare chercheuse dans ce domaine, a constaté que les chauves-souris étaient en activité l’hiver dans des zones humides en Espagne, à cause du changement climatique.”

Parce que le seuil d’hibernation n’est pas atteint, elles n’hibernent plus. “Peut-être qu’à terme il n’y aura plus d’hibernation et les chauves-souris auront besoin de manger toute l’année. Dans ce cas-là, le nombre d’insectes et la présence de l’eau semblent être un facteur phare pour la conservation de ces mammifères volants.” Maria Mas a, d’ailleurs, assisté, le 31 janvier 2024, au  premier Comité de pilotage du projet Rest-Chir’Eau. Membre de l’équipe du Musée des sciences naturelles de Granollers, elle a proposé un séminaire exceptionnel de son travail. Ses travaux alertent sur l’urgence à améliorer notre compréhension des relations étroites qui relient chauves-souris et zones humides dans un contexte de changement climatique.

Sur quatre ans avec une aide de l’Agence de l’eau de 267 600 €

Pauline Rocarpin. Rest-Chir’Eau En Camargue, Ph.Marquis-Tour du Valat.

Il existe déjà un très actif plan d’action national d’actions du gouvernement. Et voilà que ce chiroptère servirait également de thermomètre de l’état de santé des zones humides si utiles à la biodiversité, y compris vis-à-vis du réchauffement climatique. Ces animaux ressentent tellement fortement les changements de température qu’ils en sont les “bio-indicateurs” parfaits. C’est pour étudier ces chauves-souris-sentinelles que la Tour du Valat, organisme de recherche basé à Arles (Bouches-du-Rhône), et ses chercheurs lancent ce programme unique en son genre, baptisé Rest-Chir’Eau : il s’agit donc “d’étudier les chauves-souris au gré des saisons pour mieux comprendre la fonctionnalité des milieux humides (1) et leurs enjeux de restauration”, formule-t-on.

Ce projet, étalé sur quatre ans et bénéficiant d’une aide de l’Agence de l’eau de 267 600 € correspondant à 70 % du coût du projet, a été sélectionné dans le cadre de l’appel à projets Eau et Biodiversité 2023. “Les données collectées permettront non seulement à mieux comprendre cette espèce, mais également d’évaluer la fonctionnalité des milieux humides et, ainsi, les enjeux de restauration de la trame turquoise de l’ancien Bras de Fer du Rhône”, rappelle Pauline Rocarpin, cheffe de projet de gestion et restauration des Ecosystèmes et coordinatrice de Rest-Chir’Eau.

Nos propres données alimenteront celles du Museum et celles au niveau européen et nous allons nous aussi mettre en place des actions de sciences participatives”

Pauline Rocarpin

“Il y a dix-sept espèces présentes en Camargue, toutes insectivores – même si la grande Noctule peut manger de petits oiseaux. Il est très difficile de savoir combien il y a d’individus ; cela reste des espèces peu étudiées parce que le coût de leur suivi est très coûteux, demandant beaucoup d’expertise et de matériels.” La France fait quand même partie des pays où l’on a pas mal de données, notamment grâce à un programme, Vigie-Chiro, sur les sciences participatives sur les chiroptères, animée par le Muséeum d’histoire naturelle.

Ce qui permet à des bénévoles, une fois équipés, de pouvoir suivre un protocole et de fournir des données. “Nos propres données alimenteront celles du Museum et celles au niveau européen et nous allons nous aussi mettre en place des actions de sciences participatives.” Avec deux actions principales : une enquête pour savoir si les habitants, près des zones humides, a des chauves-souris chez eux. En 2025, on proposera de faire des suivis de corridors et de sites avec ceux qui voudront s’y inscrire.

Pauline Rocarpin, Ph. Hervé Hote, Tour du Valat

Ce projet est soutenu par de nombreux partenaires du territoire, parmi lesquels l’Agence de l’Eau, le Parc naturel régional de Camargue, le CPIE, l’OFB, la SNPN (Société nationale de protection de la nature), le Conservatoire du littoral, le GCP (Groupe Chiroptères de Provence), la SFEPM (Société française pour l’étude et la protection des mammifères) ou encore le département des Bouches-du-Rhône.

De l’importance des zones humides

Les zones humides, qui sont des territoires de transition entre terre et eau, sont parmi les milieux naturels les plus riches et précieux du monde, fournissant, eau, gîtes et couverts à d’innombrables espèces de plantes et d’animaux. Elles participent aussi à l’autoépuration de l’eau, contribuent aussi à atténuer les crues et au soutien d’étiage. Sans oublier que les zones humides participent de l’économie locale : exploitation de leurs ressources : agricoles, piscicoles, cynégétiques, touristiques, culturels, de loisirs…

Sérieux atouts face au changement climatique

Ph. A.Marquis-TdV Tour du Valat

Selon les experts, elles constituent de sérieux atouts face au changement climatique, participant à l’atténuation des crues ; en réduisant le ruissellement à l’origine des inondations puisque ces mares, roselières, bocages… grâce à leur capacité à se gorger d’eau et donc à la stocker : une vraie solution en cas de sécheresse. Ce n’est pas tout. Les zones humides participent à l’auto-épuration des eaux, essentielle dans une perspective d’augmentation de la concentration des polluants. Elles stockent naturellement du carbone ; pour exemple, les tourbières en stockent deux fois que les forêts. En contexte littoral, les zones humides atténuent la force et la vitesse des vagues et donc l’érosion du trait de côte. Elles sont donc primordiales.

Toutes les zones humides, de la plus ordinaire à la plus remarquable, jouent un rôle dans le cycle de l’eau mais pas toutes de la même façon, ni aux mêmes endroits. Les tourbières et les petites zones humides en tête de bassin versant vont avoir un rôle d’éponge là où les prairies humides et les forêts alluviales vont avoir un rôle d’amortisseurs de crues ; les roselières un rôle de filtre et les lagunes. Et les marais littoraux, un rôle de bouclier contre la submersion marine.

Olivier SCHLAMA

(1) “On entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire, ou dont la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l’année”.
Au niveau international, la convention de Ramsar a adopté une définition plus large que la réglementation française : les zones humides “sont des étendues de marais, de fagnes, de tourbières ou d’eaux naturelles ou artificielles, permanentes ou temporaires, où l’eau est stagnante ou courante, douce, saumâtre ou salée, y compris des étendues d’eau marine dont la profondeur à marée basse n’excède pas six mètres”.