Biodiversité : Cédric Marteau (LPO) : “Pas une semaine sans qu’un rapace ne soit plombé…”

Pygargue adulte. Ph. Frédéric Pelsy, Sologne Nature Environnement

Victimes du phénomène anti-loup et de malveillance, les rapaces sont de plus en plus visés. À la LPO, on s’inquiète de cette tendance en espérant que les juges continuent à frapper au porte-monnaie face à ce préjudice écologique, comme ils l’ont fait il y a quelques jours envers un braconnier.

Quand vous irez vous apaiser en Cévennes, dans les Gorges de la Jonte, par exemple, vous admirerez peut-être de manière davantage concernée ces rapaces altiers tournoyer au-dessus de vos têtes et qui, par leurs vols élégants, participent de cette quiétude. Surtout après avoir appris la lourde condamnation prononcée il y a quelques jours envers le tueur du rapace le plus rare de France, un pygargue à queue blanche, en Isère, l’un des plus grands aigles en Europe : quatre mois de prison avec sursis et plus de 60 000 € d’amende (lire ci-dessous).

Pygargues, aigles de Bonelli, vautours moine, gypaètes

Cadavre pygargue. Ph. Les Aigles du Léman

Ce fait divers de moins en moins rare en met en lumière une inquiétante fréquence de ce genre de faits criminels. Il révèle aussi que les services d’enquête, l’Office français de la biodiversité (OFB) et les procureurs saisis, estiment que ce sont des faits graves. C’est assez notable. Populations d’aigles de Bonelli – que certains disent pour leur défense confondre avec une buse… -, vautours moine, gypaètes barbu, et bien sûr de pygargues en souffrent de plus en plus. Parmi les autres espèces, mais moins concernées, il y a par exemple l’outarde.

Sur les grands rapaces rares particulièrement visés, le pygargue est un cas à part : “Il est impossible de le confondre avec une autre espèce : c’est un oiseau d’une taille prodigieuse. Posé sur un arbre, haut. C’est très impressionnant. Ceux qui les visent ou les tuent savent très bien ce qu’ils font…” , appuie Cédric Marteau, directeur général de la LPO (Ligue de protection des oiseaux).

“On retrouve très régulièrement des oiseaux blessés au plomb ou empoisonnés…”

Pygargue adulte. Ph. Frédéric Pelsy, Sologne Nature Environnement

On ne compte qu’une maigre population d’une vingtaine à une trentaine d’individus au maximum, dont cinq couples. Directeur général de la LPO, Cédric Marteau confirme : “On retrouve très régulièrement des oiseaux blessés au plomb ou empoisonnés. On le sait parce qu’ils nous arrivent dans les centres de soins ou tout simplement parce que ce sont nos collègues naturalistes qui le constatent sur le terrain. Ils découvrent des oiseaux morts et les emmènent chez le véto. C’est la procédure pour les rapaces. Et puis, nous faisons des analyses toxicologiques, des radios et trop souvent on constate que les oiseaux ont été victimes de plomb ou d’empoisonnement. On enregistre d’autant plus cette tendance que nous équipons beaucoup d’oiseaux de balises.”

Autre rapace attaqué par l’homme : le gypaète barbu. “Il y a eu, là aussi, un procès en mai dernier. Nous l’avions relâché en Occitanie dans les Grands Causses ; il s’est fait tuer dans la Drôme, par un tir au plomb. La balise s’était arrêtée…” Une équipe LPO s’est rendue sur place et l’OFB a été alertée. Idem pour un vautour moine, espèce elle aussi extrêmement rare, lui aussi tué au plomb. L’auteur a été interpellé et a été condamnée lors d’un procès en mai. Qui a fait appel.

“Sur dix pygargues dotés de balises, trois ont été tués”

Pygargue adulte. Ph. Frédéric Pelsy, Sologne Nature Environnement

Le travail de miniaturisation de ces balises permet d’équiper un plus grand nombre d’oiseaux : “Cette année, à la LPO, nous avons posé quelque 300 balises sur différentes espèces qui nous donnent des renseignements très précieux sur leurs zones d’alimentation d’hivernage mais aussi sur les causes de mortalité : on enregistre aussi les mouvements de l’oiseau”, décrypte Cédric Marteau. Et quand il est blessé ou qu’il meurt, la balise permet de le retrouver. Et de connaître plus facilement les causes de leurs décès. “Ainsi dix pygargues en avaient été équipés et nous en avons déjà perdu trois, un a été tiré (celui qui vient de faire l’objet d’un procès un Isère) ; le second a été empoisonné dans les Ardennes (les deux auteurs ont été interpellés dont le procès aura lieu le 30 août) et le dernier qui est mort en Allemagne de manière suspecte ; on n’a pas réussi à retrouver les coupables.” 

Phénomène anti-loup et malveillance

Milan royal. Ph. Patrick Harle LPO France

Fruit de l’imbécillité ou d’une volonté malveillante… ? “Deux phénomènes se conjuguent. Il y a un phénomène façon anti-loup. Les gens sont en colère de la présence des loups et se mettent à vouloir les empoisonner davantage. Tous les poisons utilisés sont des anticoagulants pourtant strictement interdits à la détention et encore plus à l’usage. Ils sont placés dans des morceaux de gibier et de chevreuil, brebis, etc. Sauf que les oiseaux arrivent en premier sur les appâts et sont les premières victimes de ces empoisonnements”. Un dommage “collatéral“.

“En revanche, les tirs, c’est vraiment de la malveillance. Dans une région où des naturalistes, LPO ou FNE ou autre, prône la bonne dynamique des loups, par vengeance eh bien, on se fait tirer dans ces zones-là des oiseaux… Ce sont des actes très cons ; il n’y a pas d’autres mots.” Comment estime-t-on le phénomène ? “Il n’y a pas une semaine sans qu’un rapace ne soit plombé. C’est beaucoup, malheureusement. On en détecte peut-être qu’un sur quarante…”

“Les juges ont décidé de toucher au porte-monnaie”

Vautour moine. Ph. Clément Ganier LPO France

Cédric Marteau résume : “Ce que l’on souhaite de ce genre de condamnation, c’est qu’elles soient exemplaires. Parce que les rappels à la loi ne fonctionnent pas : l’hémorragie ne s’arrête pas. Que l’on reconnaisse le préjudice écologique qui permette aux associations au mieux de corriger ces actes de malveillance – on va relâcher un pygargue à nouveau, c’est ça qui compte -. Que l’auteur comprenne que c’est un acte grave. Dans le dernier cas du braconnier en Isère, le juge a retenu la criminalité. C’est un crime parce que c’est la plus haute infraction au Code de l’Environnement. Les juges ont décidé de toucher au porte-monnaie. Et j’espère que l’on va avoir des résultats…”

Olivier SCHLAMA

Morzine avait été relâchée parmi 85 autres pygargues dans les Alpes…

Le 27 février dernier, une jeune pygargue à queue blanche réintroduite dans le cadre d’un programme de sauvegarde de l’espèce avait été retrouvée, tuée par balle, en Isère. Un braconnier avait été rapidement identifié comme responsable du tir suite à une enquête de l’Office français de la biodiversité (OFB). “La LPO et Les Aigles du Léman avaient porté plainte et attendaient des sanctions à la hauteur des enjeux de conservation de ce rapace rarissime”, rappelle la LPO.

61 301 € de dommages et intérêts à verser aux associations de protection de la nature

Cadavre pygargue. Ph. Les Aigles du Léman

Dans un jugement rendu ce 17 juillet suite à une audience tenue le 13 mai 2024, le tribunal correctionnel de Grenoble a condamné l’accusé à quatre mois de prison avec sursis et 61 301 € de dommages et intérêts à verser aux associations de protection de la nature qui s’étaient constituées partie civile.

Son permis de chasse lui a été retiré et il fait l’objet d’une interdiction de détenir et porter une arme pendant trois ans. Son demi-frère, présent au moment des faits, a été relaxé de “complicité de destruction d’un espèce protégée” mais s’est vu infliger deux amendes pour avoir déplacé le corps de l’animal et pour “conservation d’une espèce protégée”. Dans sa décision, le tribunal a noté que ces infractions sont les plus hautes prévues par le Code de l’Environnement et relèvent de la criminalité grave dans ce domaine.

Morzine était née au parc Les Aigles du Léman

La jeune pygargue femelle s’appelait Morzine. Née au parc animalier Les Aigles du Léman, elle avait été relâchée le 4 septembre 2023 dans le cadre d’un programme de réintroduction de 85 pygargues dans les Alpes d’ici 2030. Sur 14 individus ainsi mis en liberté depuis 2022, trois sont déjà morts abattus. En avril 2023, Sciez, un jeune mâle, a en effet été tué en Allemagne dans des circonstances sordides. Un autre a été abattu dans le Gers en octobre 2023, l’enquête de l’OFB est toujours en cours. Le 30 août prochain, deux personnes seront jugées par le tribunal de Troyes pour la mort d’un quatrième pygargue découvert en mai 2024 dans les Ardennes, empoisonné au Carbofuran, un insecticide interdit en France depuis 2008.

“Interdiction définitive de porter une arme”

Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO. Photo : Michel Pourny.

“Le pygargue à queue blanche est le rapace nicheur le plus rare de France métropolitaine. L’espèce avait officiellement disparu de notre pays en 1959 avant de s’y reproduire de nouveau à partir de 2015. Elle bénéficie d’un Plan national d’action animé par la LPO, dont fait partie le programme de réintroduction.” Pour Allain Bougrain Dubourg, président de la LPO : “La justice semble prendre enfin la mesure de l’importance du préjudice écologique causé par de tels actes de cruauté gratuite, que seules de lourdes sanctions dissuasives peuvent permettre d’enrayer. La suspension du permis de chasser pendant trois ans reste insuffisante. La mort d’une espèce protégée aussi rare que le pygargue devrait justifier une interdiction définitive de porter une arme.”

Pour Jacques-Olivier Travers, responsable du suivi de la réintroduction des pygargues et fondateur du parc des Aigles du Léman : “On se bat depuis 30 ans pour sauver le pygargue de l’extinction. J’ai relâché dix individus ces derniers mois, trois sont morts par balle. La sévérité de ce jugement confirme qu’il est inacceptable de voir tous ces efforts ainsi réduits à néant et met fin au sentiment d’impunité qui prévalait jusqu’alors chez les braconniers.”

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