Toulouse : La découverte d’un climat ancien sur Mars nous lance sur la piste de l’origine de la vie

Le panorama brut par Curiosity du paysage ou nous avons trouvé le motif polygonal. Credit : © NASA/JPL-Caltech/MSSS

Comment la vie est-elle apparue sur Terre ? Et si mars détenait la réponse ? C’est la conclusion d’une étude qui démontre pour la première fois la présence de conditions favorables à la formation d’êtres vivants sur Mars. La découverte pourrait répondre à l’une des questions les plus existentielles de l’histoire humaine. William Rapin, du CNRS à Toulouse, est l’un des scientifiques français à l’origine de cette découverte majeure (1).

Vue du robot de la Nasa sur Mars. © NASA/JPL-Caltech/MSSS/IRAP/Rapin et al./Nature:

Dans quelles conditions avez-vous découvert qu’il y a eu un climat propice à la vie sur Mars ?

Nous travaillons en étroite collaboration avec les Américains qui opèrent le rover Curiosity à la Nasa. Nous pilotons à distance une caméra chimique franco-américaine – fabriquée à Toulouse – qui a découvert un climat fossile sur Mars. Et que l’on utilise tous les jours. C’est une découverte que nous avons faite en 2021 et nous avons pris le temps de consolider nos interprétations. Elle a fait l’objet, hier, d’une publication dans la célèbre revue Nature.

Vous démontrez qu’il y a eu des êtres vivants sur Mars ? Comment ?

© NASA/JPL-Caltech/MSSS/IRAP/Rapin et al./Nature:

Oui, c’est cela. Sur Terre, il n’est pas possible de faire des recherches sur nos origines. On remonte, certes, le passé grâce aux roches qui ont “voyagé” dans le temps ; les roches les plus anciennes démontrent certes qu’il y avait de l’ADN et de l’ARN et des molécules qui travaillent de concert pour faire des êtres vivants, des micro-organismes. Le mystère est l’origine de la vie.

On émet des hypothèses ; on élabore des théories. Mais, sur Terre, on n’a pas de roches assez anciennes : elles ont toutes disparu à cause de la tectonique des plaques. Un phénomène qui n’existe pas sur Mars. La planète Rouge est assez inactive et depuis très longtemps. Ce qui a permis de conserver des roches extrêmement anciennes, davantage que les plus vieilles sur Terre. On parle, avec le rover, de 3,8 milliards d’année en arrière sur Mars. Au moment de l’apparition de la vie sur Terre.

Qu’avez vous trouvé exactement, une roche… ?

On a exploré un cratère très ancien de 150 kilomètres de large qui s’est formé il y a 3,8 milliards d’années. C’est le cratère de Gale, sans doute formé jadis par une comète, un astéroïde qui arrive alors que Mars a déjà un climat. Il renferme notamment des dépôts de sels formant un motif hexagonal, ce que personne n’avait vu avant {des dépôts qui se forment au gré du temps, quand la zone abrite de l’eau et s’assèche ensuite, Ndlr} . C’est un motif qui fait partie de la création de la roche. Grâce à des analyses chimiques de notre caméra, on comprend que cette terre-là s’est craquelée quand il y a fait chaud et s’est ramollie quand il y a plu en des temps très anciens. Le climat y était cyclique et de longue durée.

Dans ce cratère, on a mis en évidence des couches, des strates, des dépôts qui se sont fossilisés en l’état. On a choisi un endroit où ces couches ont été un peu érodées et donc affleurent.  Sur Mars, il y avait des lacs, des rivières. On a aussi eu de la matière organique, des molécules assez simples qui peuvent avoir été importées par des comètes. Nous avons mis au jour des ingrédients anciens dans ces sédiments montrant qu’il y a eu un climat propice à l’apparition de la vie sur Mars. On savait déjà qu’il y avait eu des rivières et des lacs mais rien sur la modalité du climat. On vient de découvrir cela de façon tangible.

© NASA/JPL-Caltech/MSSS/IRAP/Rapin et al./Nature:

On démontre que tout cet environnement-là était organisé en saisons sèches et humides qui se répètent cycliquement. C’est la première fois qu’une telle découverte a été faite. Et, en laboratoire, les chercheurs qui travaillent sur l’origine de la vie, selon leurs théories, ces dernières décennies, ont découvert que ce type de “cyclage” ; quand vous soumettez une roche à un cycle de climat sec puis humide, en présence de matière organique, cette matière eh bien elle s’auto-organise. Elle se complexifie. Et forme des composés complexes. Spontanément, apparaissent ensuite de l’ARN, des protéines {premières “briques” de la vie, Ndlr}.

Que s’est-il passé ? Pourquoi ce climat a-t-il disparu ?

Cela reste un sujet avec de multiples théories : Mars aurait perdu sa chaleur interne et son champ magnétique et le vent solaire a fini par éroder son atmosphère et à assécher son climat ; l’eau a pu ainsi s’évanouir dans l’espace. Mais on n’a pas encore exploré les grandes stratigraphies de Mars pour en dégager une avec certitude. Cela reste mystérieux et on a du mal à modéliser cette hypothèse. On pense aussi que l’eau s’est fichée dans les sédiments. Car, comme il n’y a pas de tectonique des plaques, le recyclage de l’eau qui, habituellement, passe sous le manteau et qui est réémis pas les volcans n’a pas lieu sur Mars. Une grande partie de l’eau de la planète Rouge aurait pu être stockée dans des grandes séquences, un peu comme si on enfouissait l’eau et qu’on la figeait dans des minéraux.

Quelle est la prochaine étape ?

On a de la chance : le robot continue de fonctionner. On va continuer d’étudier ce cratère grâce à ce robot qui fait des photos, des analyses. C’est la première fois que l’on a accès à grande échelle à l’histoire climatique de Mars. On est en train de la réaliser sa première stratigraphie, d’ici 2030. Et, au-delà, si on se pose les bonnes questions, on s’aperçoit que Mars recèle de connaissances incroyables sur nos origines. On peut aller y chercher l’histoire des processus naturels qui conduisent à la vie. C’est une sorte de temple de mémoire. Plus on explore Mars plus Mars nous surprend.

Olivier SCHLAMA

  • (1) Ont participé à cette étude, des chercheurs du CNRS, de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier et de l’Université Claude Bernard Lyon 1, grâce au rover Curiosity de la NASA, avec la participation du CNES

À lire également sur Dis-Leur !

Portrait : Richard Britto, des étoiles plein les yeux

Sciences / Mars : La Cité de l’espace ouvre une fenêtre sur la Planète Rouge

L’invité : Un message pour la Terre, “Get your ass to Mars !”