Près de Foix, la cavité, datant du Magdalénien et plus grande rivière souterraine navigable d’Europe, est une véritable attraction nationale. L’aventure sans effort.
Klank… klank… klank… Dans ce boyau irrégulier de pur calcaire façonné par les eaux depuis des millénaires, à 60 mètres sous terre, des… barques en aluminium frappent involontairement et irrésistiblement les parois de la grotte de Labouïche, site classé, à chaque virage. Même si le “gondolier” émérite – sans forcola – fait tout ce qu’il peut pour l’éviter, tirant sa barque avec la seule force de ses bras en la tractant grâce à un simple câble ! Et ce, plusieurs fois par jour. Dans cette navigation atypique, les touristes n’ont aucun effort à faire. Et le charme de la balade souterraine opère tout de suite.
Plus longue rivière souterraine navigable d’Europe
Dans ce grand silence d’où l’on n’entend ni voit aucun signe de la civilisation – aucun réseau de téléphonie n’y est accessible – , le bruit résonne tout au long des 3,8 km de cette cavité à la température constante, 13 degrés. Pas de stress : “Ces chocs n’abîment que très peu les lieux mais on y fait très attention”, certifie l’un des dix-huit guides de cette étonnante grotte de Labouïche, dans le massif du Plantaurel, en Ariège. À 6 km de Foix, à cheval sur les communes de Vernajoul et de Baulou, dans le parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises, c’est la plus longue rivière souterraine navigable d’Europe, éclairée ou obscure à dessein mais une mise en valeur lumineuse est en projet (lire ci-dessous).
Présence de calotritons au fond de l’eau
Seulement 1,5 km de cette rivière souterraine qui appartient à la même famille depuis des décennies sont visibles. La profondeur moyenne y est de 1 mètre maximum. “Jadis, l’eau pouvait remplir toutes ces grottes de plusieurs mètres de haut”, détaille Sébastien, le guide. On n’y trouve quasiment aucune faune, mis à part des chauves-souris – et encore vers les deux entrées où la lumière perce – et le fameux, rare et protégé calotriton qui ne se nourrit que de mousse et de rares plancton. Étonnant voyage d’une bonne heure dans les entrailles de la terre…
Gours ; eaux cristallines ; cascade improbable
Formations rocheuses ; gours ; eaux cristallines ; cascade improbable sortie de nulle part… Les visiteurs sont appelés à changer de barque à deux reprises (dont certaines ont été soudées sur place !) pour changer de niveau. Une vraie expérience. On se laisse glisser et rêver. On dirait même aller à la contemplation d’un site rare qui “fait partie des cinq rivières souterraines exploitées”, explique Cédric Salette, actuel gérant et descendant de l’inventeur de la grotte qui porte le nom, Labouïche, qui signifie buis – l’arbre – en patois.
“Du buis, il y en avait énormément sur le site il y a encore quelques années. La pyrale du buis est passée par là vers 2019”, décrypte-t-il. La pyrale, une chenille (qui donne un papillon), qui fait des dégâts importants et qui prolifère notamment à cause du réchauffement climatique, figure sur la liste d’alerte de l’Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes.
Les Magdaléniens connaissaient la grotte
Les concrétions présentes sont des formations géologiques qui remontent au moins à la préhistoire. Les Magdaléniens la connaissaient. Le Magdalénien est la dernière culture archéologique du paléolithique supérieur qui s’étend entre 17 000 et 14 000 ans avant le présent ; une époque où nos ancêtres avaient visité et laissé de nombreuses traces dans les extraordinaires grottes alentours, dont celle, indépassable et magique, de Niaux, dont Dis-Leur vous a parlé ICI.
Ces formations sont issues d’un processus infiniment long et complexe. L’eau de pluie, chargée en dioxyde de carbone, s’infiltre dans les sols de surface et dissout la roche calcaire. Cela donne, au présent, des sculptures naturelles que l’homme aime à personnifier avec humour : il y a les “cheveux de Bob Marley” ; “Le pas de Géant” ; la “Trompe d’éléphant” ; le “Sapin de Noël enneigé” ; le “Gâteau d’anniversaire” ; la “dent de requin”… Et même une magnifique cascade pétrifiée !
L’énigme de l’origine de la rivière Labouiche
Découverte en 1909 après les premières explorations l’année précédente par le docteur Dunac, fuxéen et vraiment mise au jour par celui qui y pénètrera pour la première fois : Édouard-Alfred Martel. Après être tombée dans l’oubli car considérée comme “dangereuse“, la Labouïche est redécouverte en 1935 par un certain Paul Salette, pharmacien à Foix, qui prolonge la découverte de 800 mètres, non sans avoir risqué sa vie au cours d’un naufrage, après que les canots se furent percés. Trois ans plus tard, son exploitation touristique est quand même envisagée. Et lancée.
L’origine de la rivière est une énigme. Une partie seulement du point de départ de la grotte, à plus de 6 kilomètres de là, a été découverte. Pas l’ensemble. Dans les années 1970, une expérience avec un produit fluorescent, la fluorescine, a bien été menée mais Cédric Salette reste circonspect vis-à-vis des résultats, plusieurs sources “supposées” à plus de 10 km en aval, notamment à Unjat. En 2015, une plongée dans l’un des deux siphons présents dans la grotte n’avait déjà pas permis de découvrir la provenance de l’eau. “On reste “coincés” pour aller explorer plus loin avec ce siphon”, confirme Cédric Salette. Un vrai mystère. Qui participe au charme de la visite.
“Très attachés à ce patrimoine, les héritiers n’ont jamais vendu leurs parts”
Arrière petits-fils de Paul Salette, Cédric Salette, ancien ingénieur informatique, a été rattrapé par le “charme” incontestable de la grotte de Labouïche. Il est arrivé en avril 2023 aux manettes de la société privée qui gère la grotte. “J’aime beaucoup le tourisme et le commerce de proximité, confie Cédric Salette. Quand mon père m’a parlé de Labouïche, j’ai vite accroché. Je n’étais pas venu pour la gérer”, mais peu à peu l’idée se concrétise, validée par les 35 membres du conseil d’administration, tous héritiers de Paul Salette qui, “très attachés à ce patrimoine, n’ont jamais vendu leurs parts”.
Durant les différentes explorations de cette grotte, on a retrouvé des vestiges préhistoriques “en grande quantité ; beaucoup d’outils à base de silex et os, précise Cédric Salette, une large quantité en nombre mais pas énormément qui sortent du lot. De plus original : une tablette de gré représentant un lion des cavernes. C’est également intéressant puisque ils avaient pour habitude de représenter des proies.” À ce jour, il n’y aucune fouille.
2e site le plus visité de l’Ariège après le château de Foix
Cédric Salette n’est pas peu fier de la popularité du site. “Avec 62 298 visiteurs en 2023, Labouïche est le deuxième site touristique le plus fréquenté en Ariège, après le Château de Foix. Le mois d’août représente 40 % de cette fréquentation.” Il espère faire mieux pour et plus ce site qui attire en premier lieu une clientèle de proximité, de Toulouse, de l’Ariège et de l’Aude (“Ils en profitent pendant les vacances pour y amener de la famille qui vit dans d’autres régions”) et pour lequel les guides sont capables, outre le tronc commun de connaissances sur l’histoire de la grotte, de personnaliser leur savoir en fonction des questions et de l’intérêt des visiteurs.
Notamment en mettant davantage en valeur la grotte en “refaisant tout le cheminement de spots et de lumières qui la parcourent. sous l’eau mais aussi sur les berges, sur les parties visibles ou à pied. Car, ce qu’ils cherchent avant tout, c’est… l’aventure !” C’est encore plus prégnant quand saisit la canicule ou qu’il pleut à verse.
Olivier SCHLAMA
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