Lombalgies et autres troubles musculo-squelétiques représentent 85 % des maladies professionnelles ! BTP, propreté, Ehpad, logistique, viticulture, ostréiculture, déménageurs, etc., recourent de plus en plus à ces armures. Attention, conseillent professionnels et INRS : il faut s’attacher les conseils d’un organisme de santé au travail et identifier un vrai besoin. Le point avec Laurent Kérangueren de l’INRS, Armelle Marlet de la Carsat Languedoc-Roussillon, Antoine Noël de Japet, Yohan Dartere, ergonome de SIST Narbonne.
Ne rêvez pas de porter, un jour, l’exosquelette d’Avatar ni celui d’Iron Man ! Il ne s’agit pas de ces armures qui nous transformeraient en homme-femme augmenté(e), en surhomme, surfemme. Ingénieure conseil prévention à la Carsat Languedoc-Roussillon, Armelle Marlet, ne s’aide, elle, que d’une calculatrice. Elle rappelle qu’en 2021 “plus d’un arrêt de travail sur deux était lié à de la manutention manuelle, c’est légèrement supérieur au niveau national. Par ailleurs, 85 % des maladies professionnelles sont des troubles musculo-squeletiques (TMS), dont 78,5 % sont des affections périarticulaires, et 4,5 % des affections lombaires charges lourdes, en accord avec ce qui est observé au niveau national.”
Épaule, poignet, hernies discales…
La spécialiste précise : “Cela représente environ la moitié des accidents de travail ; il s’agit essentiellement de lombalgies, de mal de dos. Quant aux maladies professionnelles – c’est le salarié qui doit en faire la déclaration – c’est principalement pour des pathologies de l’épaule (rupture de la coiffe des rotateurs, par exemple) ; du poignet (syndrome du canal carpien) et, enfin, s’agissant des maladies professionnelles, pour beaucoup ce sont des hernies discales”.
Sachant que 42 % des salariés en France – presque un Français sur deux ! – a bénéficié d’un arrêt maladie l’année suivante, en 2022, selon Malakoff Humanis. Cela s’explique principalement par les dégâts psychologiques occasionnés par les confinements de la crise sanitaire pendant laquelle personne ou presque ne s’est arrêté, de fait, puisque nous étions tous confinés. À remarquer : les 16 ans-34 ans – les jeunes actifs – sont sur-représentés avec 46 % d’entre-eux qui ont bénéficié d’un arrêt maladie cette année-là.
Commerce, propreté, aide à la personne, Ehpad…
Les secteurs les plus touchés par les TMS ? Le commerce (où, dans ce secteur, c’est 98 % des maladies professionnelles !), la propreté, l’aide et soin à la personne et le médico-social, notamment au sein des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), le transport et la logistique, la restauration collective et le bâtiment. Avec cette constatation : “Depuis 2015, ces TMS ont chuté de 10 % alors que sur la même période le nombre de salariés de notre région a augmenté de 13 %, particulièrement par la réduction des affections lombaires charges lourdes, puisque le nombre de maladies professionnelles reconnues ont diminué de moitié.”
Les femmes sont plus exposées car sur-représentées dans les secteurs à risques
Armelle Marlet poursuit : “On considère que les femmes sont plus exposées que les hommes aux TMS car elles sont surreprésentées dans des secteurs sinistrogènes (commerce, propreté, aide et soins à la personne, Ehpad), secteurs dans lesquels elles sont aussi exposées à des facteurs de risques psychosociaux.” Tels que : souffrance humaine, agression, faible autonomie et pression temporelle. Les solutions aux TMS, comme à tout risque, peuvent être de nature organisationnelle (réduction pression temporelle, augmentation autonomie, réduction charge travail…), humaine (formation), et techniques.
Carrières hachées, région peu industrielle
La spécialiste explique encore que le Languedoc-Roussillon est moins concerné que d’autres régions par les TMS, sans doute à cause d’une “sous-déclaration ; il se peut que, parce qu’il y a pas mal de gens qui ont eu des carrières hachées, que ce soit plus difficile d’impacter une maladie à une entreprise plutôt qu’une autre. Et puis, autre facteur, nous sommes une région peu industrielle”. Dans les hôpitaux, cela peut aussi signer le début de la fin d’une carrière. “Oui, même si nous Carsat, nous nous occupons que des salariés du régime général où n’interviennent pas les hôpitaux, sauf pour des contractuels qui y travaillent.”
Protection collective, protection individuelle
Comment lutter contre ce mal du siècle ? Y a-t-il des innovations contre le mal de dos ? “Oui, répond Armelle Marlet, dans les Ehpad par exemple. Nous préconisons, nous finançons, nous conseillons parfois nous obligeons la pose de rails de manutention, une aide mécanique, pour sortir une personne âgée d’un lit ou la relever parce qu’elle est tombée par terre, ce qui évite au patient et au soignant de se blesser. Pour mettre en place ce que l’on appelle une protection collective, on finance des équipements des matériels spéciaux pour des chambres, salles de bains, à disposition dans la chambre en permanence pour que la personne n’ait pas l’obligation d’aller chercher quelque chose au bout du couloir. Nous sommes attentifs à ce qui se passe chez les ambulanciers, en ce moment. On a des monte-personnes dans les escaliers. Pour faire descendre plus facilement au lieu de la descendre sur une chaise.”
“Il n’y a aucune part d’exosquelette parmi nos solutions”
Et les exosquelettes qui démultiplient la force ou qui fait reposer l’effort ailleurs ? “Il n’y a aucune part d’exosquelette parmi nos solutions. Ce n’est pas parce que ce serait cher ; c’est plutôt que ce n’est pas forcément la solution. À 95 %, ce ne sont pas des robots, des machines avec moteurs. C’est, par exemple, un support de bras qui s’attache sur les hanches : un électricien, par exemple, qui va placer des ampoules sur le plafond, en hauteur, il aura quelque chose pour supporter son coude quand il devra lever les bras. Ce sont plutôt les services de santé au travail – qui interviennent à la demande d’une entreprise ou d’un médecin – qui sont en lien avec les entreprises qui fabriquent des exosquelettes.”
Nous allons voir 2 % des entreprises de la Région qui peuvent représenter 30 % à 40 % des accidents du travail et des maladies professionnelles”
Et d’ajouter : “À la Carsat, nous choisissons les entreprises dans lesquelles nous intervenons, en raison de leurs mauvaises performances : en général, celles où il y a beaucoup d’accidents du travail ou de maladies professionnelles. Globalement, nous allons voir 2 % des entreprises de la Région qui peuvent représenter 30 % à 40 % des accidents du travail et des maladies professionnelles. Dans des secteurs qui, en Languedoc-Roussillon, affichent des “sinistralités” importantes. L’aide et le soin à la personne, en terme de mal de dos, a dépassé le bâtiment. On a beaucoup de personnes âgées et beaucoup d’Ehpad.”
Armelle Marlet développe : “Nous lançons des actions sur quatre ans. Nous choisissons des entreprises. On en a choisi 225 et on va mener des actions avec elles. S’agissant des exosquelettes, l’effort reste quand même souvent à la charge du salarié. Si on reste sur l’exemple du salarié qui place une ampoule au plafond, s’il a un exosquelette avec un bras soutenu au sol, l’effort et le poids du bras sera porté par le sol. Si c’est un appareil qui reporte le poids sur les hanches, l’effort est juste reporté mais c’est toujours le salarié qui le supporte.”
“Le premier principe de précaution, c’est d’éviter le risque”
Elle précise sa pensée : “Nous préférons une approche différente. Le premier principe de précaution, c’est d’éviter le risque. Est-ce que l’on peut placer cette ampoule plus vite au plafond ? Il existe des raccords rapides, par exemple. Cela permet de gagner en rapidité et on se fait moins mal. Autre exemple, si on me dit qu’un salarié doit porter des charges de 50 kg et que pour ça il a besoin d’un exosquelette, en tant qu’Assurance maladie, je questionne le chef d’entreprise en lui demandant : “Êtes-vous sûr qu’il doive porter cette charge ? “
L’ingénieure conseil déclare également : “Nous n’avons pas beaucoup de demandes d’exosquelettes parce qu’on ne les accepte pas. Au bout d’un moment, ça se sait. J’ai été sollicitée par une entreprise qui en commercialise. Je j’ai orientée vers un médecin et un service de santé au travail. Leur objectif était différent : il s’agissait d’équiper des salariés en restrictions médicales pour du maintien dans l’emploi. Dans ce cas, c’est un dispositif médical. C’est adapté à quelqu’un qui a une pathologie particulière et un objectif particulier. C’est un équipement individuel.”
L’exosquelette, pourquoi pas. Mais louez-le et demandez vraiment à vos salariés ce qu’ils en pensent en leur donnant une totale liberté d’expression…”
“L’Inrs a une position intéressante en disant : “L’exosquelette, pourquoi pas. Mais louez-le et demandez vraiment à vos salariés ce qu’ils en pensent en leur donnant une totale liberté d’expression. Parce que, lorsque vous faites un effort, il n’y a pas que vos muscles qui souffrent. Il y a aussi votre rythme cardiaque qui s’accélère, etc. Et puis, beaucoup de TMS ne sont pas liées à des charges lourdes mais à des gestes répétitifs. Les opérations de ménage qui font des ronds avec leurs coudes, l’exosquelette ne sert à rien dans ce cas-là. Ce que nous conseillons, c’est pourquoi pas dans certains cas, mais c’est une solution parmi tant d’autres.”
Les exosquelettes peuvent amplifier certains dangers
Il est impossible de trouver des chiffres fiables sur le nombre d’exosquelettes réellement utilisés dans les entreprises en France. Sur le terrain, cet outil fait plutôt exception, comme l’écrit l’Institut national de recherche et sécurité au travail (INRS). D’ailleurs, ces “dispositifs d’aide physique” n’ont rien d’une solution miracle. Ils peuvent soulager certaines contraintes physiques ou faire disparaître certaines douleurs, mais les exosquelettes peuvent même amplifier même certains dangers liés au frottement, au stress, aux sollicitations cardio-vasculaires ou aux déséquilibres corporels.
L’INRS (l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention de accidents du travail et des maladies professionnelles) a même publié un fascicule clair, les Dix Idées Reçues sur l’exosquelette (ci-dessous). Antoine Noël connaît bien les positions de l’INRS. Le fondateur de Japet, du nom d’un Titan dans la mythologie grecque, a créé cette société spécialisée dans l’exosquelette en 2016.
“Quand un salarié qui a pris deux arrêts de travail pour lombalgie, je le licencie et je lui donne 10 000 €…”
Sur le marché, où Japet est arrivé en 2020, il fait partie des deux poids lourds réalisant à eux deux 2 000 des 5 000 à 6 000 ventes annuelles, à un prix moyen de 4 000 € l’unité. “Ergo Santé prévoit de vendre 3 500 appareils par an, dont la moitié en France ; nous, c’est environ 400, dit-il, mais on est dix fois plus cher que ce concurrent ; le nôtre vaut 8 000 € pièce.” Il y a donc des boîtes prêtes à mettre 8 000 € sur la table pour un exosquelette.
Pourquoi ? “Parce que le coût total d’un arrêt de travail, en France, c’est cette somme, 8 000 €, pour une entreprise technique, surtout pour des emplois qualifiés”, répond Antoine Noël. Le chef d’entreprise confie encore : “Les entreprises veulent maîtriser le coût économique d’un arrêt de travail. J’ai déjà eu un patron dans la logistique qui m’a dit : “Quand un salarié qui a pris deux arrêts de travail pour lombalgie, je le licencie et je lui donne 10 000 €…”
“1,8 millions de salariés sont sur-exposés à des risques de lombalgies…”
Reste que quelque 6 000 exosquelettes vendus chaque année en France, c’est peu mais le marché a un potentiel énorme qui croit de “60 % tous les ans” : sur le mal de dos, un chiffre en dit long, selon lui : “1,8 millions de salariés sont sur-exposés à des risques de lombalgies…” Diantre. “Initialement, nous avions créé Japet avec un savoir-faire croisé entre textile, technologie médicale et robotique. Le premier exosquelette que nous avions conçu était destiné à la rééducation. Nous l’avions conçu avec des médecins avec l’objectif de soulager des patients d’hôpitaux qui souffraient du dos. C’était un dispositif médical, accompagné par un médecin. Et on a eu ensuite énormément d’entreprises qui sont venues vers nous pour nous demander des solutions pour des salariés qui souffraient et étaient sur le carreau.”
“On a équipé certains salariés qui, avec notre exosquelette, sont passés d’une douleur de 8 sur 10 à 1 ou 2 sur 10”
Il prend l’exemple d’un chef d’équipe de la SNCF qui “nous avait expliqué qu’un soudeur de ses équipes n’arrivait pas à remplacer. Il était en arrêt de travail deux à trois fois par an, mais il ne veut pas changer de poste. Sachant que la durée moyenne d’un arrêt pour lombalgie, c’est deux mois.” Et, toujours selon Antoine Noël, “plus de 100 000 personnes” seraient dans ce cas de figure en France chaque année. “On a équipé certains salariés qui, avec notre exosquelette, sont passés d’une douleur de 8 sur 10 à 1 ou 2 sur 10… Là, on est dans le maintien à l’emploi.”
“On a proposé notre matériel non pour une personne mais comme un outil de protection sur un poste…”
Japet a ensuite développé une version industrielle avec les équipes de la SNCF pour passer du soulagement “des gens cassés en deux” à la prévention. “On a fait comme tout le monde au début : on a équipé dans la logistique, l’industrie, l’aide à la personne… On s’est rendu compte qu’il y avait de très fortes contraintes. Dans le BTP, par exemple, les ouvriers ne mettent pas tous des gants ; alors, aller leur expliquer ce qu’est un exosquelette… Du coup, on a proposé notre matériel non pour une personne mais comme un outil de protection sur un poste et, notamment, des postes très difficiles à automatiser, sur lesquels on a déjà fait le maximum et qui sont généralement très physiques et répétitifs. Dans l’agroalimentaire, par exemple. C’est dans ce genre d’utilisation et de secteur que notre produit à trouvé sa place et ses clients. Notre objectif est de le démocratiser en le rendant plus compact, plus discret, moins encombrant.”
Ce qu’elle attend, la Carsat, ce sont des études cliniques à grande échelle. Ce qui coûte très cher, de l’ordre de plusieurs millions d’euros”
Y a-t-il des services de santé au travail ; des Carsat qui préconisent les exosquelettes ? “Il est parfois remboursé par les Agéfip, les Missions handicap quand il s’agit du maintien d’un salarié en situation de handicap pour lombalgie. Il y a un second cas de figure en matière de prévention où la Carsat l’a déjà remboursé. Mais comme la Carsat a vu sur les premiers exosquelettes qu’ils prenaient une charge, qu’ils la démultiplaient à un autre endroit du corps. Elle freine énormément. Nous avons déjà fait une étude clinique sur 1 000 patients sur la douleur, la posture, etc.”
“Ce qu’elle attend, la Carsat, ce sont des études cliniques à grande échelle. Ce qui coûte très cher, de l’ordre de plusieurs millions d’euros. Il reste quand même plus de deux millions de postes en France, sur lesquels on a déjà essayé d’automatiser, etc.” Il ajoute : “Des standards commencent à se développer à mi-chemin du dispositif médical. Leurs recommandations sont complètement pertinentes par rapport à l’existant. Des exosquelettes, il en existe au moins une trentaine, rien que pour le dos. Mais de faible qualité, pour la plupart. Ces standards vont nous aider” à faire le tri.
Moins de charge et moins de charges de personnels…
Le Japet, “c’est un exosquelette actif avec moteurs, mécanique, batterie et électronique. Comparé aux autres produits, le nôtre va soutenir toutes les positions, tous les mouvements.” Une vraie armure. Le risque n’est-il pas que l’on crée des armures de plus en plus sophistiquées et costaudes pour pouvoir soulever des charges de plus en plus lourdes et se passer de plus en plus de personnels…? Les conditions de travail ne doivent-t-elles pas primer sur la rentabilité à tout crin ?
“On vient, on se déplace, on fait des tests avec les utilisateurs futurs”
Moins de charge et moins de charges de personnels… “Notre but n’est pas d’augmenter l’être humain c’est de le préserver”, dit-il. “Sur le marché, aujourd’hui, aucun exosquelette ne propose d’amplifier la force à ce point. C’est un mythe américain. Ce n’est ni souhaité ni demandé par les entreprises. Peut-être que le marché évoluera un jour… Il existe certes des exosquelettes à plus de 200 000 € l’unité capables de soulever plusieurs centaines de kilos. Soit. Mais globalement, c’est pour compenser la charge.” Et le tester à la location ? “C’est pertinent quand on ne sait pas si ça va marcher. Aujourd’hui on en est à plus de 1 000 “intégrations”. On sait où ça fonctionne et où ça ne fonctionne pas. Dans les métiers du BTP, par exemple, ça ne marche jamais. En revanche, dans d’autres secteurs, on vient, on se déplace, on fait des tests avec les utilisateurs futurs.”
“Je n’ai pas d’a priori sur les exosquelettes mais cela reste une solution parmi d’autres”
Yohan Dartere est ergonome au service de santé au travail de Narbonne (Aude), rebaptisé SIST Narbonne, dont il est aussi membre de la direction. Son approche est pragmatique. “Un ergonome travaille sur l’amélioration des conditions de travail et la performance dans l’entreprise”, rappelle-t-il. Il fait appel à différents méthodes et outils. Avant tout, c’est l’immersion dans l’entreprise pour bien comprendre les situations. “Je ressorts justement d’un entrepôt où il y a du port de charges lourdes (des parois de douche, entre autres) ; des escaliers à monter… C’est une entreprise où il y a eu plusieurs arrêts de travail ; des accidents du travail ; des lombalgies, etc. Je n’ai pas d’a priori sur les exosquelettes ; je suis toujours à l’écoute des innovations mais cela reste une solution parmi d’autres”, assure le professionnel.
“Une fois que j’ai épuisé toutes les autres solutions, je peux me pencher sur les exosquelettes”
Protocole collectif. Protocole individuel. “Une fois que j’ai épuisé toutes les autres solutions, je peux me pencher sur les exosquelettes, notamment pour les situations de maintien dans l’emploi. Il existe beaucoup de marques et beaucoup de modèles, actifs, passifs… Quand l’entreprise choisit in fine un modèle, on effectue une série de tests ; ce fut le cas par exemple d’un ouvrier qui devait repeindre un petit coucou ; pour cela il devait poncer l’ancienne peinture avec les bras levés avec une machine qui génère des vibrations. Dans ce cas précis, l’exosquelette peut être pertinent.” Du côté du SIST Narbonne, on indique même que “des médecins de notre service de santé ont été contactés par un fabricant d’exosquelettes pour participer à une expérimentation sur le sujet et ont accepté la proposition”. Les TMS sont un “enjeu de santé au travail majeur et les entreprises sont à la recherche de solutions de prévention”.
“Ce n’est pas une réponse universelle”
Ergonome lui aussi, mais à l’INRS, organisme qui fait autorité en la matière, Laurent Kérangueren ne dit pas autre chose. Il y a de plus en plus d’exosquelettes sur le marché, de fabricants, de modèles. Et de plus en plus d’entreprises qui réfléchissent à en acheter pour leurs salariés. Est-ce la solution pour ôter de la pénibilité à certaines tâches ? “Ce n’est pas la solution mais une solution parmi d’autres. Ce n’est pas une réponse universelle. Cela doit répondre à un besoin préalablement identifié. Ce qui implique de faire tout un travail au préalable, de s’appuyer sur une démarche structurée, de réflexion. Une analyse fine de l’activité de l’entreprise” par un service de santé au travail, par exemple.
Une norme Afnor existe depuis cet été
Le but étant de “bien caractériser le besoin d’assistance physique. Cette phase va permettre de réaliser un cahier des charges et pouvoir consulter les concepteurs d’exosquelettes en toute connaissance de cause.” Laurent Kérangueren, par ailleurs, expert en assistance conseil et en prévention des troubles musculo-squelettiques qui fait justement du conseil aux entreprises, rappelle qu’il existe depuis cet été une norme Afnor, NFX 35 800, pour ces “armures” de travail.
“S’assurer de l’acceptation par les salariés de la mise en place d’exosquelettes”
“Cela ne certifie rien, dit-il. C’est une norme d’utilisation en ergonomie qui propose une méthode d’intégration pour les entreprises et cela guide les concepteurs vers les grandes dispositions à intégrer.” Les concepteurs proposent des “systèmes tous différents les uns des autres mais qui ont en commun une assistance physique spécifique – utiles par exemple dans une tâche de manutention – et localisée qui vont cibler une zone corporelle donnée comme les lombaires, les membres supérieurs”.
Laurent Kérangueren précise que l’entreprise doit aussi “s’assurer de l’acceptation par les salariés de la mise en place d’exosquelettes”, qui relève quelque part de l’intime puisqu’on le porte sur soi mais aussi parce que “c’est une technologie nouvelle. Il faut veiller à mettre en place un temps de formation pour faciliter son appropriation pour en expliquer l’objectif et les limites. On peut organiser un test sur le terrain. C’est la condition majeure de la réussite de ce projet”.
Il n’est pas possible de conclure sans réserve à une efficacité pour prévenir la survenue de troubles musculo-squelettiques”
Est-ce vraiment efficace, un exosquelette ? “À l’heure actuelle, il n’est pas possible de conclure sans réserve à une efficacité pour prévenir la survenue de troubles musculo-squelettiques. En revanche, ils présentent un réel potentiel pour limiter l’exposition de certains salariés à un certain nombre de contraintes bio-mécaniques locales (bras, dos, poignet…) associées à certaines tâches. L’amplitude des bénéfices et des limites va dépendre de certaines caractéristiques. Liées à l’utilisateur mais aussi et surtout à l’activité : la posture de travail, si l’exosquelette vise à aider au port de charge. Mais cela va aussi dépendre des caractéristiques propres de chaque modèle d’où la nécessité d’évaluer la situation de travail en amont.”
De sept ou huit kilos à moins de deux kilos
Cependant peuvent sourdre certains désagréments voire pire. “Un exosquelette peut avoir un impact sur l’activité musculaire des muscles qui ne sont pas assistés ; il peut y avoir une compensation de ces muscles-là. Il peut y avoir un impact sur l’équilibre postural par rapport au centre de gravité ; sur les coordinations motrices ; éventuellement sur le rythme cardiaque dès lors que l’exosquelette représente un poids important. Mais les concepteurs ont énormément progressé : les premiers modèles en 2015 certains pesait sept à huit kilos, cela revenait à faire son travail avec un sac de randonnée en permanence sur le dos ; aujourd’hui, la plupart pèsent entre trois et cinq kilos. Et les tout derniers modèles, sont en deçà des deux kilos.”
“On est plutôt dans l’homme “assisté”.
Une autre contrainte qui peut exister est liée à “l’adéquation entre le port d’un exosquelette et l’organisation qui exige des tâche complexes et multiples. Là, la balance bénéfice-risques peut rapidement s’inverser.” D’où ce cheminement pour bien définir les besoins et le contexte de travail. “Il faut vraiment partir d’un besoin”, redit-il. “Les entreprises, c’est de moins en moins le cas, achetaient des exosquelettes et se demandaient ensuite : “À quoi vont-ils me servir ?” Et ils finissaient souvent au placard.”
Au final, n’est-ce pas la porte ouverte vers “l’homme augmenté” qui soit capable un jour de faire le travail de plusieurs salariés ? Et, plus on mécanise, moins on a besoin de salariés, raisonnement qui vaut depuis la Révolution industrielle… À ceci près, oppose Laurent Kérangueren, qu’il “faut qu’il y ait une personne à l’intérieur de chaque exosquelette. On est plutôt dans l’homme “assisté”. Pour l’instant.
Olivier SCHLAMA
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