Le Cercle occitan publie un petit bijou sous la houlette de Michèle Stenta, ex-prof d’occitan à l’Université de Montpellier. Avec ses chroniques de qualité, l’Almanac, désormais bilingue, est tourné vers l’avenir avec la ferme intention de s’adresser aux néo-Sétois.
C’est un petit livre dans un format qui s’excuse in petto de prendre de la place mais qui en a une très grande dans nos coeurs. Il ne veut pas de la fin d’un monde ; c’est le concentré d’un univers à lui tout seul. Pas celui, mortifère, du “c’était mieux avant”, non. Mais ouvert sur l’avenir ! Dépêchez-vous d’aller acheter cette bienveillante bible laïque bilingue et accessible à tous !
Même si, évidemment, le passé, notre tradition et notre histoire y ont toujours leur place, c’est un Almanac radicalement ancré dans l’actualité”
Miquela Stenta
C’est sous l’impulsion de Miquela Stenta, ex-professeure d’occitan au lycée Paul-Valéry et à l’université de Montpellier, que l’opération renaissance de ce mythique opus a été menée de main de maître. La philosophie générale est moins à la galéjade – quoi que…- qu’aux belles et sérieuses anecdotes, imprimée par une vraie écriture qui vient du fond du coeur. “Même si, évidemment, le passé, notre tradition et notre histoire y ont toujours leur place, c’est un almanac radicalement ancré dans l’actualité”, souligne Miquela Stenta.
Une langue mélodieuse
En ouvrant le Novèl Almanac Setòri e de las ribas de Taur – qui reprend les rennes d’un occitan moderne 127 ans après l’originel et une existence erratique – remontent les remugles d’un passé pas si lointain – les années 1990-2000 – où transmettre et apprendre la langue d’oc était un sacerdoce. Pour tous. Aller à la fin des cours au collège poser ses fesses sur un banc froid dans les soupentes d’un complexe sportif, la nuit tombée… Il suffisait d’écouter. Écouter cette langue mélodieuse qui en dit tant…
“Le paradoxe de populations venues d’ailleurs qui ont formé un caractère insulaire…!”
On peut se plaindre – à raison – aujourd’hui du peu de cas fait par “le pouvoir central” des moyens nécessaires pour son apprentissage et son hypocrisie pour minorer sans le reconnaître l’importance de cette langue vernaculaire qui est un élément d’assimilation et d’émancipation. Mais l’occitan a suffisamment de force en lui pour faire chanter “l’esprit sétois”. Celui que l’ancien maire, François Liberti né d’un “paradoxe de populations venues d’ailleurs qui ont formé un caractère insulaire…!”
Un bel ouvrage bilingue et même en francitan !
L’Almanac, version 2022, édité par le Cercle occitan sétois, fait oeuvre d’humanité. Tiré à 300 exemplaires – pour l’instant – il comprend 160 pages écrites serrées, des illustrations de grande qualité, souvent d’artistes reconnus (Raphaël Ségura avec deux magnifiques croquis à l’encre de Chine…), avec notamment la magnifique couverture d’Alain Delmas, (15 € dans les bonnes librairies, points presse et que l’on peut feuilleter à la médiathèque. D’abord, c’est un bel ouvrage bien troussé, en français et occitan (et même en francitan !) faisant oeuvre d’ouverture notamment envers les néo-sétois – il y a plus d’estrangers que de Sétois !- qu’il faut intégrer et auxquels il faut transmettre cet esprit ! Et puis, ce n’est pas un secret, il y a une déperdition de l’occitan même dans les familles où on le pratiquait.
Le regard en français d’habitants ou de personnalités
Il y a de vraies trouvailles dans cet almanac de qualité. On a supprimé les pubs (il a été financé de l’institut d’études occitanes et par l’association elle-même), le calendrier ou le palmarès des joutes mais on a gardé la rose des vents ; chroniques, proverbes et les faits remarquables de l’année écoulée ; il s’est ouvert sur les cousins du bassin de Thau, d’où son nouveau nom à rallonge. De nouvelles rubriques qui, on l’espère, vieilliront dans les futures éditions de l’Almanac : “Mon Sète à Moi” en est une : c’est le regard, en français, d’habitants lamda ou de personnalités.
“Sur Sète et les Di Rosa , il faudrait écrire un roman à la Kérouac” !
Claude Sicre
On y trouve certes l’inénarrable Loulou d’Issernia, cofondateur des Vicomtes de la Brageole ; Jean Brunelin et ses recettes de cuisine. Mais aussi par exemple une auxiliaire de vie au CCAS, Myriam Martorel ou encore une interview sur l’occitanité et la sétorité de la rappeuse Ekloz, Eloise Buonomo, ancienne élève de la Calendreta de Sète, dont Dis-Leur avait dressé le portrait. On retrouve, certes, aussi, dans cet ouvrage les incontournables repères de la culture sétoise mais ils sont accompagnés et valorisés par des textes de très belle tenue. On y décèle également un joli conte pour enfants. De belles chroniques, comme celle de Claude Sicre, fondateur du groupe Fabulous Trobadors qui écrit sur “la littérature immodeste” : “Sur Sète et les di Rosa , il faudrait écrire un roman à la Kérouac” ! dit-il.
Jumeler Sète et Bourougnan !
Il y a aussi l’héritage des Briançon. Les Jouteuses de Thau qui veulent féminiser ce sport-tradition et le “transmettre aux petites filles et aux grandes pour une catégorie féminine soit créée”. Il y a aussi une chronique des femmes de l’Ile de Thau par Hélène Morsly et son joli regard ; une exégèse sur la coopérative des Cinq-Ports qui a fêté ses 50 ans en 2019. Que dire de l’humoriste Daniel Villanova qui propose de jumeler Sète avec son village imaginaire de Bourougnan…! Le rire toujours !
“Le beuhel est résilience, dépassement de l’arrachement…”
Et même quand vous frappe le beuhel, l’équivalent du fiu tahitien. “Ce n’est pas qu’un spleen de romantique, pointe l’hautboïste Jean-Michel Lhubac qui a par ailleurs un projet d’envergure dont Dis-Leur vous a parlé, il est résilience, dépassement de l’arrachement et célébration de l’attachement : “Sète, centre du monde”, peut-on lire sur une fresque de la promenade. Si le hautbois joue à être beuhel, son blues est balayé d’un revers de chanson et toute convivialité sétoise se clôt sur le refrain hymnique : “Chagrin, chagrin, faï ta mala !” repris en choeur et toujours de vive voix.”
Les références de Sète il y a 20 ans, c’était Soulages, Combas, les Di Rosa. Aujourd’hui, c’est plutôt “Demain nous appartient ! Ce n’est pas vraiment la même chose. Mais l’un ne chasse pas vraiment l’autre !”
Richard Di Rosa
Il y a aussi l’histoire du vrai gorille qui inspira Brassens ! Un Brassens qui est un vrai “défi à adapter en occitan” avec de savantes explications de Philippe Carcassès. Des nouveautés mais aussi et surtout une vérité. On a perdu quelques galéjades mais on y trouve “les différents parlers, du Limousin, Gascon et même l’arpitan (francoprovençal) parlé en suisse et en Italie…”
Dans le Novel Almanac Setòri, la langue y est un véhicule, elle transporte une certaine “sétoïté”, “c’est une partie d’un tout qui comprend aussi la façon dont on bouge”, souligne Jean-Michel Lhubac. Richard Di Rosa, que l’on ne présente plus, a ce mot trait d’union entre deux époques : “Mon Sète à moi a bien changé en 58 ans (…) Les références de Sète il y a 20 ans, c’était Soulages, Combas, les Di Rosa. Aujourd’hui, c’est plutôt “Demain nous appartient ! Ce n’est pas vraiment la même chose. Mais l’un ne chasse pas vraiment l’autre !”
Un grand petit livre. Siam de Seta, se viram pas !
Olivier SCHLAMA
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