Méditerranée : Remis en cause il y a vingt ans, nos sémaphores sont devenus “indispensables”

Sémaphore de Sète (Hérault). Ph. Préfecture maritime de Méditerranée.

Surveillant 24h sur 24h notre espace maritime, jusqu’à faire face à des menaces prégnantes, y compris de terrorisme, les 19 sémaphores de Méditerranée et de Corse voient leurs missions élargies (protection de l’environnement, découvertes archéologiques, grande plaisance…) Et même si rien ne vaut la pupille d’un jeune marin rompu à l’observation, les sémaphores ont besoin de technologies pour mieux détecter les “signaux faibles”. Le point avec le capitaine de frégate Jacky Loro, responsable de la chaîne sémaphorique de Méditerranée.

À Cap Béar, à quelques vagues de la frontière espagnole et du redouté Cap Creus, n’était la tramontane qui y souffle plus de trois cents jours par an à plus de 40 km/h, le silence nimberait le phare qui domine l’horizon. Tout de marbre à l’intérieur, c’est même un point de départ, avec vue sublimée, d’un sentier couru des amateurs de marche et de beauté.

À presque l’autre bout de l’échiquier de surveillance maritime, le phare de Sète, d’où l’on devinerait la vivifiante agitation de la ville-port. Au total, la préfecture de Méditerranée, basée à Toulon, dispose douze sémaphores (ou vigie à Toulon surveillant aussi la rade militaire), de la frontière italienne à son homologue espagnole et sept en Corse, soit autant d’yeux sur notre espace maritime. Pour le surveiller.

Surveiller les bâtiments qui entrent ou sortent d’une bulle de 50 km à la ronde

Sémaphore de Leucate (Aude). Ph. Préfecture maritime.

La mission au quotidien, c’est observer quels sont, précise le capitaine de frégate Jacky Loro, “les bâtiments qui entrent ou sortent d’une “bulle” de 50 km à la ronde. Il existe des flux licites ou illicites qui peuvent emprunter nos eaux territoriales. Le premier point de vigilance, ce sont nos sémaphores frontaliers. De Béar, bien sûr, surveillant de loin ce qui arrive du Maghreb ou de Gibraltar”.

L’équipage de chaque sémaphore est constitué d’une dizaine de marins se relayant 24 heures sur 24 heures pour veiller sur une “zone de responsabilité” qui leur est attribuée à l’aide de différents senseurs (optique, radar, radio, drone, etc.) La chaîne sémaphorique de Méditerranée assure la surveillance des approches maritimes françaises sur près de 2 000 km de côtes. Mais est-ce suffisant pour répondre à nos besoins ?

Un sémaphore tous les 40 km à 50 km

“Oui, nous avons atteint un format cohérent et robuste. Il y a en un environ tous les 40 km à 50 km, de quoi bien quadriller le rivage. Ce qui permet de bien superposer leurs différentes zones de responsabilités et d’assurer une étanchéité la pus rassurante possible”, explicite le capitaine de frégate Jacky Loro, commandant de la Formation opérationnelle de surveillance et d’information territoriale de Méditerranée (Fosit MED). Autrement dit, le patron des sémaphores. Qui assurent des missions de surveillance de la navigation, de préservation de l’environnement marin ou encore de sauvegarde de la vie humaine en mer.

Carte des sémaphores. Document : Préfecture maritime de Méditerranée.

Le bilan de ces sémaphores est qualifié de “bon“. Mais rien n’apparaît dans les statistiques (lire ci-dessous) sur les prises de drogue. Ou sur le terrorisme. “Il y a peut-être des prises mais nous n’en n’avons pas connaissance. Sur tout ce qui est trafic de drogue, c’est le préfet maritime qui coordonne plusieurs administrations, douane, gendarmerie maritime, les affaires maritimes pour faire face à ce genre de menace. Nous sommes associés aux affaires suivies par d’autres services.”

Guerre en Ukraine et terrorisme

Quant au terrorisme, les sémaphores sont aussi associés à ce genre de mission de protection et la défense du pays. “Cela peut être des menaces étatiques de pays compétiteurs qui chercheraient à s’approcher de nos côtes – ce qu’ils ont le droit de faire tant que son transit est inoffensif et innocentParfois, c’est suffisant pour capter de l’information, y compris sur les possibles fragilités de nos côtes.” Notamment dans un contexte de guerre en Ukraine.

Sémaphore du Cap Ferrat (Alpes-Maritimes) Ph. Préfecture maritime de Méditerranée.

L’autre menace, résiduelle mais permanente, c’est le terrorisme depuis la mer vers la terre. Associées à cette surveillances, les douanes, la gendarmerie, les armées, etc., peuvent avoir du renseignement pour ensuite, s’il y a détection d’un navire suspect. Et faire remonter une alerte.” Le militaire confirme que les Sémaphores ont bien “participé à des opérations sans que je puisse les mentionner les résultats”. D’où l’intérêt des sémaphores. Des outils qui, il y a vingt ans, avaient été remis en cause.

On se rend compte que la mission première de nos sémaphores qui, elle, n’a jamais évolué, c’est bien d’avoir un guetteur dans un sémaphore qui fasse de la veille la plus importante : optique”

“À mon sens, ils sont devenus indispensables tant la menace prégnante pouvant arriver de la mer existe. Et elle est polymorphe. Drogues, terrorisme, états compétiteurs… C’est bien la chaîne sémaphorique qui est le dernier rempart avant l’arrivée de cette menace dans nos eaux territoriales.” Mais les sémaphores n’envoient pas de troupes au sol, ils n’ont pas de moyens d’intervention. Or, avec des outils satellitaires et autres drones, ceux-ci sont-ils encore bien utiles ?

Le capitaine de frégate, Jacky Loro. Ph préfecture maritime de Méditerranée.

“Tout le monde parle d’intelligence artificielle, de moyens satellitaires qui se développent, en effet, de drones… Ces moyens, ces armées et d’autres administrations en possèdent aussi. Pour autant, aujourd’hui, on se rend compte que la mission première de nos sémaphores qui, elle, n’a jamais évolué, c’est bien d’avoir un guetteur dans un sémaphore qui fasse de la veille la plus importante : optique.” Rien ne vaut la pupille d’un jeune militaire rompu à la tâche, donc. “Exactement ! répond-il. Et qui saura appréhender son environnement immédiat et comme il l’appréhende en permanence, il a plus de facilité à détecter les signaux faibles qui feront remonter une alerte.”

“C’est bien l’oeil aiguisé du marin qui a ce “client” en visuel”

Quels sont ces signaux faibles ? Un barquot de six mètres qui passe régulièrement…?  “C’est effectivement, par exemple, vu la météo déplorable ce jour-là, qu’un navire de six mètres brave les éléments pour aller dans une zone où il n’y a rien. On a cette petite alerte en tête que l’IA n’est pas capable de faire remonter. C’est bien l’oeil aiguisé du marin qui a ce “client” (pour dire un bâtiment d’intérêt) en visuel ou qu’il l’a sur son radar et qui s’aperçoit de sa route erratique. Pourquoi ce navire s’est-il arrêté ? Pourquoi que j’ai détecté il y a deux heures et qui naviguait à 20 km/h s’est-il arrêté une heure dans nos eaux avant de reprendre sa route ?” De quoi éventuellement donner l’alerte. Ce navire sera peut-être visiter à quai ; fera l’objet d’une surveillance aérienne… Toutes les alertes n’entrent pas dans les stats publiques. contrairement à d’autres, donnant lieu à intervention : ainsi, en 2023, 273 305 navires civils et plus de 500 bâtiments militaires étrangers ont été suivis par les sémaphores.

Cargo turc avec des migrants s’échoue à Saint-Raphaël

Sémaphore de Pertusato en Corse Ph. Préfecture maritime de Méditerranée.

Quel est l’avenir de ces magnifiques bâtiments ? “En 2001, effectivement, cette chaîne sémaphorique avait été mise sous les feux de la rampe”. Injustement. À cause d’un fait divers : “Un cargo turc s’était échoué à Saint-Raphaël (Var) avec des migrants présents à bord. Cela s’était passé la nuit et cet échouage n’avait pas été détecté.” La conclusion hâtive avait été : on met des gens dans les sémaphores et en plus ils ne servent à rien. Sauf que ce raisonnement était faux : “La plupart des sémaphores étaient “armés” que pour une veille diurne. La nuit, ils n’offraient pas de veille effective. Aujourd’hui, tous nos sémaphores veillent 24 heures sur 24 heures, 365 jours sur 365 jours.”

Police de l’environnement, protection des oeuvres archéologiques…

“Comment voyons-nous le futur ? Cette chaîne sémaphorique qui est cohérente a besoin de le rester en termes d’implantations sur le territoire. À ses missions de défense, les autres missions sont bien celles concourantes de l’État en mer. On parle aujourd’hui de protection ; de police de l’environnement : la protection des Posidonies, par exemple. La protection de zones où ont été découvertes des oeuvres archéologiques submergées pour éviter tout pillage, etc. Les sémaphores sont très impliqués dans cette surveillance très particulière.”  

Développement de la grande plaisance

Il y a aussi le développement de la grande plaisance. “Il s’agit, pour la réguler, d’être en mesure de détecter des éléments” qui peuvent donner lieu à des amendes ou davantage. Pour cela, les sémaphores doivent être “armés de moyens intéressants : drones ; actuellement seulement quatre en disposent, en Corse et sur la façade languedocienne. Il faudrait armé tous les sémaphores de drones avec du personnel formé au pilotage. Ce sont de petits drones, certains peuvent être achetés et customisés par les armées. Le but c’est de gagner en visibilité ; mettre l’oeil du guetteur non plus dans sa jumelle mais sur une caméra de drone.”

Faciliter l’accès aux informations des satellites

Sémaphore alistro (Corse du Sud) Ph. Préfecture maritime de Méditerranée.

Il ajoute : “Il faut faciliter dans les sémaphores l’accès aux informations provenant  de satellites pour mieux les corréler avec ce que le guetteur voit et avec d’autres capteurs. Pour confirmer ou infirmer une info. C’est aussi mettre de l’IA derrière des matériels performants, des caméras électro-optiques ; à infrarouges qui ont progressé dans leurs optiques pour donner des alertes sur des faits ou des comportements particuliers sur des navires. On pense qu’à terme l’IA permettrait de détecter des mouvements particuliers, suspects, sur un bateau et alerteraient l’opérateur. À ce dernier de confirmer. Le futur doit rechercher une complémentarité de moyens.” Sans saturer d’infos l’opérateur, seul de nuit qui est qualifié pour l’observation mais pas pour d’autres missions comme le renseignement… D’où l’importance de la technologie pour l’aide à la compréhension.

Un intérêt… touristique

Ce n’est pas tout. De par leur emplacement, les sémaphores le ministère des armées permet de conserver une préservation de ces zones militaires où sont implantés ces sémaphores. De fait, “ces terrains sont protégées en termes de biodiversité. Cela a aussi permis d’éviter des constructions dans ces zones-là, malgré la pression immobilière. C’est surtout vrai dans la partie est de Toulon. Aujourd’hui, à Ramatuelle, on note l’existence d’une zone naturelle très préservée en accord avec les objectifs du Conservatoire du littoral.” 

Il n’existe pas encore de topo guide pour imaginer les rallier à vélo, à pied. Mais un petit malin ferait bien de s’y intéresser… “Il est vrai que les sémaphores sont souvent des points de départ pour des sentiers de grandes randonnées…”

Olivier SCHLAMA

Intégrés à l’exercice Orion de l’Otan

Les sémaphores ont également participé à deux exercices de grande ampleur en 2023. Le premier (nommé Orion) auquel les armées françaises et l’OTAN ont participé, simulait un engagement de haute intensité pendant plusieurs mois. La chaîne sémaphorique a été pleinement intégrée à cet exercice et s’est notamment illustrée lors de l’opération amphibie conduite dans la région de Sète. Le second exercice interarmées (nommé Typhon) a eu pour objectif d’éprouver la défense du port militaire de Toulon face à des menaces multiples. C’est notamment la vigie Cépet, dont la mission prioritaire est de surveiller la rade et le port militaires de Toulon, qui a été pleinement mobilisée lors de cet exercice, en assurant la coordination des différents moyens de défense mis en œuvre.

En matière d’AEM, le rôle de la chaîne sémaphorique est fondamental, par son maillage territorial et ses senseurs, notamment afin de veiller au respect des différentes réglementations et de soutenir le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage de Méditerranée (CROSS MED) dans le cadre de ses missions de sauvetage en mer et de surveillance de la navigation et des pollutions.

Les contributions des sémaphores en 2023

16 608 mouillages de navires de commerce et grands yachts (+ de 45m) surveillés dans les eaux territoriales françaises ;
3 293 navires de commerce surveillés dans les Bouches de Bonifacio ;
1 602 suspicions d’infractions à la réglementation reportées, dont :
933 concernant le mouillage ;
239 concernant la pêche ;
177 concernant les navires de commerce ;
1 407 soutiens aux opérations d’assistance et de sauvetage en mer ;
125 navires de commerce en avarie suivis ;
9 991 avis urgents aux navigateurs et bulletins météorologiques diffusés à la VHF.