Artiste d’origine sétoise, Sabine Réthoré réalise des cartes dites “à l’ouest” qui rééquilibrent le rapport Nord-Sud, dominant-dominé. A tel point que Jean-Luc Mélenchon s’en sert dans ses conférences !
Ça remonte à loin. C’est toujours présent dans sa géographie personnelle. Petite, Sabine Réthoré, 56 ans, tenait le monde dans ses mains : “Le globe terrestre était mon hochet préféré…” L’oeil était déjà aiguisé : “Il était un peu cassé… Quelque chose à l’intérieur faisait un petit bruit… Alors je le tournais dans tous les sens… Je ne m’en suis séparé que lorsque j’ai appris à lire. Cela m’a permis d’exercer ma manière de voir les choses. Ma soeur qui vend des lunettes aide les gens à bien voir. Moi, j’ai une manière de voir les choses différente. Mes parents étaient opticiens. Dans ma famille, l’oeil a une certaine importance…”
Cette supériorité Nord-Sud n’existe évidemment pas. La cartographie en général est un instrument du pouvoir politique. D’ailleurs, Jean-Luc Mélenchon – pour qui je ne vote pas – a tilté sur ma Méditerranée qu’il a utilisée pour ses conférences…”
Sabine Réthoré
Sabine Réthoré est née à Sète. Au bord de la Méditerranée. Une Méditerranée qui penche, pour elle, artiste, à l’Ouest… Dont les rives maghrébines et languedociennes se rapprochent bien davantage que lorsque on lit une carte IGN traditionnelle et davantage encore quand on scrute le bleu que l’on croit infini de l’horizon… On a l’impression d’une illusion d’optique ! Eh bien non : ses cartes “avec un regard de femme, ce qui change tout”, suivent scrupuleusement les contours connus. À l’aide d’un atlas, comme les copistes d’antan le faisaient avec la bible.
Des cartes qui disent des choses
Réaliser des cartes tournées à 90 degrés à l’ouest opère une évidence avec cette géographie réappropriée : la Méditerranée est un berceau commun de civilisations qui vont et viennent tout autour. Une circumcirculation des peuples et des idées que l’on comprend ainsi intuitivement. “Je réalise ces cartes qui disent des choses”, décrypte Sabine Réthoré qui a déjà vendu la Méditerranée sans Frontières – qu’elle a mis six mois à réaliser – par milliers d’unités ! Et que l’on peut acquérir (2).
“On est tous éduqués en Occident de façon à penser que le Nord est supérieur au Sud ; que l’Europe et la France sont le centre du monde et donc au centre du monde parce que juste il y a le méridien de Greenwich / Paris. Or, cette supériorité Nord-Sud n’existe évidemment pas. La cartographie en général est un instrument du pouvoir politique. D’ailleurs, Jean-Luc Mélenchon – pour qui je ne vote pas – a tilté sur ma Méditerranée qu’il a parfois utilisé pour ses conférences et qu’il a installée dans son bureau de l’Assemblée nationale (1) et même chez lui.”
Le Nord, c’est le capitalisme anglo-saxon ; c’est la tribu de la horde, le Sud, c’est la cité et la citoyenneté individuelle. Je suis donc pleinement d’accord avec cette artiste.”
Jean-Luc Mélenchon
Interrogé, le leader de la France Insoumise acquiesce sans se faire prier : “Je suis tout à fait d’accord avec cette artiste”, répond-il à Dis-Leur à propos de ce rééquilibrage du monde. Qui réécrit le rapport dominant-dominé. L’ancien candidat à la présidentielle dit : “L’angle du dessin surligne le côté mer fermée, cocon civilisationnel de la mer Méditerranée.” Que l’on soit de Sète, de Marseille ou de Barcelone, le regard porte peut être sur l’infini de l’horizon mais c’est une illusion.
“Cet angle, poursuit Mélenchon, montre aussi l’étroitesse de la connexion à l’océan mondial par le détroit de Gibrtaltar (je suis né à Tanger, ville entre mer et océan) et aussi la mer Noire, lieu du déluge il y a 7 500 ans… Le Nord, c’est le capitalisme anglo-saxon ; c’est la tribu de la horde, le Sud, c’est la cité et la citoyenneté individuelle. Je suis donc pleinement d’accord avec cette artiste.” Une carte qui en dit long ! Sur une vidéo, Jean-Luc Mélenchon insiste : “Cette carte peut surprendre ; on peut se dire où c’est ? Eh bien la Méditerranée n’est pas le bain de pied de l’Europe. C’est une entité. Une civilisation commune…”
Sabine Réthoré est diplômé de l’Université d’arts plastiques d’Aix en Provence. Elle a enseigné dans l’Education nationale. Depuis des années, elle élabore et dessine des cartes – sans logiciels – à partir d’un atlas. Et refait le monde à sa manière. Elle a exposé à la biennale de Thessalonique en 2011 ; en Suède, Colombie… En France, bien sûr. Ces cartes dites à l’ouest mettent en valeur une “proximité oubliée” qui tranche avec la sainte trilogie classique Michelin, IGN, Blay-Foldex (celles suspendues dans les classes !).
Une carte du continent américain sans frontières en préparation
“Les cartes sont tellement politiques, ajoute Sabine Réthoré, que leur diffusion en tant que cartes officielles est soumise à autorisation du ministère des Affaires étrangères. C’est du ministère des Affaires étrangères, dit-elle, que vient l’initiative de diffusion d’une carte IGN. La disparition de la carte de Méditerranée est due à l’absence d’ordre d’impression.” Trop de conflits de part le monde : le Sahara occidental ; le conflit israélo-palestinien avec la situation inextricable du Jourdain… Une carte peut rendre nos dirigeants paranoïaques ! “Le fait d’être une artiste me donne toute une liberté que la logique d’édition n’a pas…”
Sabine Réthoré est en train de réaliser la carte du continent américain. Pas moins de deux ans et demi de travail. Là aussi… sans frontières. Il apparaîtra sans doute l’importance par exemple de l’Amazonie, si importante pour la vie sur Terre, que l’on est en train de détruire. “Ce travail de titan”, comme elle dit, servira à “regarder un territoire sans hiérarchies…” Mieux qu’un grand discours inefficace à l’ONU !
Olivier SCHLAMA