Justice : “La fleur de CBD définitivement autorisée, la filière enfin libérée…”

Historique ! Le Conseil d’État vient d’infliger un revers à l’Etat français. La fleur de chanvre, chargée en cannabidiol, molécule non psychotrope du cannabis, beaucoup fumée, va pouvoir être sereinement commercialisée. Attention, la décision est en attente d’un aménagement dérogatoire pour les tests de police…

Le CBD, alternative au cannabis et sa molécule le THC, interdite en France, peut continuer à relâcher ses volutes en toute liberté. Et c’est définitif. “Après sept ans de retard dans la réglementation du CBD en France, c’est une belle décision du Conseil d’État !” Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université Paul-Valéry de Montpellier III, Yann Bisiou ajoute : “Globalement, cette décision prise ce jeudi rend la filière du CBD complètement sereine, Lire ICI”.

Autorisation de culture “définitive”

Le texte de la plus haute juridiction française tranche en disant deux choses : “Il rend définitive l’autorisation de culture des fleurs de CBD, précise Yann Bisiou. En France et partout jusqu’à nouvelle réglementation. En fait, à ce jour, il n’y a plus de règles. Les fleurs sont un produit comme un autre que l’on peut vendre comme on veut. Deuxièmement, le Conseil d’Etat va plus loin que le référé-liberté puisqu’il supprime aussi les exigences entre producteurs et les distributeurs.”

Arrêté de l’État suspendu en urgence en janvier 2022

L’universitaire Yann Bisiou. DR.

Saisi en urgence par les professionnels de ce secteur, le juge des référés avait suspendu l’arrêté de janvier 2022. Quasiment un an après, la mesure la plus emblématique est donc enterrée. Dans cet arrêté, désormais caduc, le  gouvernement avait invoqué “l’ordre public” pour interdire la vente des fleurs de CBD. Pour lui, autoriser ces fleurs (souvent consommées en joints) qui ont le même aspect et la même odeur que l’herbe de cannabis aurait compliqué la tâche des policiers dont la moitié de l’activité serait dévolue aux trafics.

Trop exigeant avec les agriculteurs français

Un an plus tard, Yann Bisiou précise en outre : “Le gouvernement prévoyait que, pour pouvoir cultiver du cannabis, il fallait deux conditions : être un agriculteur “actif” (pour empêcher l’auto-culture) et passer un contrat préalable avec un transformateur. Et là, au nom de la discrimination à rebours, le Conseil d’État reproche à l’Etat français d’avoir été plus exigeant avec les agriculteurs français qu’avec les autres agriculteurs européens ! Concrètement, les juges libéralisent la culture du cannabis par les agriculteurs professionnels.”

Questions sur l’auto-production et les tests de police

En revanche, il existe encore des zones d’ombre dans cette décision définitive du Conseil d’État. “Que se passe-t-il quand il y a auto-production ? On ne sait pas. Pas sûr qu’il y ait des sanctions ou que celles-ci soient celles dévolues aux stupéfiants. Je suis en train de travailler dessus pour comprendre ce que l’on peut tirer de compréhensible de cette décision-là sur ce point-là”, argumente Yann Bisiou.

Qu’en est-il d’un test salivaire demandé, par exemple, lors d’un contrôle de police, si je consomme de l’huile de chanvre sans dépasser la dose maximale de 0,3 % de THT ? C’est la cata : “Si vous êtes positif au THT, vous tombez sous le coup de la loi : c’est un délit avec une mesure immédiate : la suspension du permis de conduire de six mois ! Il y a ainsi des affaires comme ça quasiment toutes les semaines et avec des conséquences professionnelles parfois importantes. Le Conseil d’Etat nous donne des arguments pour revenir sur cette histoire de dépistage au volant…”

Alléger le protocole d’extraction du CBD

Le texte va devoir être amendé ; c’est, en tout cas, ce que souhaitent les professionnels. Ce que confirme Aurélien Delecroix, président du syndicat des professionnels du chanvre. “Oui, il va falloir se pencher sur ces tests. Il y aussi d’autres questions à résoudre comme le cadre réglementaire de l’extraction du CBD qui est actuellement celui de la manipulation des stupéfiants avec une demande obligatoire à l’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) et un protocole particulier très exigeant et très coûteux. Or, on ne manipule que des produits qui ne comportent à des taux très faibles une molécule stupéfiante, le THC. Il faudrait alléger ce protocole comme l’ont fait d’autres pays, à l’image de la république Tchèque.”

“Cette décision consacre quatre ans de lutte…”

Aurélien Delecroix ajoute : “Une page se tourne. Cette décision consacre pour notre part quatre ans de lutte. Depuis 2018, nous affirmons que la fleur de chanvre est légale. Et qu’elle n’est pas un stupéfiant. Le gouvernement disait jusque-là que seuls les extraits étaient légaux mais que la fleur de chanvre devait être considérée comme stupéfiant. Ce qu’on a défendu, c’est que c’est inconcevable. C’est comme si on disait le jus de pomme est légal, mais pas la pomme elle-même. On reste toutefois sur nos gardes ; on n’est pas à l’abri de ce que le gouvernement pourrait nous sortir à nouveau du chapeau…”

Fin de l’incertitude pour toute une filière émergente

Aurélien Delecroix, président du syndicat du chanvre. DR.

Cette décision change beaucoup de choses : “C’est la fin de l’incertitude” pour une filière émergente qui était en expansion avec plus de deux mille boutiques en France, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. On avait dû mettre en stand by beaucoup d’investissements car on ne savait pas si on allait pouvoir continuer à commercialiser nos produits. Désormais, il va y avoir de nouveaux produits en rayon. Les détaullants dont la plupart ont un buziness modele basé sur la fleur à fumer c’est aussi une très bon ne nouvelle ; d’autant plus que les consommateurs étaient perdus dans cet imbroglio juridique. En GMS aussi qui ne voulait pas s’exposer à des possibles retraits-rappels. Espérons aussi que cela soit à terme une bonne nouvelle pour les consommateurs : à 0,3 % de THT, pour les fleurs et les extraits.

La Cour européenne de justice avait déjà tranché en 2020 – puis la Cour de Cassation – sur l’innocuité du CBD ; que les extraits de chanvre ne doivent pas être considérés comme des stupéfiants. Mais comme il s’agissait au départ que de juger une marque de cigarette Kanavape  électronique avec du CBD, le gouvernement français avait dit : “Ah oui, mais Kanavape ne s’applique pas aux fleurs…”

Plus de 1 500 boutiques créées en 2021

Le coup de semonce avait été terrible : le 31 décembre 2021, il avait fait voir rouge à toute une profession émergente – plus de 1 500 boutiques créées en un an – qui réalise plus de la moitié de son chiffre d’affaires avec la fleur de chanvre CBD… Le Conseil d’Etat avait levé, en urgence, le 24 janvier 2022, en attendant cette décision sur le fond, l’interdiction de vente et de consommation de fleurs de CBD. mais on attendait sa décision définitive.

L’usage du CBD, ou cannabidiol, la molécule non psychotrope du cannabis, était restreint à l’alimentation et aux cosmétiques. Une catastrophe pour ce secteur émergent qui a vu pousser en un an entre 1 500 et 2 000 boutiques spécialisées, comme Dis-Leur ! vous l’a expliqué ICI, sans oublier les quelque 3 000 buralistes qui en vendent peu ou prou, et pour lesquels fleur et feuille représentent au moins la moitié de leur chiffre d’affaires… Soit 400 M€…

Depuis le 31 décembre 2021, c‘est une décision du gouvernement français qui avait surpris tout le monde et laisse désoeuvré le tout nouveau secteur du CBD en France auquel Dis-Leur ! avait consacré un dossier complet ICI.

Olivier SCHLAMA

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