Cannabis : Pourquoi des députés proposent une “légalisation encadrée”

“Le tout répressif est un échec.” François-Michel Lambert a brandi il y a quelques jours un joint en pleine Assemblée. Il est l’auteur avec notamment des députés de la majorité d’un rapport très étayé pour la légalisation contrôlée par l’Etat. Une position à rebours de l’exécutif qui, lui, veut encore durcir la répression. Macron avait annoncé un grand débat national ? Des députés lui demandent un référendum pour “éviter d’hystériser le débat pendant la présidentielle”

C’est un sujet brûlant dont les volutes taboues ont été introduites à l’Assemblée nationale par un député trublion. Ex-EELV, un temps proche de la macronie, désormais à la tête de son micro-parti (il copréside Liberté Écologie Fraternité), le député des Bouches-du-Rhône François-Michel Lambert est l’ami des écolos Bové, Cavard (ex-député du Gard) et Langevine (vice-présidente de la région Occitanie). Et ce mégot brûle les doigts de la majorité par tous les bouts à un an de la présidentielle à cause d’un produit toujours interdit : le cannabis.

Contexte de la mort d’un policier à Avignon

Le tout dans un contexte de la mort d’un énième policier, Eric Masson, tué à Avignon, le 5 mai dernier, alors qu’il intervenait sur un point de deal. Une onde de choc nationale. “Je ne parlerai pas de ce fait. Pas de récup’ de mon côté”, glisse François-Michel Lambert. Son but : aller au-delà d’un vieux débat, stérile depuis des années, sur la légalisation du cannabis, dit “récréatif”.

Le député part d’un constat implacable avec des chiffres à donner des vapeurs : la “fumette” est passible théoriquement en France d’un PV de 200 €. Dérisoire au regard des quelque cinq millions de fumeurs réguliers (contre 14 millions pour le tabac) et un million de fumeurs quotidiens de hash… Le cannabis touche toutes les couches de la société et la répression n’y fait rien. L’aveu d’impuissance s’égrène au fil des 300 pages d’un rapport parlementaire très charpenté, dénonçant l’absence de politiques de prévention, la saturation des prisons, la mobilisation excessive des policiers sur ce thème… Bref, le tout répressif est un échec.

Déjà l’auteur d’une proposition de loi en 2019

Cette politique répressive, “c’est par exemple un million d’heures de travail de policiers cramées !”, appuie François-Michel Lambert, secrétaire de cette mission d’information et l’auteur d’une proposition de loi, en 2019, qui le 31 mars a été repoussée par la majorité. Elle visait la légalisation du chanvre, l’autre nom du cannabis “pour assécher les trafics, créer de nouvelles recettes fiscales et même des emplois !”

Et pourtant, c’est cette voie que s’engouffre toujours l’exécutif. Avec des opérations antidrogue de plus en plus nombreuses et médiatisées sur les chaines info avec un bilan de 1 300 opérations de démantèlement de points de deal et plus de 70 000 amendes dressées depuis le 1er septembre 2020. Avec des visées politiques : ne pas perdre en chemin l’électorat de droite qui l’aiderait à conquérir un second mandat…

Grand débat national aux contours flous

La dépénalisation est donc une tâche ardue quand on sait également que le jupitérien président Macron a déclaré que la lutte contre le cannabis est “la mère des batailles”. Un avant-goût des vifs débats en vue du grand débat national sur “la consommation de drogues et ses effets délétères” que le président de la République a annoncé sans en préciser les contours… De quoi alimenter la campagne de la présidentielle comme ce fut le cas, par exemple, au Canada en 2015 où Justin Trudeau avait porté la légalisation du cannabis comme un axe majeur de sa campagne.

“La voie de la répression est un échec…”

C’est lui, François-Michel Lambert, que toutes les caméras de France et de Navarre ont immortalisé à l’Assemblée nationale, joint tendu face aux caméras, comme une menace politique disant que le temps est venu de dépénaliser. La position des abolitionnistes ? “On ne dit pas qu’il faut fumer des joints. Prendre de la drogue ce n’est pas bien. Cela peut être dangereux. Mais la voie de la répression est un échec. Et nous pensons que la légalisation encadrée avec un contrôle de l’Etat est la seule voie pour les Français”, défend le député des Bouches-du-Rhône. Celui qui confie s’installer bientôt en Occitanie, dans le Gers, est le secrétaire de cette commission parlementaire.

Des parlementaires demandent un référendum

“L’idée, c’est que l’Etat se dote d’une agence comme la Seita pour le tabac. C’est une façon de contrôle également la qualité du cannabis, sans trop de THC, le principe actif ; qu’il ne soit ni frelaté ni coupé avec d’autres trucs. D’éviter le contact avec les dealers qui, eux, n’hésiteront pas à proposer d’autres drogues dures, ectasy ou héroïne…” François-Michel Lambert annonce, en outre, bientôt se mobiliser avec des collègues députés pour faire entendre la voix de la légalisation contrôlée, en tentant la voie référendaire.

“Pour l’instant nous sommes dix parlementaires à vouloir demander à Macron de traiter ce sujet par référendum pour qu’il n’interfère pas sur les prochaines présidentielle et législatives et éviter l’hystérisation. Ce n’est plus un sujet de société. J’attends d’autre signatures. De nombreux pays européens ont franchi le pas : Portugal, Espagne, Andorre, l’Italie, les Pays-Bas…” Il cite volontiers la fin du film Les Incorruptibles où Eliot Ness, après des années de répression, et de sang accueille avec soulagement la légalisation de l’alcool aux USA. Toute ressemblance…

Olivier SCHLAMA

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