Invention/Toulouse : Quand les bactéries marines protègent de… la rouille !

Poser des électrodes dans les sédiments et attendre que la nature fasse son travail : les bactéries présentes dans ce milieu marin vont s’organiser sous forme d’un biofilm qui va coloniser la surface de l’électrode et protéger l’ouvrage d’art. CNRS et la start-up Corrohm viennent de breveter ce procédé naturel et infini, révolutionnaire et très prometteur.

On a tous en tête l’effondrement spectaculaire de ce pont autoroutier Morandi, à Gênes, en Italie en 2018, faisant 43 morts, où l’entretien était inexistant. Créée il y a deux ans, Corrohm est une start-up justement spécialisée dans la lutte contre la corrosion. Notamment celle, hyper-dangereuse, des infrastructures dite de génie civil comme les ponts et en béton armé.

“Une solution écologique et naturelle”

La société, Toulousaine, est à l’origine d’un brevet unique au monde déposé avec le CNRS au sujet d’un biofilm de protection généré par les bactéries présentes dans les sédiments marins ! Un procédé révolutionnaire. Très prometteur. David Garcia, l’un des fondateur de ce bureau d’études associé au CNRS et au Laboratoire LMDC (Laboratoire Matériaux et Durabilité des Constructions), explique : “Avec notre procédé, on peut stopper toute avancée de la corrosion.” Benjamin Erable complète : “Cela concerne toutes les structures en béton au contact de milieux liquides, sujettes à la corrosion de leurs armatures métalliques.” Dans les quais, maisons, piles de ponts, “structures primordiales à protéger”. Il ajoute : “C’est une solution écologique et naturelle.” Un processus naturel qui fournit des électrons via la matière organique, déchets des poissons, algues en décomposition…

Plus loin que deux techniques déjà existantes

Jusqu’alors, on avait deux technique à notre disposition. Celle des métaux dits “sacrificiels” : on place du zinc dans avec une connexion électrique et c’est le zinc qui va se consommer à la place de l’acier parce qu’il est moins noble. Il faut payer des plongeurs pour les changer, cela n’est pas neutre pour l’environnement… On peut aussi avoir recours à la protection cathodique par courant imposé, en utilisant un générateur. On envoie un champ électrique sur un bout de métal qui va catalyser et oxyder l’eau “et lui piquer ses électrons”.

Dispositif très simple

Celle de Corrohm et le CNRS va plus loin. “Nous avons apporté une 3e solution dont le procédé est simple : on envoie du courant aux armatures à l’intérieur du béton pour stopper la corrosion qui est, elle-même, est un échange de courants. On est sur la vie, les bactéries dans les sédiments marins qui génèrent ce courant électrique.” Et personne n’y avait pensé avant. “C’est une solution autonome. Renouvelable et à faible coût car on n’a pas à intervenir sur la structure ; on ne va pas faire des trous dans l’ouvrage. Il suffit de deux plongeurs qui descendent et qui mettent en place un grillage métallique au fond de l’eau et ce sont les bactéries qui vont faire le job en venant se former sur le grillage. C’est juste leurs cycles de vie qui vont générer les électrons pour protéger les aciers.”

“Technologie renouvelable et inépuisable !”

Les deux premières technologies, qui sont déjà écolos même si elle coûtent cher, entre 500 € et 600 € le mètre carré, permettent d’allonger sensiblement la durée de vie d’un ouvrage. On évite ainsi de reconstruire trop vite un pont par exemple qui est une “vraie catastrophe environnementale avec toute la problématique de traitement des déchets ; et de la fabrication, notamment quand il y a du ciment, etc. Nous, en plus, nous apportons une technologie renouvelable et inépuisable ! Et qui sera forcément moins chère. Les bactéries continuent leur cycle de vie à l’infini”. Ce sont ces micro-organismes, principalement des bactéries, qui vont recouvrir les électrodes que l’on aura placées au pied d’un pont, par exemple, qui en vivant fournissent suffisamment d’électrons protégeant l’ouvrage d’art.

Et dans ce cas-là, pas besoin de programmer des réparations façon “patch” qui ont de sacrés travers : “Selon une étude européenne, une réparation sur deux casse au bout de seulement cinq ans. C’est pour cela que l’on a un marché qui prend nettement conscience que cette protection est importante pour allonger la durée de vie des ouvrages.”

Des partenariats à nouer avec l’industrie

L’industrie devrait se saisir de ce nouveau procédé. “Nous sommes encore en phase de développement. C’est pour cela qu’une doctorante, Julie Dubuit, fait une thèse sur ce sujet.” Elle a comme encadrant Benjamin Erable, chercheur CNRS au laboratoire de génie chimique de Toulouse (LGC – CNRS, Toulouse INP, Université Toulouse III – Paul Sabatier) et spécialisé dans l’ingénierie des bioprocédés, travaille depuis plusieurs années sur les biofilms électroactifs (1) à l’origine de l’invention de ce procédé. “On a démontré la faisabilité de l’invention. On est en recherche d’un chantier-test. La prochaine étape, c’est d’amener cette invention sur un ouvrage réel pour démontrer son efficacité.” Ensuite, des partenariats industriels pourraient se nouer.

Vieillissement, dégradation, rupture de matériaux métalliques… tous les secteurs industriels sont évidemment concernés par la corrosion des structures en béton armé. “En France, la dégradation des matériaux sous l’effet de l’environnement coûte chaque année plusieurs dizaines de milliards d’euros”, affirme le CNRS. Outre ce coût exorbitant, des problèmes majeurs de fiabilité, de sécurité et de santé sont liés à ces phénomènes de corrosion.

Olivier SCHLAMA

  • Benjamin Erable est médaille de bronze du CNRS2020, il est co-découvreur d’un procédé innovant de Protection Cathodique BioGalvanique (PCBG). C’est ce qui a fait l’objet d’un dépôt de brevet en juillet 2021 dans le cadre d’un projet de recherche conduit en partenariat entre le LGC et le Laboratoire matériaux et durabilité des constructions (LMDC – INSA Toulouse, Université Toulouse III – Paul Sabatier) et l’entreprise ramonvilloise Corrohm.
  • Le dispositif de laboratoire est constitué de six petits aquariums avec, au fond, une couche de sédiments et, par-dessus, de l’eau de mer, le tout collecté dans les marais salants de Gruissan. À l’intérieur, des électrodes en carbone sont plus ou moins immergées dans la couche sédimentaire. Maintenu plusieurs semaines dans ces conditions, le dispositif permet la croissance progressive de biofilms microbiens à la surface de certaines électrodes. Plus les électrodes sont enfoncées dans les sédiments, plus les biofilms microbiens expriment une “électroactivité” qui confèrent aux électrodes un rôle de protection cathodique contre la corrosion.

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