De Toulouse à Sète. D’apparence loufoque, lancée à l’origine par un cabinet en communication, désormais pilotée par une association indépendante, financée par des entreprises, l’idée de mettre en avant des réalisations de collectivités est rafraichissante. C’est un jeune élu du Cher qui l’a eue il y a deux ans braquant les projecteurs sur les bonnes pratiques à partager.
Il existe un autre Tour de France. Pas celui des forçats de la route qui s’éreintent tout du long de l’été devenu étouffant. Ce Tour de France-là, celui de la Fédération des trucs qui marchent (les initiatives positives des élus de terrain qui sont duplicables), a quelque chose de rafraîchissant à l’heure où les élus se congratulent dans un entre-soi étouffant ; où les centres-villes se ressemblent tous ; où la gentrification sert de modèle. Où le tourisme s’instagrammatise. Un Tour de France qui prépare un happening, à Paname, pour glorifier le travail des élus, ceux qui bossent intelligemment.
Une centaine de “trucs qui marchent” en France
Il y a donc à l’origine un jeune homme de 23 ans, Raphaël Ruegger, qui a inventé ce “truc” a priori loufoque ; un demi-coup de génie (il travaille comme consultant dans une boîte de com) et qui a ensuite épousé les contours d’une réussite prise de plus en plus au sérieux. Il a avec sa petite équipe qui se professionnalise, depuis deux ans que cette “Fédé” a été créée, débusqué une centaine de “trucs qui marchent” en France. Il veut en faire profiter tous les élus de l’Hexagone et lui-même par la même occasion : déjà élu dans son village natal du Cher, il espère en devenir un jour le maire. Il saura où piocher pour répondre aux attentes de ses habitants. Et les autres futurs maires, en 2026, aussi.
Logement, citoyenneté, santé, emploi, services

Quelque 30 000 kilomètres avalés, 300 élus visités en deux ans… Avec son nom qui claque, à l’opposé d’un jargon techno, on aurait pu penser à un spam ; à la FFF (foot) ; la FFF (funk) mais c’est plus prosaïque. L’idée est de montrer, dans ce monde aux mille et une facettes négatives qu’il y a de l’espoir et que, si l’on y croit davantage, le positif l’emportera. Une philosophie de la réussite, en somme. C’est ainsi que ce catalogue d’initiatives n’a d’autre valeur que ce qu’elle est. Certaines sont connues, bien sûr et méritent de l’être plus largement. Mais c’est le ciment qu’elles peuvent représenter qui est intéressant.
Logement, citoyenneté, santé, emploi, services… De la maîtrise foncière, en Isère ; du sport sur ordonnance qui marche ; un ciné aux 40 000 entrées (!) dans un village de 2 000 habitants en Dordogne ; des comités entre élus et habitants qui font naître des projets… En Occitanie, également, on a de bonnes recettes municipales à promouvoir.
Murviel a détecté puis aménagé trois espaces publics

C’est ainsi qu’en Occitanie, la “fédé des trucs qui marchent” a déjà pointé une initiative positive à Murviel-lès-Montpellier et son “maillage du village avec différents espaces publics pouvant accueillir des manifestations”. Une agora multiple, dans ce village de 2 000 âmes près de Montpellier. Théo Caviezel, chargé de mission, décrypte : “Le truc qui marche ici, c’est d’avoir, dès l’élection de la nouvelle équipe, détecté puis aménagé trois espaces publics permettant de rassembler habitants et visiteurs. Une petite place pour les petites fêtes, une moyenne place pour les moyennes fêtes, une grande place pour les grandes fêtes. Ça peut paraître anecdotique, mais depuis que les aménagements ont été faits (électricité, point d’eau, éclairage, nivellement, végétalisation), une véritable dynamique s’est (re)créée ici. Si bien qu’ils organisent par exemple quatre brocantes par an !”
Sète a tapé dans l’oeil de la Fédé des trucs qui marchent
Sète Agglopole Méditerranée (14 communes, 130 000 habitants) a beaucoup plu à la fédération qui trucs qui marchent. Ils y ont aussi déniché la mise en circulation d’une carte multiservices unique rendant accessible un maximum de services publics grâce à une seule carte. De quoi simplifier considérablement la vie des usagers. “Mais derrière, un casse-tête quasi insolvable se créé. Chaque structure-financeur veut son logo, sa couleur, son nom sur la carte. Le traitement des données est propre à chaque structure…”

À l’agglo de Sète, grâce à un prestataire de Montélimar, les élus ont lancé il y a neuf mois le SAM’Pass, regroupant en une seule carte les anciennes cartes des transports en commun, des piscines, des déchèteries et des médiathèques. Et “c’est un succès fou ! En neuf mois, ce sont 21 000 personnes qui ont fait la demande et reçu gratuitement leur carte, qui leur permet aussi d’avoir des avantages auprès de marques et infrastructures dans le territoire. Cela marche si bien que plusieurs prix d’innovation ont été décernés à la collectivité. La carte, coûtant 8€ pour la collectivité, permet d’augmenter l’accès aux services publics. Depuis la mise en service de la carte, les flux à la médiathèque ont par exemple augmenté de 20 %.”
Friches à requalifier, recyclage des déchets…
Toujours à Sète, l’attention de l’équipe de cette “fédé” a été retenue par “la requalification des friches en bord de mer, environ 50 hectares au total, une nécessité bien plus qu’une opportunité traitée à la faveur d’un nouveau Schéma de cohérence territoriale (SCoT). Telle friche est ainsi gardée en réserve foncière, une autre va accueillir une nouvelle activité industrielle, une autre 1200 logements…” Pas sûr que cela n’existe pas ailleurs. Mais bon…
Tout comme la gestion des déchets des Halles de Sète (45 000 habitants) qui suit autant que faire se peut un circuit qui peut aller jusqu’au recyclage : coquilles d’huitres, glace pilée, polystyrène, verre, cagettes, palettes, biodéchets, ordures résiduelles. “Les coquilles d’huitres broyées permettent aujourd’hui de réaliser des revêtements perméables sur l’espace public, et demain du verre. Les cagettes sont broyées et proposées en paillage, les biodéchets se transforment en compost et amendent les sols de la commune… Grâce à ce tri, de 25 bacs gris (660 litres) par jour la ville de Sète est passée à 5 ! Et de la réutilisation s’est opérée à grande échelle.”
Voitures électriques partagées dans l’Aude
Parmi la centaine, déjà, de “trucs qui marchent”, la petite équipe a aussi relevé la mise en place dans la commune de Villerouge-Termenès, à 45 kilomètres de Narbonne (Aude), de deux véhicules électriques partagés, dont un utilitaire. “Ce moyen de locomotion propre est mis à disposition des habitants pour des déplacements de courte durée, seul ou en covoiturage. L’utilisateur paie un abonnement annuel de 25 € à la commune, qui lui propose ensuite, moyennant le coût modique de 6 € par jour, un véhicule avec une autonomie de 250 kilomètres. Les habitants réservent des créneaux directement sur internet ou en mairie, et peuvent utiliser le véhicule. Entre 30 et 40 foyers l’utilisent et certains se sont même débarrassés de leur voiture personnelle, tant le service proposé par la commune est économique.”
Mais pourquoi cela ne se fait-il pas naturellement partout ? “Il faut une volonté politique et trouver le bon moyen de mettre son idée en place”
“Mon premier rendez-vous, en 2022, c’était avec Jean-Jacques Bolzan, à Toulouse, adjoint en charge du bien manger qui m’avait parlé de cette stratégie de la métropole avec les contrats passés avec les chambres d’agriculture des départements d’Occitanie pour que dans les cantines plus de 70 % de produits régionaux”, confie Raphaël Ruegger. Mais pourquoi cela ne se fait-il pas naturellement partout ? “Il faut une volonté politique et trouver le bon moyen de mettre son idée en place”, souligne le président de la fédération des trucs qui marchent.
Toulouse : des produits régionaux dans l’assiette

La capitale régionale, Toulouse, elle, conjugue donc “bien vivre des agriculteurs régionaux et bien manger des habitants”. Et inclut “35 % de bio dans les cantines (avec du veau du Gers ou des fromages de Rocamadour, par exemple), la métropole a obtenu 850 000 € de subventions dans le cadre du Plan de relance du gouvernement pour financer 23 projets agricoles et un réseau immense de producteurs qui vivent mieux dans une région comprenant 50 % de communes rurales et 11 000 hectares de terres agricoles”.
Aragnouet, avec à peine 250 habitants, dans les Hautes-Pyrénées, est une station d’hiver qui se met au vert pour anticiper le manque de neige. Est-ce duplicable ? En tout cas le maire l’assure. “Dans les Pyrénées, les stations de ski sont confrontées de tout temps au phénomène des “lits froids” en période estivale, néfastes pour l’économie et le développement du tourisme dans la Région.”
Hautes-Pyrénées : la station de ski s’adapte
“À Aragnouet, le maire, Jean Mouniq, croit fermement en la capacité de sa station à attirer des visiteurs l’été pour pratiquer du VTT sur les pistes par exemple. Ce qui implique son lot d’aménagements pour que le cœur de la station devienne un petit cœur de ville avec des végétaux, des équipements pour enfants et familles… Pour se faire, il a lancé avec l’architecte Jean-Marc Wilmotte un important travail de rénovation des bâtiments. La station attire de plus en plus de visiteurs l’été ce qui permet de créer des emplois à l’année et de prolonger la période de présence des saisonniers tout en renforçant l’intensité d’usages des bâtiments à l’année.”
L’idée collective est née d’un atavisme familial
L’idée collective est née d’un atavisme familial : le père de Raphaël Ruegger a été adjoint à Neuvy-sur-Barangeon (cher) ; sa grand-mère élue à Saint-Barthélémy-le-Meil (Ardèche) et le cousin de son grand-père est maire de Saugy (Cher) depuis plus de 30 ans ! Ancien étudiant de l’Essec, consultant au cabinet de stratégie de communication Evidence spécialisé dans les villes et les territoires, Raphaël Ruegger, lui-même élu à Neuvy-sur-Barangeon, à 30 km de Bourges.
“J’avais envie d’être un artisan des bonnes nouvelles”

Il formule ce que tout le monde aimerait entendre : “J’avais envie d’être un artisan des bonnes nouvelles. On parle toujours des trains qui n’arrivent pas à l’heure, des choses qui ne marchent pas. alors qu’il y a de belles histoires qui méritent d’être racontées. Et que nous voulions flécher vers les élus locaux qui “font” et que nous voulons mettre sur le devant de la scène, y compris au sens propre puisque nous organisons une grande soirée le 18 novembre aux Folies Bergère avec six à huit élus sur scène pour qu’ils présentent leurs idées.”
L’actualité lui a donné l’occasion d’accélérer la cadence : “On n’imaginait pas il y a deux ans le contexte politique actuel avec des débats ultra-idéologiques, beaucoup de tension pour ne pas dire d’agressivité sur les plateaux TV ou sur les réseaux sociaux. On veut donner la parole à ces élus qui ne se pavanent pas sur les plateaux télé, qui ne sont pas sans cesse sur les réseaux sociaux pour défendre une position partisane ou idéologique. Ce sont ceux qui font.”
“Il y a aussi un besoin de dialogue entre élus pour se partager les bonnes pratiques”

Pour cela, Raphaël Ruegger a pris son bâton de pèlerin pour aller voir maires et conseillers municipaux parce que, “à côté de grands plans nationaux d’État, ils proposent des initiatives sont souvent pertinentes, pensées pour leurs habitants. Alors que ces grands plans mettent du temps à impacter positivement la vie quotidienne, ces initiatives font du bien. Il y a aussi un besoin de dialogue entre élus pour se partager les bonnes pratiques”.
Parti de son village à 16 ans, il veut en devenir le maire
Mais pour qui roule-t-il ? “Pour personne, pour ma commune !” À seulement 23 ans, Raphaël Ruegger, dont le père est artisan dans le bâtiment et la mère psychologue, est parti de son village à 16 ans pour passer son bac puis effectuer des études supérieures “mais j’ai toujours voulu garder un lien fort avec Neuvy-sur-Barangeon. Mon rêve d’enfant, ce n’est pas d’être joueur de foot mais maire de ma commune ! En 2026, au moment des élections municipales, on a envie de mettre notre catalogue à disposition de tous les candidats ; des infos sur la méthode, les coûts…”
Financé par des entreprises privées
Il l’assure : même si à l’origine cette fédération des trucs qui marchent a été créée avec les patrons de ce cabinet de conseil en communication qui l’emploie, désormais elle vole de ses propres ailes. “Nous nous sommes montés en association indépendante pour poursuivre notre route.” Est-ce un marketing intelligent ? “Oui, indirectement, cela contribue à notre notoriété mais cela n’a pas été fait pour cela. Il n’y aucune volonté mercantile ou de marketing derrière. Mes patrons avaient trouvé cela intéressant qu’un jeune comme moi, élu de surcroît s’engage dans ce projet.” Qui en sont les financeurs ? “Le cabinet avait investi dans un premier temps et assez vite on a été rejoint par des entreprises qui sont devenues nos partenaires qui nous financent pour soutenir notre démarche. On ne demande rien aux collectivités ni aux élus. Aucune subvention. »
Olivier SCHLAMA