Éducation : J’ai revécu l’année de 6e, cette fois en… fanfare !

Ph Olivier SCHLAMA

Une année d’entrée au collège marque à vie, c’est comme une toile impressionniste : on s’en souvient par petites touches. Un prof important ; un événement touchant… L’ouverture d’esprit y est incroyablement  plus grande qu’il y a quelques décennies, même si le collège unique n’a pas que des qualités…

Aussi initiatique qu’elle soit, cette année de 6e s’est terminée, ce mercredi 27 juin, comme elle avait commencé : en fanfare ! Les superbes félicitations décrochées par plusieurs élèves du collège Paul-Valéry, à Sète, dont ma fille, ont écrit cette douce mélodie qui répond à leur accueil plus immersif qu’imaginé, neuf mois plus tôt, avec les musiciens de la chorale, sous le croque-note Brassens à la clef. La musique fait tout passer. C’est une langue universelle. Qu’elle passe par les riffs rageurs de guitares ou la voix encore zigzaguante des ados. Quant à moi, j’ai revécu les étapes de l’année de 6e à travers ma fille, cette fois en… fanfare !

Étonnante aubade de rentrée scolaire

Ph. N.S.

Début septembre 2023, c’est donc la chorale et les musiciens de la classe collaborative de musique du collège qui fait une étonnante “aubade“, comme le formulerait le félibre Frédéric Mistral, pape des occitanistes. Hommage envers ceux qui ont quitté, souvent avec joie, “leur” école primaire. Premier cycle du secondaire en continuité avec l’école primaire “pour tous”, le collège unique descend en droite ligne de la loi Haby du 11 juillet 1975 qui poursuit le processus de généralisation de l’enseignement, initiée sous Jules Ferry (1882). Un socle commun, un “savoir minimal”, parfois vu comme “une réduction du champ des savoirs”. Sans oublier l’incursion sensible de la violence et du harcèlement, notamment pour les bons élèves, en première ligne.

Le collège respire le spectre des possibles : fablab ; chorale ; informatique…

Là, au collège, on est en tout cas, maintenant chez les grands ! Depuis que j’y suis passé, dans les années 1970, c’est une transmutation : le collège respire le spectre des possibles : fablab ; chorale ; club informatique ; sports à gogo ; concours… On change toujours de classe en changeant de matière ; ça, ça n’a pas bougé. Et on se projette avec davantage de maturité (et de pression) sur les… six autres années à venir pour décrocher le bac. Poser les linéaments de sa future vie pro. Et tenter, ensuite, de vivre. Entre-temps, il y aura eu la grande séparation, en fin de 3e, entre le public destiné à l’enseignement général et un public orienté, le plus souvent contre son gré vers l’enseignement professionnel. Schéma immuable !

Prof de maths-écrivain, Olivier Martinelli gère sa classe avec la bride courte, sans être rugueux

Edition 2019, lecture avec le Sétois Olivier Martinelli. Ph : Ville de Frontignan

Face à ce menu déroulant d’activités à tous crins – une vraie nouveauté ! – , certains élèves se montrent boulimiques et veulent s’inscrire à tout ce qui existe… On est loin de l’époque où le surgé’ faisait sa propre loi, inique. Des décisions punitives, qui même quelques décennies plus tard, font encore frissonner à y repenser…

Le collège d’aujourd’hui, exclusion faite des polémiques sur les niveaux et l’abaya, ressemble davantage à la vie. Si l’on m’avait accueilli de la sorte, jadis, j’en aurais été tout ébaubi… Ma fille l’est. Elle peut enfin commencer à s’épanouir, tellement sa maturité, comme celle d’autres, semble précoce à mes yeux. Du recul, de la réflexion… Cette 6e est goulue. Mes 11 ans sont loin où je ne voyais pas plus loin que mon tout précieux Faber Castel auquel je m’accrochais comme un phare…

L’Éducation est vraiment la matrice de tout. Le premier mois de cette 6e, si attendue et si crainte, c’est remise à niveaux pour tous. A tous les étages. D’abord en classe. Par exemple, le plan minutieux d’Olivier Martinelli, le prof de maths-écrivain, pour tirer toute la classe jusqu’au niveau demandé exige une sacrée dose d’expérience et de gouverner avec la bride courte, sans être rugueux.

La 6e, “c’est un accélérateur de maturité”

À la maison, aussi, il fallut aider sévèrement nos bambins pour leur montrer la voie, garder une dynamique de travail, le rythme et leur apprendre à… apprendre ! La marche est haute pour certains élèves, où leur CM2 venait d’être fantomatique dans les apprentissages ; avec, parfois même, des classes à deux niveaux CE1-CM2, où les derniers devaient souvent jouer à être des apprentis-instits pour leurs cadets… !

Présence des délégués de classe sur le passage “historique” de la flamme. Ph. V.S.

En cette 6e, il y eut aussi de belles rencontres. Il y eut également de belles cacophonies avec toutes les interros qui pleuvent chaque semaine ! – Une cavalcade, cette année de 6e. Pas le temps pour la gamberge, faut foncer. “C’est un accélérateur de maturité”, explique une maman, qui enchaîne sur “la création de relations positives avec les camarades, l’élaboration de travaux en groupe et des moments de partage. C’est aussi la découverte de relations plus difficiles entre ados. La mienne de fille était globalement dans une classe bienveillante. Ailleurs, tout le monde ne trouve pas sa place…”

Déjà Paul Langevin au mitan du XXe siècle

Les savoirs ne servent pas, apprennent les enfants en filigrane, qu’à passer des examens. L’enjeu du savoir est aussi celle de l’éducation. Comment savoir se repérer dans le monde, de plus en plus complexe, en mettant en route une prise de conscience critique de son environnement. Former aux vertus fondamentales “non par les cours et les discours mais par la vie et l’expérience”, écrivit le pédagogue Paul Langevin, dès le mitan du XXe siècle, dont le nom a baptisé de nombreux lieux d’apprentissage sans que vraiment quiconque n’y fasse attention.

Les parents, précepteurs désignés de leurs enfants

Photo : Olivier SCHLAMA

En 6e, l’attention est captée, plutôt deux fois qu’une. La prof de français, elle aussi, s’est montrée très motivée. À l’ancienne. Pour démarrer dans la littérature, il y eut le Livre de la Jungle, belle contre-allégorie ; Pinocchio, pas mal non plus ; et l’indétrônable Molière et son Médecin Malgré Lui. Mot à mot, pas à pas, et même case après case avec la volonté de découper finement le récit en questions-réponses l’un des livres, façon BD. Des jours et des jours pour quatre malheureuses bulles que chaque élève devait imaginer Mais, bon, une expérience. Belle expérience également pour les parents, obligés de se transformer en véritables précepteurs de leurs enfants pour les aider à rester concentrés, à ne pas lâcher devant l’avalanche des devoirs (est-ce bien utile… ?), à garder confiance.

Jadis, les pions, conscients du bienfait éprouvé de l’interdit. Aujourd’hui, je risquerais le pire…

L’apprentissage, au collège, y était jadis ex cathédra. Tableau noir, apprentissage bête et méchant. Pas de viatique, de détours, d’images. Aucune circonvolution. Carcéral. A peine pouvait-t-on se laisser aller, sans mot dire, à s’évader – un peu – grâce, par exemple, à la voix rocailleuse de feu le prof de maths de l’époque, M. Pech, qui nous faisait ainsi croquer dans l’épaisseur de son Tarn natal…

À peine détournait-on le regard vers l’extérieur, un peu moins carcéral, que l’on se faisait réprimander ipso facto. Voire davantage. À peine se dévissait-on la tête pour aller humer l’air frais de la vie quotidienne vivante aux confins de la fenêtre que les devoirs supplémentaires – “sans faute, hein !” – pleuvaient à la moindre incartade… Moi, perso, mon refuge, c’était la médiathèque municipale où je m’échappais pour m’évader dans tous les romans que je pouvais dévorer. Même lors d’une petite heure de libre entre deux cours avec l’assentiment secret des pions, conscients du bienfait éprouvé de l’interdit, mais un interdit pour de la lecture à profusion. Aujourd’hui, je risquerais le pire…

Harcèlement : “Mobilisation générale

Photo : Olivier SCHLAMA

Le pire, toute la communauté éducative l’a évité savamment. Tenez, mi-septembre lors de la semaine anti harcèlement scolaire, c’est prévention et réactions renforcées. Un élève en pleine journée de sensibilisation lève le doigt positivement à la question d’un soupçon de harcèlement et c’est “la mobilisation générale” face à un fléau qui pourrit la vie de centaines de milliers d’enfants. Et peut conduire au suicide. Signaux faibles repérés, cette fois-là. Tuée dans l’oeuf, la tentation de s’en prendre à un camarade de classe. Quel progrès ! On est loin du Petit Chose d’Alphonse Daudet. Le fléau est pris à bras le corps même s’il faut pour cela avoir des antennes jusqu’aux chauffeurs de bus…

Mélanger les effectifs de 6e dans les 5e à venir

Aujourd’hui, l’air frais entre déjà pas mal dans les classes. C’est déjà l’heure, en octobre, d’y entendre l’opposition des profs à la constitution de groupes de niveaux… Ce qui n’empêchera pas de faire savoir, en off, dans les coursives de Paul Va’, huit mois plus tard, en ce mois de juin, que les “effectifs des deux sixièmes qui marchent forts seront mélangés, en 5e, aux deux autres qui marchent mal…” De mon temps, c’était l’inverse, pas de dilution comme d’autres font des dissolutions : on savait tous qu’une ou deux classes de 6e – remplies à souhait de fils de profs ; où l’on “faisait” traditionnellement allemand en première langue vivante et par la suite latin – étaient les modèles à suivre et qu’il fallait y embarquer. De nombreux parents faisaient pression sur la direction pour que leurs bambins intègrent cette élite qui ne disait pas son nom.

Téléphone portable, numérique, Pronote…

Aujourd’hui, il y a aussi un changement majeur : le téléphone portable. Ah, ce prolongement de la main, de l’esprit (?), mais pas forcément de l’intelligence, est honni par les profs mais l’Education nationale ne jure que par le… numérique. Il y a, à ce titre, un “outil”, l’application Pronote où l’on prendre “note” de ses devoirs, de ses dossiers en groupe ; où l’on peut interpeller un prof ou quelque membre que ce soit de la direction ; signaler un problème ; une absence, etc.

Les profs peuvent, y compris jusqu’à la veille, indiquer un travail à exécuter. Grr. “Chaque chose a le bonheur et le malheur qui lui est propre”, disait Diderot dans le Rêve de d’Alembert… C’est un peu les prémices de la réalité virtuelle fourre-tout si joliment troussée dans le film Ready Player One : un peu de science fiction dans les jeunes vies de nos ados et beaucoup d’angoisse…

Tristes automnes

Toujours en octobre, le 13, l’actu s’emballe. Rougit le calendrier de sang. Une attaque au couteau, terroriste, dans un lycée d’Arras (Pas-de-Calais) : un enseignant, Dominique Bernard, est tué et trois autres personnes blessées par un homme de 20 ans, fiché S, ancien du collège. Difficile d’échapper à l’info qui ravive la même incompréhension trois ans après l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020. Horreur. Tristes automnes. Certains de nos jeunes collégiens pleurent d’effroi. On serait saisi pour moins que ça.

“Prof” génial, prof “qui apprend bien”, “super”

Ph. d’illustration Redd F, Unsplash

En janvier, le “super” prof d’histoire-géo est “génial” et sera regretté (il part dans les confins de l’Hérault l’année prochaine), de l’avis de tous, tellement “il apprend bien” et connaît si bien sa matière ; le prof de maths efficace, concerné et qui lu aussi “apprend bien”. Le prof d’EPS, lui, s’intéresse à tous, y compris à ceux de ses élèves qui sont graines de champion et va même les voir en compétition ! Bémol, il leur fait tout découvrir, avec parfois quelques blessures à la clef. Ils ont testé mille disciplines : badminton, natation, danse, gym, escalade, demi-fond. les élèves connaissent tout aussi de la récupération, du rythme cardiaque, des spécificités de tel sport… Quel changement abyssal avec les années 1970 où saut en hauteur, handball et vaguement course à pied étaient le trio faussement gagnant entre deux essoufflements.

Les groupes whatsapp entre élèves tournent à plein

En mars, les groupes whatsapp entre élèves tournent à plein ; il y a les dossiers à faire à plusieurs à la maison sur les littoraux, dans le monde en géographie ; sur Molière, en français… C’eût été plus bénéfique d’expliquer, avant, comment on effectue une recherche sur le net. Au final, beaucoup de stress et des parents qui ont joué les porte-plumes. Mais, pas tous, loin de là. Certains élèves ayant décidé, quoi qu’il en coûte, de terminer eux-mêmes l’exercice, même s’il fallait pour cela se coucher à pas d’heure… Formateur pour la suite, quand même.

Toufik et les soirées fluo

Ah Toufik et les soirées fluo, ça c’est un marqueur efflorescent de la vie d’un collégien. Organisée par la Ville de Sète, en avril, c’est une sorte d’aboutissement d’appartenance à une communauté. Il y a ceux qui l’ont faite – et qui rêvent de recommencer – et les autres. Quel progrès, là aussi. A minuit, les yeux fatigués mais heureux, ils sont des dizaines à s’être amusés, tout simplement. En toute tranquillité : la salle était gardée par des vigiles et un ingénieux système de contrôle rendait toute présence d’un adulte impossible, fût-il un parent.

(…) “Au lycée, ce que l’on attend de nous, c’est de se singulariser…”

Ph. O.SC.

Ainsi, nos enfants ont vécu leur année de 6e en fanfare. En mai, au conservatoire Manitas de Plata (qui ne savait pas lire une note !), entre deux cours de guitare, un groupe de collégiens devisent avec un prof de musique. Livrant cet aphorisme d’une lucidité rare, “blessure la plus proche du soleil”, avait magnifiquement formulé le poète René Char. L’un d’eux sur l’avenir : “Au collège, on veut absolument nous faire entrer dans un moule. Et, après, au lycée, ce que l’on attend de nous, c’est de se singulariser. C’est quand même compliqué…” Imaginons, désormais, de passer du collège obligé au collège désiré.

Olivier SCHLAMA