Dossier : Pourquoi l’huile d’olive, or jaune de Méditerranée, est devenue un produit de luxe

Jean-Bernard Gieules, président du syndicat des oléiculteurs de l'Aude et de la cave coopérative de l'Oulibo. Photo : Olivier SCHLAMA

Introuvable à moins de 20 € le litre. Dis-Leur ! vous décrypte les ressorts de la base de la cuisine et de la culture méditerranéenne qui peut sublimer un repas. Alors que l’engouement pour ce nectar ne se dément pas et que la production s’annonce très bonne, perce l’idée de cultiver l’olive avec une méthode intensive pour en diminuer le prix. Nous sommes allés à la source avec Yves Guillaumin, de France Olive ; Jean-Bernard Gieules de l’Oulibo ; Stéphanie Contini, productrice dans les Bouches-du-Rhône ; Thierry Rajoud, du moulin de Pignan ; Pierre Vialla de l’Oulivie.

La récolte d’huile d’olive, mi-octobre, s’annonce “jolie” et son goût d’AOP française “savamment fruité”, assure ce connaisseur, producteur à ses heures qui croit plus que jamais au pouvoir de sublimation de l’or jaune. Avec, toujours, des prix qui n’ont rien à envier aux flacons de Guerlain ! Vous pourrez vérifier sur pièces dans les rayons, dès la fin de l’année, quand la production 2025 sera mise en vente. Ce marché de niche est de plus en plus investi.  À tel point que certains imaginent que l‘or vert pourrait béquiller  une viticulture en crise. De quoi, en tout cas, secouer le cocotier au pays de l’olivier.

Méfi !” lance en substance Yves Guillaumin, directeur de France Olive, l’interprofession qui représente les quelque 10 000 producteurs français. Il sait évidemment qu’une seconde filière avance vite, celle d’oliviers dits plantés en “haies“, façon production intensive de pommes, par exemple, pour diversifier les productions viticoles en difficultés.

L’huile d’olive, ce rayon jaune dans nos arpents méditerranéens, ce liquide, qui est un concentré de nature, quintessence de notre civilisation, bénéficie d’une image de pureté

Des paysages bleu-vert à dévorer des yeux, typiques de notre mare nostrum dont on ne se lasse pas. “Dans les P.-O., c’est bien visible depuis l’A9 comme dans le Gard et les Bouches-du-Rhône”, dit-il. Certes, l’huile d’olive est devenue un produit de luxe mais les contraintes sont nombreuses. On ne se lance pas comme ça dans cette production somme toute aléatoire d’une année sur l’autre ; aux prix de revient élevés et à l’investissement qui l’est tout autant. Et, au milieu, les consommateurs qui comprennent que le pilier de la cuisine méditerranéenne est devenue un produit pour ménages aisés.

Il faut dire que l’huile d’olive, ce rayon jaune dans nos arpents méditerranéens, ce liquide, qui est un concentré de nature, quintessence de notre civilisation, bénéficie d’une image de pureté. Avec ses appellations de Nyons, des Baux-de-Provence, de Corse ou de Nîmes, le jus des oliviers français se pousse du col. Avec sa précieuse estampille AOP, appellation d’origine protégée, elle ne cesse d’être valorisée. A 30 € le litre quand ce n’est pas près du double quand le flacon “inestimable” est signé Brad Pitt ou Angelina Jolie… Ou, plus près de chez nous, de Patrick Bruel. Au bas mot, 68 €, le litre. Normal, que certains tentent d’en produire, même plus modestement.

“Crise oblige, 5 000 hectares de vignes vont être arrachés et certains viticulteurs cherchent un complément de revenu”

Il y aurait même, du côté de Carcassonne, dans l’Aude, une “reconversion agricole soutenue par l’agglo” concernant quelque 100 hectares d’oliviers plantés depuis mai 2023, selon la Banque des Territoires, et de nouvelles plantations prévues sur 40 hectares supplémentaires en 2025. Le nombre d’exploitants engagés actuellement : entre 10 et 15. Et une dizaine de plus attendus. Superficie minimale pour lancer la construction du moulin à huile : entre 500 et 1 000 hectares plantés d’oliviers. Sans oublier l’un des pans essentiels une retenue de 80 000 m³ en cours de réalisation, avec un financement subventionné par l’État et la région.

Pour Yves Guillaumin, attention au miroir aux alouettes : “Crise oblige, 5 000 hectares de vignes vont être arrachés et certains viticulteurs, qui cherchent un complément de revenu, se posent des questions sur la culture la plus appropriée, y compris qui soit compatible avec le changement climatique. L’olivier, culture méditerranéenne, est parmi les productions les plus recherchées pour se diversifier. Il faut dire la vérité et c’est ce que l’on fera d’ailleurs une journée d’information au salon Sitevi à Montpellier, en novembre. Sachant qu’une seconde oléiculture se développe beaucoup au niveau mondial et même chez nous : on l’appelle la haie fruitière avec des plantations à haute densité d’oliviers. On conduit ainsi son oliveraie comme on le ferait d’un verger de pommiers. Et on les récolte avec une machine à vendanger.”

Vers une huile de plus en plus standardisée ?

Cette culture a ses spécificités. “Pour se faire, on utilise des variétés adaptées à ce type de culture ; elles sont peu nombreuses et nos variétés traditionnelles ne le peuvent pas. La plus connue, l’arbéquine, va permettre de fabriquer une huile d’olive standardisée. Comme l’est le goût de Coca cola ou de Mac Do. Ça n’a rien de péjoratif. On table sur des volumes et des prix plus bas. On en trouve dans le Gard et les Bouches-du-Rhône aussi. Et ça marche. Mais, derrière, la question c’est de savoir comment je vends mon produit, qui n’a pas droit de bénéficier du label AOP, l’enjeu c’est de se savoir si on peut développer une filière “huile de France” dans des réseaux de grandes surfaces, entre 15 € et 20 € le litre en rayons ? Un prix qui permet d’être rentable.”

Récole d’olives, Ph. Domaine de l’Oulivie.

Yves Guillaumin poursuit : “À 15 €, une partie des Français ne l’achèteront pas non plus. Il existe peut-être un marché de 5 000 ou 10 000 tonnes mais pas plus. Et qui peut se faire concurrencer facilement par les Espagnols qui ne seront pas les derniers à produire cette huile.” 

Autre paramètre l’olivier fait un peu ce qu’il veut : cet arbre peut produire beaucoup et beaucoup moins l’année qui suit. Parfois même une année sur deux. Et le calcul vaut également pour tout oléiculteur, même celui qui a amorti ses investissements depuis belle lurette, professe Yves Guillaumin : “Si l’on veut gagner sa vie, un oléiculteur doit la vendre relativement cher à cause de deux postes qui coûtent cher : la taille et la récolte qui nécessitent des salariés.”

Production : la France, une… goutte d’huile d’olive

Surtout que le régime crétois, promu à grands renforts de prises de parole de diététiciens dans les médias, tout le monde en raffole. D’ailleurs, la consommation mondiale est en hausse avec un pays producteur dominant qui fait la loi. Ainsi, on ne peut satisfaire pleinement les consommateurs français que par l’importation. Ils engloutissent 120 000 tonnes d’huile d’olive chaque année mais l’Hexagone, qui n’est qu’une goutte dans un océan d’huile d’olive, n’en produit seulement 5 000 tonnes.

“L’huile d’olive est soit vierge soit extra-vierge”, rappelle Yves Guillaumin. “Acidité, goût et odeur irréprochables. C’est la seule huile que nous consommons en France ; l’huile dite courante n’est pas autorisée dans le marché européen et qui est vouée à disparaître du marché mondial.” Cette dernière doit être raffinée pour entrer dans notre alimentation.

Produite autour de la Méditerranée

Le marché mondial, qui se situe à trois millions de tonnes, connaît une consommation en plein développement. La production mondiale, quand elle est normale, représente 2,2 millions de tonnes en Union européenne dont 1,5 millions de tonnes en Espagne ; 350 000 tonnes en Italie et 150 000 à 300 000 tonnes en Grèce ; 200 000 tonnes au Portugal, en forte progression. La France ? Le petit Poucet : 5 000 tonnes annuelles sont produites avec une très grande variabilité de production. Les raisons sont d’abord géographiques : 85 % à 90 % de la production mondiale d’huile d’olive se fait dans la bassin méditerranéen ; ensuite, viennent Turquie ; Syrie – quand elle n’est pas en guerre – ; Maroc qui n’exporte pratiquement pas ; Tunisie qui exporte beaucoup. La France se situe donc au Nord de la zone de production qui se concentre autour de la Méditerranée.

La deuxième raison avancée c’est que l’on se situe dans une zone de production historiquement traditionnelle. “On a fait le choix en France d’une production avec des variétés locales et moins de 10 000 oléiculteurs professionnels qui sont très souvent des arboriculteurs, à dominante vigne soit à dominante fruits à noyaux. L’oléiculture n’étant que très rarement la culture principale. Jamais unique. En termes de surfaces allouées aux oliviers, nous sommes sur 17 000 hectares cultivés par les professionnels et 50 000 hectares conduits par des amateurs.”

“30 000 personnes par an franchissent la porte d’un moulin avec leurs olives, sans être des professionnels”

L’Hexagone est le pays aux 300 moulins. Quelque 1 500 agriculteurs n’ont pas de moulin mais vendent leur huile à un domaine. “Pas mal de gens cultivent leurs propres olives. Il y a environ 30 000 personnes qui franchissent la porte d’un moulin, sans être des producteurs professionnels, comme vous et moi.” Six kilos pour faire un litre d’huile. C’est sympa. Sain. Et fun. “C’est très important : de l’ordre de 1 500 à 2 000 tonnes sur les 5 000 tonnes produites bon an mal an en France. Avec une nuance : certains amateurs qui produisent quelques litres la consomment ; d’autres qui en produisent davantage peuvent les vendre au moulin.”

Le Moulin de Pignan dans l’Hérault produit une huile issue des olives de particuliers

L’huile du moulin de Pignan est produite avec les olives de particuliers. Ph. Moulin de Pignan

“La récolte sera au moins aussi bonne qu’en 2024 voire davantage ; dans le Gard, c’est bardé d’olives ; et, dans l’Hérault, c’est pas mal non plus. Mais, en 2022 et 2023, cela avait été catastrophique” : moulinier, qui s’occupe donc de la trituration, au moulin coopératif de Pignan, désormais associé à celui de Villevieille, dans le Gard, Thierry Rajoud valide l’engouement du particulier à faire fabriquer sa propre huile d’olive.

Créé en 1939, le moulin de Pignan a traité 112 tonnes d’olives en 2024 pour quelque 12 000 litres d’huile produites. Comment explique-t-il, cet engouement ? “C’est fun pour les gens de repartir avec leur litre d’huile ; récolter les olives, c’est aussi une activité que l’on fait en famille, avec les enfants le temps d’un week-end.” Et si l’on possède trois ou quatre oliviers, cela peut être suffisant pour un litre (d’huile commune). “Ça ne suffira bien sûr pas pour la consommation de l’année mais ce n’est pas grave : on fait cela aussi pour la beauté du geste”, formule-t-il.

Olive emblématique de ce coin d’Hérault : la Rougette de Pignan

L’huile du moulin de Pignan est produite avec les olives de particuliers. Ph. Moulin de Pignan

Le moulin est adossé à une oliveraie de 20 hectares qui va bientôt commencer à produire. Pour l’instant, sa production, essentiellement issue des particuliers, n’a pas de label particulier.

“Ici, dit-il, on prend toutes les variétés d’olives. Les clients, adhérents ou non, de la coopérative, ne font pas le tri. Nous, non plus. L’olive emblématique dans ce coin de l’Hérault ? La Rougette de Pignan. On reçoit aussi de la picholine, la lucque et parfois de l’olivière – typique de l’Hérault, des P.-O. et de l’Aude, Ndlr – ou de la bouteillan mais pas chaque année.” À partir de 200 kilos, on devient un producteur avec des avantages : “On peut alors triturer ces olives à façon.” Et l’huile n’est alors plus mise en commun mais restituée à celui qui a apporté ses olives. La difficulté pour le Moulin est de trouver l’équilibre économique, y compris quand “certains coopérateurs ne jouent pas le jeu de nous laisser de l’huile sur laquelle on compte pour la vendre à notre magasin…”

Au fait, un amateur, c’est quoi ? “C’est quelqu’un qui possède trois oliviers autour de la piscine ou 50 hérités de papy, note Yves Guillaumin ; c’est important de le dire : personne ne possède 50 pêchers ou pommiers chez soi. Les oliviers, c’est possible. Vous habitez à Sète et vous avez des oliviers à Toulouse ; pour la semaine de Toussaint, vous prenez huit jours de vacances avec des copains que vous appelez et vous leur dites, si on récolte des olives, très bien ; on les partagera sinon, ce n’est pas grave : on profitera de ces retrouvailles.”

La loi de l’offre et de la demande

L’huile d’olive est chère sous l’influence d’une chute de production qui fait grimper les prix, comme quand l’Espagne a vu chuter il y a deux ans sa production, 680 000 tonnes en 2022 et 750 000 tonnes en 2023. Pour revenir à 1,5 million de tonnes en 2024. Le prix moyen en grandes surfaces était de 7 € à 8 € – souvent importée de Tunisie – avant qu’il y ait ces fameuses deux années de non production espagnole qui ont fait flamber les prix. Cette huile, importée souvent de Tunisie était montée à 15 € avant de redescendre un peu. L’huile d’olive est cotée à Jaen, en Espagne, la Mecque de la production espagnole. Et, quand la production reprend son cours normal en Espagne, le cours mondial baisse aussi mais cela prend du temps pour que le consommateur le constate en magasin. “Il y a un décalage de six mois”, note Yves Guillaumin.

Exemple : avant 2021, l’huile d’olive vierge s’achetait entre 2,5 € et 4 € le litre en vrac pour être revendue autour de 7 € dans les rayons. Suite à ces deux années noires en Espagne, l’huile est montée à 10 € prix de vrac aux professionnels et 15 € au consommateur final. Du coup, vu le tarif prohibitif pour certains, la consommation française a perdu 10 000 tonnes. De 120 000 tonnes par an, on est passés à 110 000 tonnes. Sur cette consommation, une partie est vendue aux restaurateurs, entre autres.

Des coûts de revient plus chers en France

“Et puis, et surtout, l’huile d’olive française a un prix de revient beaucoup plus cher que dans d’autres pays, au-delà des 8 € le litre”, avance-t-il. En France, “on a fait le choix de conserver ses vergers traditionnels, avec ses variétés locales ; on s’est orientés vers des produits à forte identité, sous signe de qualité, AOP ou OP. Provence, Aix-en-Provence, Vallée du Rhône Provence, Nice, Nyons, Nîmes, Languedoc, Corse, Baux-de-Provence : quasiment toute la zone de production française est labellisée. Sauf une petite partie de l’Ardèche (50 tonnes) et les P.-O. qui sont en train de déposer une AOP Roussillon”. En clair, on mise sur le haut de gamme. Et on adapte la production à la demande, histoire de garder de bonnes marges.

“Ce serait illusoire de le penser : on ne vendra pas davantage d’olives ni d’huile d’olive”

Jean-Bernard Gieules, président du syndicat de l’olive du Languedoc et de la fameuse cave coopérative l’Oulibo, à Bize-Minervois. Ph. Olivier SCHLAMA

Lui-même propriétaire de 5 hectares dans son village natal de Conne-Minervois, Jean-Bernard Gieules ne dit pas autre chose. Le président du syndicat de l’olive AOC du Languedoc ; du syndicat des oléiculteurs de l’Aude et, depuis quatre ans, de la fameuse cave coopérative de l’Oulibo, à Bize-Minervois (250 tonnes d’olives produisant 120 000 litres de nectar, 10 M€ de chiffre d’affaires dont 7,5 M€ issus de la cave, 35 salariés), défend un marché de niche qui demande beaucoup d’investissements. Et pour lui, ça doit le rester.

“Aujourd’hui, ici, tout va bien mais demain ? On ne sait pas…”, s’alarme-t-il. “De plus, ce serait illusoire de le penser : on ne vendra pas davantage d’olives ni d’huile d’olive.” En tout cas, pas autant que le nombre de néo-producteurs intéressés par ce qu’ils croient être la poule aux oeufs d’or. Certes, la lucques est un cas particulier. Mais par exemple cette olive vernaculaire aux pouvoirs d’addiction inégalés produit peu d’huile, de l’ordre cinq litres à peine pour 100 kg. Alors qu’il faut bien davantage pour être rentable. Et que les Espagnols font pisser l’olive jusqu’à 2 000 litres l’hectare, en certains coins…

L’Oulibo, 2e entreprise la plus visitée de la Région

Depuis novembre 2023, l’huile d’Olive du Languedoc est, grâce à son label AOP, au firmament comme Dis-Leur ! vous l’a expliqué. Il a fallu 13 ans pour arriver à cette récompense. L’olive fait partie, jusqu’à la Révolution industrielle, de la sainte trilogie alimentaire méditerranéenne avec la production de vin et de céréales. L’olivier poursuit son l’expension un peu partout en Languedoc à partir de la moitié du Xe siècle. Au début du XXe siècle, la mévente du vin pousse le gouvernement à encourager l’oléiculture. Un mouvement coopératif se met en place, sur le modèle de la viticulture, afin de moderniser les huileries (création de l’Oulibo à Bize-Minervois en 1942 ; maintien de l’Huilerie coopérative de Clermont-l’Hérault créée en 1920, et de celle de Pignan).

“De 1945 à 1954, le Languedoc-Roussillon produisait 24 % de la production nationale d’olives à huile soit une moyenne de 6 400 tonnes par an. En 1954 le Languedoc-Roussillon produisait 10 155 tonnes d’olives à huile soit plus de 31 % de la production nationale.” Avant le gel historique de 1956, il y avait 150 moulins à huile dans le Languedoc ! Et, aujourd’hui, que de chemin parcouru : l’Oulibo, avec plus de 100 000 visiteurs, est la deuxième entreprise la plus visitée de la Région !

Un olivier millénaire de 16 mètres de diamètre !

Jean-Bernard Gieules, président du syndicat de l’olive du Languedoc et de la fameuse cave coopérative de l’Oulibo, à Bize-Minervois. Ph. Olivier SCHLAMA

Jean-Bernard Gieules est un sacré personnage. En janvier prochain, le site accueillera même, parfait totem, un olivier millénaire importé exprès du Portugal. Son coût ? 100 000 € ! “C’est un arbre exceptionnel de 16 mètres de diamètre ; cela va nous amener 20 000 personnes de plus au magasin ; on va l’amortir en deux ans et on gagnera de l’argent la troisième année !, annonce-t-il devant le carré qui, dans l’enceinte de la coopérative, accueillera cette star devant laquelle “les gens se prendront en photo lors de mariages…!”

Le groupe Avril réfléchit à une culture à haute densité

Huile d’olive à l’Oulibo. Ph. Olivier SCHLAMA

Même Arnaud Rousseau, président de la Fnsea, principal syndicat agricole, est venu prendre la température en visitant la cave. Également P.D.-G. du groupe français Avril (les huiles Puget, notamment), un monument de l’agriculture industrielle en Europe réfléchirait à planter des variétés espagnoles à haute densité pour produire une huile de base au prix de revient imbattable à 5 € ou 6 € de litre. Une force de frappe qui dispose de plus les milliards en poche pour devenir leader du secteur.

En dehors de ce groupe, qui a les moyens de participer à cette filière naissante qui nécessite de très lourds investissements, de la mise au gabarit des moulins ; de démultiplier les quantités de stockage, etc. ? Sans parler de l’irrigation. Silence dans les rangs. C’est comme cela que la production fonctionne beaucoup en Espagne. Mais les moyens investis n’ont rien à voir avec ce qui existe chez nous. “Là bas, ce sont des cathédrales de cuves en inox ; les usines sont ultramodernes. C’est démesuré. C’est un autre monde”, déclare Jean-Bernard Gieules.

Des concepts agro-touristiques “marketés”

Oliveraie de L’Oulivie à Combaillaux. Ph. Henri Comte.

Épiceries spécialisées, boutiques de moulins, restos… L’olive est devenue, en France, un produit de luxe, parfois très “marketé” “avec tout ce qui va avec : 30 % à 35 % de la production française est bio. La certification ; un flacon de type “Chanel” ; le bon code couleur… La vente directe de l’huile d’olive française est très pratiquée. Les prix de vente pratiqués ? De l’ordre de 20 € le litre jusqu’à 30 € le litre, voire davantage en pleine vallée des Baux”.

Au domaine de l’Oulivie, à Combaillaux, près de Montpellier, (Hérault), on vend un “moment jovial” autour de la culture de l’olive. “Notre concept, explique son propriétaire, Pierre Vialla, c’est de l’agro-tourisme. Nous avons débuté il y a cinq ans. Nous avons 30 hectares dont 22 plantés d’oliviers. Sur ces 22 hectares, nous vivons de l’olive. Comment ? On cultive, on transforme et on vend sur place.” Pas de label AOP ici, “on veut rester libre”, dit-il. “On veut mettre en avant les vieilles variétés françaises comme lucques, picholine, verdale, l’olivère, la melot”.

Notre but est de faire venir des clients, leur faire passer un très bon moment. Et s’ils passent un très bon moment, ils achètent notre production et on les fidélise ensuite par le net”

Le domaine, qui organise des visites guidées et gourmandes, dispose de son moulin avec lequel sont produites entre 20 000 et 30 000 litres d’huile d’olive par an issues de quelque 150 tonnes d’olives annuelles et où les particuliers peuvent amener leurs propres olives à presser. Cette production se propose à l’achat sur place et peut s’acheter via internet. Une confiserie et un restaurant, qu’il préfère appeler “les festivités”, complètent le concept.

Lucques primeurs, Ph. Oulivie Combaillaux.

Sa façon de faire est intelligente. Pierre Vialla explicite :“Notre but est de faire venir des clients, leur faire passer un très bon moment. Et s’ils passent un très bon moment, ils achètent notre production et on les fidélise ensuite par le net.”

Comment explique-t-il, à son niveau, cet engouement pour l’huile d’olive, pourtant si chère ? Si on compare en effet à l’huile l’Espagne, la nôtre est très chère mais l’huile d’olive peut devenir quelque chose de festif. Si on compare ça à une matière grasse, c’est très cher mais si on considère que c’est l’ingrédient d’un bon moment, un condiment, qui accompagne son repas, ce n’est pas plus cher qu’une boîte de biscuits à apéritif. Nous avons créé une mini-boulangerie, où nous faisons nos propres pompes à huile, et on propose tout un kit en expliquant comment prendre de l’huile d’olive à l’apéro.” Comme en Espagne.

L’huile d’olive jadis mise en avant pour la santé

L’engouement des Français pour l’huile d’olive c’est “grâce aux Américains qui avaient jadis produit une étude sur le côté santé. Nous on communique sur le vôté jovial. Aux Festivités, on met en avant quatre soirs par semaine nos produits à travers d’un repas avec des grillades avec nos fameuses frites à l’huile d’olive. Tout ça accompagné par des musiciens et des chanteurs qui animent la soirée.”

Pierre Vialla a repris une vieille idée en la mettant à sa sauce. “Le domaine appartenait à son grand-père qui avaient planté des oliviers, confie-t-il encore. A sa mort, c’est resté à l’abandon, mon père, qui était berger, y avait mis des moutons. Quand j’ai repris, on a enlever moutons et clôtures et on a remis e route cette culture. On a des poules, des chevaux, etc. Et on entretient une partie de l’oliveraie par des animaux.”

“Si je ne suis pas payée 10 € à 12 €, pas la peine de ramasser. On ne bosse pas pour la gloire”

Stéphanie Contini. Ph. DR.

Stéphanie Contini gère, elle, un domaine fait de vignes et d’oliviers, dans les Bouches-du-Rhône (lire aussi ci-dessous). “L’huile d’olive, dit-elle, est chère parce que nous en avons la demande. C’est donc la loi de l’offre et la demande qui joue. La production est faible ; c’est demandé on peut donc se permettre des prix un peu élevés. Ensuite, nous n’avons pas les mêmes moyens de production. En Italie ou en Espagne, à Jaen, par exemple, il y en a partout sur les collines. C’est aussi une culture ultra-mécanisée. Leurs moulins sont grands, ils y produisent en grandes quantités. Et leurs coûts de main d’oeuvre sont moins importants.”

Autre raison que cette productrice pointe : “L’Espagne et la Grèce, deux gros producteurs, ont eu des difficultés à produire.” Encore la loi de l’offre et la demande qui joue. “Mais, même dans ces deux pays, les prix ont augmenté ; certains ne pouvaient plus en acheter alors que c’est la base de leur alimentation…” Il y a également eu le fait que, “comme la demande existait en France, les Grecs ont préféré venir la vendre chez nous que la vendre chez eux. Enfin, l’huile d’olive est aussi chère parce qu’à 4 €, je ne la ramasse pas. A 8 € non plus. Si je ne suis pas payée 10 € à 12 €, pas la peine de ramasser. On ne bosse pas pour la gloire”.

Autre interrogation : est-ce que dans des nouveaux territoires, réchauffement oblige, on va pouvoir cultiver de l’olivier, comme à Bordeaux, par exemple ?  “L’olivier peut s’adapter notamment au climat océanique”, soumet Yves Guillaumin. Et les producteurs…?

Olivier SCHLAMA

“On produit ce que l’on peut vendre”

Viticultrice et productrice d’huile d’olive, Stéphanie Contini gère une exploitation de 5 hectares d’oliviers en AOP Aix-en-Provence et Provence dans un village au nom explicite : la Fare des Oliviers, dans les Bouches-du-Rhône.

Sa famille possédait même le moulin du même nom qu’elle a, depuis, vendu à la coopérative locale, faute “d’avoir pris le bon virage technologique, électrifier, entre autres, qui nécessitait des investissements”. Au 20e siècle, l’huile d’olive a connu des hauts et des des bas. “Elle avait même presque disparu des repas après les années 1950“, au profit du beurre et de l’huile de tournesol. Le regain est venu des esthètes de la nutrition ; ces experts qui n’ont eu de cesse de vanter le régime méditerranéen. Il y a eu aussi un avant et un après 1956, l’année d’un gel historique qui tua tant d’oliviers.

“Peut être aussi que cette envie d’huile est revenue avec l’ouverture de l’Europe”

L’heure de la récolte à l’oliveraie de Stéphanie Contini à la Fare des Oliviers. DR

Stéphanie Contini le rappelle : “Tout avait gelé. C’était devenu une culture annexe parce que ça ne rapportait pas assez. Peut être aussi que cette envie d’huile est revenue avec l’ouverture de l’Europe : les Espagnols, les Grecs, etc., ont vu chez nous un nouveau marché. Ici, petit à petit, c’est revenu. Des producteurs d’autres cultures, des maraichers, en ont planté, y compris en haies, dès les années 1990. Et puis, l’Europe a aussi financé et a subventionné des plantations d’oliviers dans ces années-là ; j’en ai replanté aussi pour cela.” A tel point qu’une surproduction s’est fait jour dans les années 2000 ; le marché s’est écroulé… Depuis quelques années, “on produit en gros ce que l’on peut vendre”.

“Notre marque de fabrique, c’est le fruité vert”

Entre vendanges accomplies et récolte d’olives qui s’annonce, Stéphanie Contini réfléchit à sa réponse : qu’est-ce une bonne huile d’olive ? “Pour se démarquer des Espagnols et des autres nations productrices, entame-t-elle, et en justifier le prix, il a fallu que l’on vende autre chose que du fruité mûr. Notre marque de fabrique, c’est le fruité vert. On ramasse les olives moins mûres qu’avant ; cela donne cette ardence importante, ce goût d’artichaut, etc. Au plus on ramasse les olives noires, au plus elle est douce avec des arômes. C’est en train de changer ; nous, par exemple, nous faisons aussi du fruité mûr que beaucoup de gens aiment. Ce que je préfère personnellement c’est quand c’est doux et fruité.”

Moulin privé, moulin coopératif

Avec vue sur l’étang de Berre… DR.

La productrice décrypte : “Dans la filière, soit on amène ses olives dans un moulin privé, soit un moulin coopératif. Moi, c’est le second, celui de la Fare des Oliviers. Dans une coopérative, avec des adhérents ; on y amène ses olives. Soit tu décides de récupérer l’huile – qui n’est pas celle de tes olives – en payant les frais de trituration soit tu laisses l’huile au moulin qui la vend et 18 mois plus tard, on fait les comptes et on décide d’un prix duquel sont déduits les frais de trituration et on te alors donne un chèque. On peut aussi faire un mix des deux. Personnellement, je récupère 30 % de ma production pour moi.”

Un moulin privé, c’est différent pour les gros producteurs : “On y amène ses olives et le prix est défini à l’avance, après estimation du patron.” Et d’ajouter : “Dans notre village, c’était une démarche très importante : à moment donné, il a manqué d’olives. Et pour attirer des producteurs, les prix étaient devenus très intéressants. Beaucoup de producteurs ont amené une partie de leur production à ce moulin. Ensuite, il y a eu deux ou trois années de surproduction ; les prix ont naturellement baissé et on s’est retrouvé avec les olives de toute notre région… Du coup, il y a des quotas.” Il y a aussi un cas particulier : “Dans un moulin privé et coopératif : à partir d’une certaine quantité d’olives, on peut demander à ce qu’elles soient triturées à part pour récupérer sa propre huile d’olive.”

Recueilli par O.SC.

Au goût d’herbe fraîche, d’artichaut ou d’amande douce, mâturée…

Qu’est-ce qu’une huile d’olive de qualité ? “Il faut bien sûr regarder les étiquettes pour l’origine. Il faut qu’y soit marqué origine “France” ou que ce soit une AOP, répond Yves Guillaumin, cela veut dire que l’huile a été fabriquée et les olives triturées en France. Ce ne sont pas des olives italiennes triturées en France ou des olives françaises triturées en Italie.

Yves Guillaumin, de France Olive, définit : “L’huile d’olive craint trois choses : la chaleur, la lumière et l’oxygène. Il est préférable de l’acheter dans une bouteille au verre ambrée plutôt que blanc – c’est dommage, certes. Chez soi, il faut la mettre à l’abri de la chaleur. Parfois, cela fait six mois dans une grande surface que les huiles d’olive ont été stockées ; dans des hangars non-climatisés…”

Huile au fruité vert intense de Nîmes ou douce comme celle d’Aix ; huile mâturée, spécificité française

Récole d’olives, Ph. Domaine de l’Oulivie.

Quant au goût, il est personnel : “L’idéal, c’est d’avoir plusieurs huiles d’olive chez soi, dit-il. Il en existe avec du fruité vert intense qui va être ardent avec des goûts et des odeurs d’herbe fraîche ou d’artichaut comme le représente bien l’huile d’olive de Nîmes ou d’Aix. Ou alors encore de Nyons, très douce avec des parfums et des goûts d’amande. Il y a aussi des huiles mâturées, spécificité française, où l’on retrouve le goût de l’olive ; comme le cacao. Ce sont des olives conservées quelques jours avant de les triturer. Faut maîtriser la température, tout un process, c’est très technique et technologique avec une légère fermentation. Il ne faut pas qu’elle soit trop forte sinon elle sera déclassée.”

Trois critères pour juger une huile

Plus généralement, il y a trois critères pour “juger” une huile. Le fruité, que l’on appréhende au nez, et qui détermine sa fraîcheur ; l’amertume, qui est le seul goût en bouche qu’une bonne huile doit exhaler ; et, enfin, l’ardence, c’est-à-dire la sensation de piquant, signe de la présence forte d’antioxydants. Plus une huile pique, plus elle est censée avoir des vertus bénéfiques pour la santé, car les antioxydants présents dans le fruit et le noyau y sont très actifs. Quand on juge une huile d’olive, on recherche un équilibre entre ces trois critères.

À l’inverse, parmi les défauts d’une huile, on peut citer un anormal goût de rance. Et si les olives ont pris trop le soleil, elles peuvent s’oxyder ; peut alors s’en dégager un goût de chômé ou d’olive noire.

Huiles contaminées : “Nous suivons cela depuis 15 ans”

la saison est arrivée de la récolte des olives. DR

Quant aux contaminants effarants et peu ragoûtants – plastiques, hydrocarbures…- que 60 Millions de Consommateurs ont retrouvé dans des huiles d’olive, Yves Guillaumin, de France Olive, évoque une prise de conscience de tous. “Nous suivons, dit-il, cela de très près depuis 15 ans ; nous faisons chaque année de nombreuses analyses.”

Le spécialiste ajoute : “Nous faisons des préconisations avec une liste de matériels recommandés et, essentiellement, il s’agit des tuyaux qui sont exempts de phtalates ; c’est vrai pour du vin pas pour les matières grasses ; on explique qu’il ne faut pas travailler avec sa camionnette cul aux pallox d’olives que l’on contamine ; de faire attention aux tapis élévateurs qui peuvent être souillés et donc souiller des olives avec de l’huile non protégée par un carter… Et, en cas de contamination, on est capable de remonter toute la chaîne de fabrication, du stockage, au broyage, malaxage, filtration. Et on trouve des solutions.” 

O.SC.

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