Aveyron : Le miracle économique de l’exceptionnel village d’Arvieu décrypté

Le fameux tiers-lieu qui sert de locomotive économique. Ph. Claire Jachymiak - POPSU

Isolé, ce petit village a mis en place une stratégie pour éviter l’exode rural et se développer avec un tiers-lieu numérique, locomotive d’une dynamique et d’une aventure humaine incroyables. Universitaire, Ornella Zaza a coordonné un ouvrage de référence sur Arvieu qui bénéficie d’un terreau fertile pour une telle réussite – une population très investie au-delà de sa tradition d’accueil – mais la faiblesse de la puissance publique qui y rend l’innovation fragile. Et pas forcément 100 % dupliquable.

On n’est pas loin du miracle de Noël ! A lui seul, le village d’Arvieu, en Aveyron  – 800 âmes, loin de tout – est le Harry Potter de la ruralité. Comme frappé par une baguette magique qui transmute son fort enclavement en opportunité de développement. La commune aurait pourtant dû dévaler la mauvaise pente de l’exode rural comme tant d’autres. Personne n’aurait pu imaginer que ce village perché à 800 mètres d’altitude, isolé, sans ressources particulières, et à 30 km de Rodez, elle-même à 200 km “de rien”, comme dit la formule locale, aurait assez de ressources en lui pour non seulement échapper à un destin funeste mais mieux : arriver à se développer ! L’expérience collective d’Arvieu rejoint ce qui semble être une tendance : une certaine revanche des villages et des villes moyennes, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI.

“Super-éloignement d’Arvieu, opportunité pour rebondir”

L’universaitaire Ornella Zaza. Ph. DR.

“Sa position très éloignée a donné une envie de réagir ; il y a d’autres villages qui se vident ainsi de leur âme. D’autant plus que souvent ce genre de village, ce sont des villages-dortoir qui, petit à petit, meurent. Or, le super-éloignement d’Arvieu a été une opportunité pour rebondir. Plein de villages comme Arvieu tentent de réussi avec un tiers-lieu comme stratégie. Arvieu, c’est quand même exceptionnel.” Quel est donc le secret d’Arvieu qui a aimanté tant d’intérêt ? Sa magie a été décryptée par une chercheuse, Ornella Zaza, maîtresse de conférences, de l’université Côte d’Azur et de l’Ensa Paris La Villette qui a coordonné l’ouvrage de Alessia de Biase et César Gelvez-Espinel. La trajectoire de ce village fait écho à Martel, dans le Lot, qui, lui réussit, pour l’instant, un subtil dosage dans le tourisme en se préservant du sur-tourisme, à lire ICI. 

les Jardins d’Arvieu : 1 000 m2 d’espaces partagés, de coworking, en plein coeur du village…

Ph. Claire Jachymiak – POPSU.

Leurs conclusions ont donné un joli petit livre empli d’enseignements paru aux éditions Popsu (Plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines), Des Villages qui se Font Seuls ? Innovation et action publique à Arvieu, en Aveyron (Autrement, 7,5 €)Designer et docteure en aménagement et urbanisme, Ornella Zaza s’intéresse à la transformation des politiques, des systèmes de gouvernance et des modes de vie métropolitains et ruraux face à l’innovation sociale et numérique.

On est juste après la crise du covid. Tout part d’une coopérative d’informatique de 20 personnes -privée – , Laetis, qui investit sur place en un tiers-lieu remarquable dont elle est le coeur du réacteur, les Jardins d’Arvieu : 1 000 m2 d’espaces partagés, de coworking, en plein coeur du village. Et qui, pierre angulaire du village, permettent une dynamique assez incroyable. S’ajoute une coopérative agricole réunissant 35 fermes de lait de brebis bio ; une pépinière et une société de produits locaux, une salle de spectacles, une maison de services… Et surtout une connexion haut débit digne de ce nom. De quoi (dé)montrer que l’exode n’est pas une fatalité.

Terreau humain et tradition d’accueil déterminants

Ph. Claire Jachymiak – POPSU

Celle qui fut surnommée pompeusement la Silicon Vallée de l’Aveyron (!), a aussi mis dans sa boucle son château pour des séminaires, formations et autres services appointés à à peine 300 mètres des Jardins d’Arvieu. Dans cette histoire, c’est aussi le terreau humain qui fut déterminant : Arvieu a une tradition d’accueil, accentuée depuis l’érection du barrage de Pareloup et la création de sa plage ; ses fêtes traditionnelles… Et désormais ce que l’on appelle un tiers-lieu où les projets viennent s’agglomérer, s’enrichir. Ce tiers-lieu fut le “prétexte pour la survie du village”. Arvieu avait donc la chance d’un incroyable alignement de planètes. A commencer par un terreau fertile, une “aura” bien particulière : une population accueillante, ouverte aux propositions et  une tradition d’accueil.

Dans chaque cas, il y a des recettes qu’il est important de comprendre pour en apprendre également mais je ne crois pas au modèle”

Ph. Claire Jachymiak  – POPSU

Le risque c’est de prendre Arvieu pour un exemple à suivre. Un modèle avec une boîte à outils infaillible pour tous. La recette miracle qui va tout résoudre n’existe pas. Dans le cas d’Arvieu – ou d’autres – le facteur humain est certes déterminant : grâce à son terreau humain fertile, tout le monde mit la main à la pâte et on a construit ce que l’on a pu construire avec les gens qui étaient là. “C’est un terreau qui existe souvent dans d’autres territoires, module Ornella Zaza, la chercheuse. Mais que ce terreau était délaissé. Ce sont des réseaux de sociabilité locaux. Avant, ceux-ci été représentés par les Jeunesses chrétiennes, des syndicats, etc. Mais cela a vite dépassé religion et travail. Et qui se sont affaiblis avec le temps, sans avoir été remplacés par autre chose.” Les villages comme Arvieu qui réussissent ont réussi “à garder cet esprit-là”.

Arvieu, un modèle à suivre ? “Je suis très critique vis-à-vis de cela”, dit clairement Ornella Zaza. “Dans chaque cas, il y a des recettes qu’il est important de comprendre pour en apprendre également mais je ne crois pas au modèle” duplicable. Quel est la recette d’Arvieu que l’on pourrait adapter ? “Je préfère parler d’enseignements”, tranche la chercheuse.

“On pense à attirer des nouveaux habitants mais on ne sait pas où les loger ; souvent, ils ne veulent pas rester parce qu’ils seraient désenchantés…”

La chercheuse développe : “La recette que l’on pourrait considérer comme miraculeuse vient souvent de façon disruptive : on l’utilise et on ne pense pas à tout le reste. Et c’est un peu le souci que l’on a observé un peu partout et notamment à Arvieu – même si dans l’Aveyron cela se passe plutôt bien – on pense par exemple à attirer plein de nouveaux habitants mais on ne sait pas où les loger ; souvent, ils ne veulent pas rester parce qu’ils seraient désenchantés…”

Le grand risque c’est que l’acteur public, souvent, n’a pas la main. Quand le principal acteur privé va se rétracter, va investir dans autre chose, l’acteur public sera démuni”

Ph. Claire Jachymiak – Popsu

Ornella Zaza poursuit : “Arvieu permet d’isoler la question qu’il faut se poser pour les autres territoires : un maire se dit : “je veux entreprendre une stratégie de développement autour du numérique”, certes, mais il faut penser à des solutions d’habitations en même temps ; en matière de mobilité, etc. Il faut relier l’innovation à tous les autres secteurs de la vie. Le grand risque de ce genre d’opération qui semble avoir du succès c’est que l’acteur public, souvent, n’a pas la main. Pour l’instant, cela marche bien mais quand le principal acteur privé va se rétracter, va investir dans autre chose, l’acteur public {la municipalité, notamment, Ndlr} sera démuni.” Il faut aussi avoir en tête que si le dirigeant de la Scoop Laetis ne l’est plus un jour ou l’autre “tout s’effondre”, analyse Ornella Zaza. Elle pointe également une “absence de perspectives” de ce projet.

L’action publique ne peut pas payer la main-d’oeuvre…

Ph. Claire Jachymiak – POPSU

Justement, n’y a-t-il pas entrainés par cette réussite des acteurs publics qui pourraient venir s’adjoindre au projet ? Il y a une fédération de tiers-lieux ; des animateurs…“On touche à la limité de l’action publique qui ne peut pas tout. Même si on y est très attaché, on sait qu’elle n’en a pas les moyens. L’une des limites de l’action publique, même si elle est engagée, c’est plutôt sur des budgets d’investissement pas de fonctionnement : on peut acheter un immeuble, faire des travaux, acheter des ordinateurs mais on ne peut pas payer la main-d’oeuvre. Or, un projet ne peut pas faire fonctionner un projet sans les gens qui le portent. C’est aussi une grande limite des très nombreux appels à projets de l’Etat français. Ils sont intéressants. Mais…”

Olivier SCHLAMA

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Arvieu. Ph. Claire Jachymiak – POPSU
Arvieu. Ph. Claire Jachymiak – POPSU
Arvieu. Ph. Claire Jachymiak – POPSU
Arvieu. Ph. Claire Jachymiak – POPSU

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