Après les mesures d’urgence – il y a deux ans de travail pour ramasser les bois brûlés – la collectivité lance un appel à volontaires pour associer la population traumatisée et co-construire un projet de territoire. Et de le rendre résilient. En attendant les conclusions de la mission interministérielle, le département anticipe : par exemple, en identifiant les lieux comme d’ex-caves coopératives pour stocker l’eau et doter les pompiers d’équipements adéquats.
Du mardi 5 au au samedi 9 août dernier, plus de 2 000 pompiers ont lutté contre un mégafeu dans les Corbières (Aude), qui a ravagé 11 133 hectares, tué une femme, blessé une vingtaine de personnes et détruit 35 habitations. Ce n’est pas pour rien que s’étaient affichés des petits panneaux de remerciement un peu partout. La population, traumatisée, n’a pas oublié. Loin de là. “Pour les habitants, c’est un sujet de préoccupation perpétuel…”, confirme Hélène Sandragné, présidente du département de l’Aude, au four et au moulin. Et qui compte bien se servir de ce malheur pour que ce territoire en devienne résilient.
Cette approche positivement offensive avait débuté par une demande, celle d’Hélène Sandragné réclamant depuis à l’Etat que les règles de financement évoluent et que les assurances paient davantage. Selon le colonel Christophe Magny, directeur du Sdis 11, la valeur du sauvé sera sans doute très importante. Sachant que 45 000 hectares et 12 villages et plusieurs centaines d’habitations ont été préservés.
C’est aussi un grand mouvement de solidarité et de générosité. Tout le monde a souhaité mettre sa pierre sur le chemin”
En septembre dernier, l’Aude et l’Occitanie, étant particulièrement exposées aux risques liés au réchauffement, Carole Delga et Hélène Sandragné, présidente de région et du département de l’Aude, réclamaient la reconnaissance de ces feux comme aléas climatique, comme Dis-Leur vous l’a expliqué. Et demandaient, au-delà des mesures prises, que joue la solidarité nationale et même au niveau européen pour que notre région bénéficie de financements à la hauteur de l’enjeu. Trois mois après le plan inédit dit “d’habitabilité” de 20 M€, la majorité départementale a souhaité faire un point d’étape baptisé la Force de renaître pour les Corbières.

Hélène Sandragné dit en préambule : “C’est le devoir des élus de dire où nous en sommes. Ce qui s’est passé dans ce grand mouvement c’est aussi un grand mouvement de solidarité et de générosité. Tout le monde a souhaité mettre sa pierre sur le chemin. Parallèlement aux initiatives privées, superbes, les institutions comme le conseil départemental, la région et l’Etat qui ont aussi lancé des initiatives. Il faut pouvoir dire aux habitants on en est là. Pour eux, le temps est long. On ne reconstruit pas en deux temps, trois mouvements.”
“Les habitants ont exprimé le désir de participer à cette reconstruction et dire le territoire qu’ils souhaitent”
Dans un premier temps, “il y a eu des urgences à traiter ; enlever, par exemple, des embâcles dans les rivières ou des routes à déblayer ; pour l’ONF, des zones prioritaires étaient à traiter”. Désormais, place à la réflexion collective. “C’est ce que nous appelons les écoutes territoriales. Concrètement, nous avons certes élaborer des plans : la région, nous et l’Etat. N’oublions pas qu’il y a une mission interministérielle en cours dans l’Aude depuis un mois et qui rendra ses conclusions d’ici quelques jours. Les habitants ont exprimé le désir de participer à cette reconstruction et dire le territoire qu’ils souhaitent. C’est un territoire de vie, un territoire d’envie“, formule Hélène Sandragné.
“Cette démarche citoyenne, définit-elle, nous la portons déjà dans nos actions à travers nos budgets participatifs, le conseil départemental des jeunes, etc. Avec la volonté de faire vivre cette démocratie.” Cela se traduit par “une méthode de concertation citoyenne. Ascendante. Non interventionniste. L’idée est de faire émerger des co-constructions de solutions pour venir enrichir la réflexion pour construire un projet de territoire ensemble”.
Un appel à volontaires est lancé

Ce temps de démocratie participative est porté par une association, l’Unadel (Union nationale des acteurs et structures du développement local), la même qui était intervenue après la catastrophe de la vallée de la Roja, ravagée par la tempête Alex en 2021. Ce sera organisé sous forme d’ateliers, avec des chercheurs… Selon des thèmes prédéfinis : habiter, travailler, agir ensemble, la transition écologique, le vieillissement de la population, la question agricole… “Dans un premier temps, ils vont mener une cinquantaine d’entretiens. C’est pour cela que nous avons lancé un appel à volontaires. On en attend l’identification de lignes force et des propositions“, note Hélène Sandragné.
Ces entretiens individuels, collectifs, ou sous la forme de “café citoyen” se dérouleront les 11, 12, 13 décembre et les 5 et 6 janvier, pour une restitution prévue fin février. Ces rencontres visent à recueillir un avis représentatif de la population en prenant en compte des habitants de différentes catégories socio-professionnelles et de tranches d’âge variées. Les thèmes déjà ciblés sont les transitions, autant écologique que sociale, l’habitat, l’emploi et l’action collective. Toute personne souhaitant participer est invitée à se rendre en mairie ou à appeler le 06 78 12 43 77 ou le 06 78 42 13 81.
Le titre des écoutes en corbières c’est “habiter, vivre, agir ensemble… pour renaître”. Vice-présidente du département chargée notamment de la démocratie, Valérie Dumontet éclaire : “De ces entretiens, l’Unadel n’en fait rien. Ces spécialistes sont clairs : c’est au territoire écouté de s’emparer de la restitution pour agir. C’est un élément que nous avons intégré. Pour nous, les écoutes sont une première étape d’un processus plus long d’un plan d’action de trois ans. l’intervention de l’Unadel s’arrête après la restitution. Mais nous continuerons le processus après leur intervention. Une différence entre la Roja et les corbières c’est la temporalité. La Roja c’était quatre ans après le traumatisme, là c’est quatre mois après. L’un des maires écouté ce mercredi soir m’a confié que c’était une démarche très importante et qu’il avait hâte d’entendre la restitution qui aura lieu le 19 février. Lui ce soir, Il a parlé 1h30.” A noter une séance collective d’écoutes le 5 janvier à Coustouge au foyer de l’ormeau. Quant à la restitution de ces “écoutes territoriales” aura lieu le 19 février à 18 heures au foyer de Saint Laurent de la Cabrerisse.
Le département se charge de collecter le bois mort
La démocratie et l’écoute c’est bien mais ce n’est pas tout. “Il y a deux autres aspects importants : nous allons mettre en place une DIGU, reprend la présidente du département de l’Aude. C’est une déclaration d’intérêt général d’urgence. C’est une disposition juridique permettant aux départements d’activer un dispositif après accord du préfet pour que le conseil départemental soit en charge, à la demande des maires, de l’évacuation du bois mort. Il y a deux ans de travail. Dix-sept communes sont concernées ; il y a une propriété foncière très morcelée. Et très plurielle : Etat, communes, département dont l’un de nos domaines a flambé et des privés. Nous sommes sur 62 % de forêts publiques et 48 % de forêts privées. L’Etat nous a autorisé à nous occuper de cela au niveau départemental à la place des maires qui n’auraient pas pu y arriver tout seuls. Il s’agit de coordonner et de réaliser les interventions d’enlèvements.”
Propriétaires privés : un an pour traiter les bois morts

Quid des propriétaires privés ? “Certains ne souhaitent pas s’inscrire dans ce dispositif. Nous le respectons mais nous y mettons certaines conditions. Nous, ce bois mort nous le vendrons et cet argent sera récupéré paiera les travaux et, si on le peut, il pourra être réinvesti dans la défense de la forêt contre les incendies. Il y en a jusqu’en 2027. C’est une opération transparente qui ne nous rapportera pas un centime. Les privés vendront le bois s’ils le veulent mais nous n’interviendront pas dans leur zone. Certains veulent garder le bénéfice de la vente des bois. Mais nous leur donnons un an pour réaliser les travaux sinon nous serons à même d’intervenir. C’est très important : les habitants des Corbières, tous les matins, quand ils ouvrent leurs volets, ou qu’ils prennent la route, ils voient des bois brûlés à perte de vue.”
Parallèlement, “nous faisons une réunion avec le préfet pour mettre un coup d’accélérateur, avec les intercommunalités, sur tout ce que l’on va mettre en place pour défendre les massifs et les protéger contre l’incendie. Normalement, c’est une compétence communale. Mais les bois ne connaissent pas forcément les limites d’une commune”.
Enfin, il y aura une campagne de communication pour soutenir le tourisme dans l’Aude. “Au printemps, nous ferons une nouvelle campagne sur fond de candidature à l’Unesco des forteresses royales”, comme Dis-Leur vous l’avait expliqué ICI.
Campagne de communication à venir
Une première campagne de communication, (Re)venir, c’est soutenir, avait été diffusée cet été par l’Agence de développement touristique. C’est ensuite la campagne du département La Force de renaître, lancée en septembre concomitamment au lancement du plan pour les Corbières, qui a été affichée sur l’ensemble du territoire. Un message porteur, récompensé du prix de l’Innovation aux Assises des départements de France à Albi, le 13 novembre dernier. Et donc, au printemps 2026, une nouvelle campagne touristique sera lancée dans la dernière ligne droite de la candidature des Forteresses royales du Languedoc au patrimoine mondial de l’Unesco, portée par le Département de l’Aude, et qui connaîtra son épilogue l’été prochain.
Une étude pour stocker l’eau brute au cas où…

Où en est-on de la ressource en eau ? “Nous attendons les conclusions de la mission interministérielle qui donnera aussi un avis là dessus. Dans notre plan, on a dit que l’on s’engagerait financièrement pour soutenir des forages – pas n’importe où et pas n’importe comment – les retenues collinaires, idem. Il y aussi les études menées sur Aqua-littoral avec la région Occitanie. L’étape suivante ce sont les pistes de cette mission.” Pour les viticulteurs, “les aides de l’Etat sont arrivées. Mais elles règlent le problème de la récolte de cette année. Et après…? Elles ne disent en rien comment on transforme le territoire au niveau agricole ; est-ce que l’on replante ? On replante où…? Et on ne peut pas replanter n’importe quoi…” (lire dessous).
Hélène Sandragné précise : “Nous avons aussi lancé une étude avec la chambre d’agriculture, coop de France, et le Sdis sur le stockage de l’eau brute. Pourquoi ? Parce que, quand nos avons été confrontés au mégafeu, à moment donné, nous avons été obligés de puiser de l’eau potable… dont nous manquons. Cette eau pourrait être prise dans les piscines, par exemple. D’endroits qui peuvent être vidangés. L’idée, c’est que l’on puisse doter les pompiers d’équipements adaptés pour cela. D’où cette étude pour identifier quelle eau pourrait-on prendre et à quels endroits pourrons-nous la stocker. Par exemple dans d’anciennes caves coopératives.” Les défis sont nombreux.
Olivier SCHLAMA
Les mesures d’urgence déjà réalisées

Dans un premier temps, l’Office national des forêts (ONF) a procédé à la sécurisation des bords de pistes au sein des 16 communes touchées par le méga feu. Au niveau des routes départementales, les glissières de sécurité ont été renouvelées sur la RD 212 entre Ribaute et Lagrasse. Les services du département ont aussi enlevé des chutes de cailloux présentant un risque sur la RD 123. Sans oublier les cours d’eau, qui ont été sécurisés par le Syndicat mixte des milieux aquatiques et des rivières (SMMAR) sur le bassin versant de la Berre et celui de l’Orbieu. Concernant le soutien agricole, une aide financière d’urgence a déjà été affectée à l’analyse des goûts de fumée des raisins.
Les prochains axes du plan
En matière de soutien agricole, le département prévoit la résorption des friches, l’aide aux coopératives d’utilisation du matériel agricole (CUMA), le pass “petits investissements dans les exploitations agricoles” avec l’aide de la Région, et l’investissement dans les espaces pastoraux collectifs.
Pour la partie environnementale, le plan comprend l’expérimentation de plantations d’essences forestières adaptées aux changements climatiques (chaleur et stress hydrique) avec l’appui de la pépinière départementale. Ainsi, au domaine de la Mugue, une propriété du département située entre Durban et Fontjoncouse, des pistachiers d’Amérique, des caroubiers et des chênes du Mexique et de Californie quelque 150 arbres vont être plantés à titre expérimental. “Pour voir comment ces espèces réagissent au milieu. Parce que planter coûte cher. On en profitera pour récolter des graines”, confie Hélène Sandragné. Le plan prévoit aussi la préservation du foncier agricole ou encore la replantation d’arbres sur le linéaire départemental.