Invités à exposer plusieurs décennies de leur travail sur les dominants, à Frontignan, les Pinçon-Charlot dénoncent ces “riches qui s’adaptent toujours”. Une exposition… riche !
“On est même invités à l’université d’été du Medef !” La jubilation subversive est toujours présente chez les Pinçon-Charlot mais elle ne s’affiche jamais comme une médaille, encore moins comme une richesse. C’est une reconnaissance, une consécration qui ne souffre d’aucune critique. Pour les puissants qui leur ouvrent leurs portes en permanence depuis des décennies, de recommandation en recommandation, inviter et “choyer” les Pinçon-Charlot, c’est finalement remercier ces sociologues atypiques qui ont su si bien décrire ce guetto du gotha, comme ils ont titré l’un de leurs fameux ouvrages (2007). C’est pour les remercier en creux de cette légitimation. De donner une existence à la classe dominante. Être démasqués, les riches s’en soucient comme de leur premier sou. Peut-être que l’un de ces lieux de pouvoir, abondamment cité par les époux Pinçon-Charlot accueillera-t-il un jour cette magnifique expo ?
Tout est marchandisé, même les mères porteuses”

Pourquoi les riches ne tremblent-ils pas ? “Ils s’adaptent, toujours, les riches… Regardez les plus grandes fortunes mondiales s’achètent des îles en vue de se protéger du réchauffement climatique. La canicule ? C’est la faute aux riches !”, claque la plus expressive et loquace du couple. Une fatalité avec laquelle elle compose mais à laquelle elle ne se résout pas. N’allez pas leur dire que les riches sont utiles qui créent de la richesse. “Ils les pillent ! Toutes les richesses de la nature : c’est la nature-même du sytème capitaliste. Jusqu’au fin fond de l’Inde, tout est marchandisé, même les mères porteuses.”
Si j’ai, par exemple, des actions l’Oréal. Eh bien, si mon action que j’ai payée 100 euros dévisse à 50 euros, je peux demander au fisc français de me rembourser les 50 euros perdus, sous forme de crédit d’impôt ! Ce genre de choses s’est accentuée depuis Macron qui aide les riches…”
Monique Pinçon-Charlot.
La sociologue poursuit : “Le capitalisme boursier mise même sur des produits financiers où l’on peut parier sur l’avenir de la planète ! C’est un banquier qui nous l’a expliqué, sous couvert d’anonymat. Les spéculateurs des beaux quartiers peuvent acheter, même pour des sommes modestes, trois euros, un “droit d’achat de spéculer à la hausse ou à la hausse du baril de pétrole.” Mieux : “Si j’ai, par exemple, des actions l’Oréal. Eh bien, si mon action que j’ai payée 100 euros dévisse à 50 euros, je peux demander au fisc français de me rembourser les 50 euros perdus, sous forme de crédit d’impôt ! Ce genre de choses s’est accentuée depuis Macron qui aide les riches et qui est un prestidigitateur, un manipulateur. Entre ce qu’il dit et ce qu’il fait, pff… Ce sont les plus pauvres qui vont morfler.”
Et pas qu’en Europe. Pour les Pinçon-Charlot, le réchauffement climatique est une aubaine pour les puissants : “Ce que les nazis ont fait, en créant des camps de concentration, ce ne serait plus possible aujourd’hui. En revanche, le dérèglement climatique que l’on laisse faire et qui touche 3,5 milliards de personnes sur la planète va faire ce sale boulot. Des populations entières vont en mourir. Pendant ce temps, les riches et les ultra-riches, eux, s’organisent comme le fait Mark Zuckerberg, P.-D.G. de Facebook, qui a acheté une île tout équipée pour être auto-suffisante et ce, pour quatre générations… On assiste à une vraie guerre de classes”, comme l’expliquent d’autres chercheurs toulousains sous le prisme des Gilets jaunes.
Mon père était employé dans l’ancêtre de la BNP d’aujourd’hui…” Une petite main exploitée par le grand capital qui arrivait le soir à la maison ruisselant de sueur.”
Pour ces anciens directeurs de recherche au CNRS, les riches, les bourgeois, les puissants, c’est une idée fixe. Au point d’être au coeur d’une bande dessinée qu’ils ont écrite. Un fond de commerce bienveillant : eux qui n’ont de cesse de détricoter l’accaparement indu et permanent des richesses par quelque-uns sont des héros subversifs. Rapports, émissions de TV et interviewes, livres à foison et même donc une BD très marrante, dessinée par Étienne Lecroat. Mais ils n’oublient jamais d’où ils viennent. Lui, Michel Pinçon, 76 ans, originaire de Charleville : “Mon père était employé dans l’ancêtre de la BNP d’aujourd’hui…” Une petite main exploitée par le grand capital qui arrivait le soir à la maison “ruisselant de sueur”… On n’en saura pas davantage.
Aussi loin que je me souvienne, je voulais que mon sujet d’étude soit fait de chair et de sang”
Sa femme le tire par la manche et veut que nous voyions la belle ouvrage qui nous regarde. Bienvenue chez les riches est une expo étonnante, faut dire, visible à l’espace Izzo, à Frontignan, lors du Firn (Festival international du roman noir) qui vient de se terminer et conçue par Raphaëlle Perret (1). L’ironie y tient une place majeure. Une ironie tout sauf vulgaire. Une ironie à la Jankélévitch. Puissante. Nerveuse. Et qui montre à voir et à comprendre. “C’est une ironie qui dit : je ne suis pas dupe, impertinente. Qui donne envie de ne pas se laisser faire.” Tout accablée par la canicule qu’elle “supporte mieux à Frontignan qu’à Paris”, elle, Monique, regard rieur, toute pimpante même à 73 ans, d’une voix qui fait tendre l’oreille : “Aussi loin que je me souvienne, je voulais que mon sujet d’étude soit fait de chair et de sang”, dit la fille d’un ex-procureur à Mende (Lozère).
Avez-vous l’étoffe d’un bourgeois ? L’expo rend le test rigolo possible
L’expo n’a rien de clinquant. Bien au contraire. N’était le CV de ces sociologues, personne ne s’attarderait devant cette dizaine de panneaux de bois supportant pourtant un cheminement intelligent. Avec une volonté de simplicité sans obéir au simplisme. Les Pinçot-Charlot sont figurés dans une BD qui sert de fil rouge. Qui ouvre les yeux. Le visiteur peut par exemple savoir s’il a “l’étoffe d’un bourgeois”, en remplissant un test rigolo sur une feuille de papier accrochée au tableau. C’est une expo qui interagit avec connivence.
Dès le début, les citations de Macron empilées révèlent la vraie teneur de ses propos pro-riches comme un palimpseste. Elles s’ouvrent sur tout un travail sociologique sous-jacent. Une expo qui expose sa clairvoyance. C’est une expo globale qui a demandé des mois de travail à Raphaële Perret et son équipe, rassemblant tous les documents du couple de sociologue “jusque dans leur grenier”.
L’affaire est pliée on a gagné quelques batailles mais presque perdu la guerre, sauf si les gens se mettent en colère”
C’est une “sociologie critique qui montre comment font les dominants pour toujours s’en sortir…” Attachées à presque chaque chapitre, il y a même des visionneuses qui proposent d’aller plus loin que ce qui est longuement expliqué dans l’expo. “Au plus près des faits.” Un rouleau de papier toilettes collé sur le Code du travail ; Bernard Arnault, le plus riche de France et l’un des plus fortunés du monde, dont le portrait est fait de dizaines de petites photos d’ouvriers anonymes… Il y a toute une violence symbolique ainsi représentée par les Pinçot-Charlot. Celle aussi des médias de plus en plus concentrés qui appartiennent à quelques milliardaires impliqués dans la “grande évasion des capitaux”, etc.
Révoltons-nous ; résignons-nous ; Que faire ?
Le couple, qui est désormais une marque (on dit : “Les Pinçon-Charlot”), n’a pas oublié les théories de leur collègue Bourdieu. Leur credo à travers cette expo qui déconstruit le capitalisme ? “Associer la rigueur du discours sociologique à l’impertinence”. Leur axe de travail depuis des décennies ? Les riches, les puissants, les héritiers. “C’est une véritable classe sociale arc’boutée pour défendre sa place.” Sont-ils optimistes sur un rééquilibrage des richesses ? “L’affaire est pliée. On a gagné quelques batailles mais presque perdu la guerre, sauf si les gens se mettent en colère”… souffle Monique Pinçon.
En écho, le dernier montage de l’expo, ce panneau où si l’on penche à gauche, on peut lire : Révoltons-nous ; si on penche à droite : Résignons-nous et si on reste au milieu de l’ultime tableau se pose la question : Que faire ?
Olivier SCHLAMA
(1) Avant Frontignan, l’exposition a été présentée à Arras. Elle sera ensuite visible à la Fête de l’Humanité en septembre, Lille en octobre… Elle est amenée à être vue dans d’autres villes.
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