Agriculture : “L’apport des Arabes à notre alimentation dans le Midi a été déterminant”

Jérôme Ros, sur le terrain. Ph.DR

À l’heure du Mercosur, de la mondialisation et de la révolte agricole, notre passé est source d’enseignements. C’est la conclusion que l’on tire des travaux passionnants de Jérôme Ros sur les sociétés anciennes médiévales. Né dans les P.-O., archéobotaniste à Montpellier, il vient de recevoir la médaille de bronze du CNRS. Le scientifique a notamment mis en évidence “la grande capacité d’adaptation des sociétés médiévales face aux changements climatiques, politiques et économiques”.

Ce que l’on mange fait société. Au carrefour des pratiques et des moeurs, l’archéobotaniste le certifie : “L’apport des Arabes à l’alimentation des populations du Midi a été déterminant. Ils ont enrichi notre patrimoine alimentaire.” Celui qui parle, c’est un scientifique, Jérôme Ros. Archéobotaniste au CNRS à Montpellier, l’homme est né dans une terre, les Pyrénées-Orientales, humainement riche et où l’on sait ce que agriculture et alimentation signifient. Et ce depuis la nuit des temps.

Originaire de Saint-Laurent-de-la-Salanque, Jérôme Ros est chargé de recherche CNRS l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier (1), Jérôme Ros explore l’histoire de l’agriculture et des forêts en Méditerranée occidentale (France, Espagne, Maroc) durant le Moyen Âge. Ses travaux, atypiques, viennent d’être couronnés par la médaille de bronze du CNRS pour l’encourager dans sa démarche qui font rayonner cette science jusqu’à des confins internationaux.

Restes de plantes vieux parfois de plusieurs millénaires

Jérôme Ros. DR

Ces travaux qu’il mène sur toute la Méditerranée occidentale s’emparent avec des restes de plantes et fruits vieux de plusieurs siècles à plusieurs millénaires – graines de céréales, fruits, plantes y compris sauvages, charbons de bois témoignant du combustible utilisé…- qu’il met au jour dans des sites archéologiques. Il sait retracer les cultures et l’agriculture, de l’alimentation et des forêts qui, dès le Moyen-Âge, ont été pratiquées sur un sol – principalement sur ceux du Sud de la France, mais aussi en Espagne et au Maroc à peine séparées par mare nostrum – les savoirs agricoles et les paysages façonnés par les sociétés anciennes. Ses recherches dévoilent les plantes consommées, les gestes techniques, comme le battage des céréales, le pressurage des olives, l’irrigation, ou encore l’usage du bois comme ressource.

“De nouvelles plantes comme le riz, la canne à sucre, l’aubergine ou l’épinard, une plante d’origine asiatique”

En croisant archéobotanisme, archéométrie et histoire, ses recherches contribuent ainsi à la connaissance des campagnes de Méditerranée occidentale à l’époque médiévale, et éclairent la manière dont les sociétés anciennes ont transformé leur environnement au fil du temps. Y compris pendant les guerres de conquête ! “Au début du Moyen-Âge arrive ce que l’on appelle l’expansion musulmane médiévale : la conquête de l’Afrique du Nord et de l’Espagne. Quand ils arrivent dans ces terres conquises, au VIIIe siècle (l’Espagne reste chrétienne jusqu’au XVe et XVIe siècles, le dernier bastion, c’est Grenade), ils mettent en place une révolution agricole. Ils apportent de nouvelles plantes comme le riz, la canne à sucre, l’aubergine ou l’épinard, une plante d’origine asiatique, d’Asie centrale.”

Quand on mange une ratatouille, on pense que ce sont des plantes typiques depuis longtemps ; en fait, l’aubergine est arrivée au Moyen-Âge”

Jérôme Ros, du CNRS à Montpellier

Les agrumes étaient, certes, connus des Romains. “Mais les Arabes ont favorisé leur développement à grande échelle grâce à une technique d’irrigation qu’ils ont amené avec eux du Proche-Orient. Comme la roue à eau, des norias, comme on peut encore en trouver en France, en Espagne et au Maroc qui permettaient de puiser l’eau et de l’amener plus haut », précise Jérôme Ros.

En clair, sous l’influence de la guerre et des conquêtes, les Arabes ont aussi amené du positif, dans l’alimentation. “Ils ont apporté certaines plantes qui sont encore dans notre alimentation aujourd’hui : l’aubergine ou l’épinard, par exemple. Quand on mange une ratatouille, on pense que ce sont des plantes typiques depuis longtemps ; en fait, l’aubergine est arrivée au Moyen-Âge. Avec la conquête des Amériques, d’autres plantes sont arrivées encore plus tard, comme la tomate. Dates, figues sèches, raisins secs, les Romains les connaissaient déjà. Les Arabes, eux, ont favorisé le commerce à grande échelle des fruits secs. On voit que dans la France chrétienne du Moyen-Âge des produits qui arrivent de l’Espagne musulmane.”

Au plus près de l’intimité des paysans

DR

Cela permet de comprendre deux choses. La première, c’est que “l’histoire que j’aborde, ce n’est pas la grande histoire de la guerre, du clergé… C’est l’histoire des paysans et de leur quotidien. A l’époque, 90 % de la population était paysanne.” Son travail consiste à documenter ce quotidien, comme on le fit pour les Egyptiens. Au plus près de l’intimité. Pour savoir comment les gens vivaient à cette époque, ce qu’ils cultivaient et mangeaient. Et comment ces gens qui découvraient de nouveaux produits, les ont intégrés jusqu’à le transmettre de génération en génération. Jusqu’à aujourd’hui. “Cela permet de comprendre ce qui formait la base de la société.” Et d’essayer d’en tirer enseignement.

Jérôme Ros a également mis en évidence que “lorsque les romains s’installent en Gaule, ils favorisent certaines ressources végétales, notamment sur le pourtour méditerranéen, au poins de spécialiser parfois la production agricoles (blé, orge, vigne). Il montre également qu’ils ont introduit certaines plantes qu’on considère aujourd’hui comme faisant partie du patrimoine naturel de cette région (par exemple le cyprès).”

“La société, c’est avant tout ce que l’on mange, formule-t-il. Ce que l’on a tous en commun c’est l’alimentation. Dans une société où tout le monde produit sa ressource, il y a un patrimoine alimentaire varié. Et de comprendre ce qui a de l’influence : des politiques, le climat, le paysage, à quoi on s’adapte, à quoi on répond et comment on fait évoluer les choses et en fonction de quoi…”

On arrivait à maintenir des populations sur un même terroir pendant des générations… Et ça on l’a perdu avec la mondialisation”

Le passé peut ainsi éclairer notre futur, s’agissant au moins du réchauffement climatique. “A des époques, nous avions des façons de cultiver la terre plus raisonnables et plus raisonnées ; on la laissait se reposer, s’enrichir. Dans certaines régions, comme le Roussillon, la chute de l’Empire romain permet aux paysans de regagner une certaine autonomie et de revenir à un modèle agricole plus raisonné, favorisant la diversité, permettant d’assurer une meilleure sécurité alimentaire lors des mauvaises années. Du coup,  on arrivait à maintenir des populations sur un même terroir pendant des générations… Et ça on l’a perdu avec la mondialisation.”

“Le millet, celui que l’on donne aux oiseaux, c’est une plante qui a disparu de notre alimentation…”

Jérôme Ros a reçu la médaille de bronze du CNRS. DR

Le second enseignement des recherches de Jérôme Ros ? Il a mis en évidence “la grande capacité d’adaptation des sociétés médiévales face aux changements climatiques, politiques et économiques”. Il dit : “Certaines denrées de l’époque ne se consomment plus aujourd’hui, principalement à cause de la mondialisation, on consomme toujours les mêmes plantes. On a une alimentation normalisée. Je recherche le panel de toute cette alimentation médiévale parce que cela peut aussi servir pour le futur. À une époque, certaines plantes étaient plus résistantes, consommables, qui avaient une richesse alimentaire. Et on les a perdues avec la mondialisation. Le millet, par exemple, celui que l’on donne aux oiseaux, c’est une plante qui a disparu de notre alimentation et qui faisait jadis partie de notre base alimentaire. D’autres plantes, sauvages, aussi.”

Il y a douze ans, pour sa thèse, il avait travaillé sur les P.-O. pour y décrypter comment les romains, dans cette partie-là de la Gaule, avaient amené à une spécialisation de la production agricole. Et comment avec la chute de l’Empire romain les paysans du Roussillon avaient retrouvé une certaine liberté dans le type de productions ; ils faisaient une agriculture beaucoup plus polyvalente avec beaucoup plus d’espèces. C’était une agriculture plus raisonnée : elle n’était pas centrée sur quelques produits.

Olivier SCHLAMA

  • (1) Isem : Unité mixte de recherche CNRS, Université de Montpellier, IRD.

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