P.-O./Catalogne : Mémorial de Rivesaltes, “navire amiral” d’un tourisme de mémoire

Expo Bartoli au Mémorial du camp de Rivesaltes. Ph. Mémorial du Camp de Rivesaltes.

Retirada, l’exil des Juifs qui fuyaient Vichy et les nazis vers l’Espagne… Sept lieux de mémoire, dans les P.-O. et en Catalogne, s’associent pour un projet inédit d’envergure, baptisé Réseau Exilis : expos communes, pass mémoriel, événements, échanges, ateliers… Une première initiative culturelle à bénéficier de l’aide financière de l’Europe.

Faire désirer les indésirables. À Rivesaltes, on n’est pas dans un lieu de réparation de la mémoire des guerres mondiales, comme en Normandie, où l’on fêtera cette année le 80e anniversaire du Débarquement. Le Mémorial du Camp de Rivesaltes, qui fêtera, lui, ses dix ans en 2025, est la tête de pont d’un circuit mémoriel – le Réseau Exilis – avec le mémorial du camp Argelès, la Maternité suisse d’Elne, le Château royal de Collioure, le musée de l’Exil, à la Jonquera, et le Mémorial démocratique et la Direction générale de la mémoire démocratique de Barcelone. Ces lieux de mémoire, qui partagent une culture commune, s’associent dans une oeuvre commune en mettant leurs compétences en réseau.

“C’est une première et c’est historique”

Expo Bartoli, Mémorial du Camp de Rivesaltes. Ph. Mémorial du camp.

Financé par le programme européen, dit Interreg Poctefa (Programme opérationnel de coopération territoriale Espagne-France-Andorre), ce projet innovant fédère ces lieux de réparation autour d’une mémoire contemporaine commune du début de la guerre en Espagne, en 1936, à la fermeture de la frontière en 1946. Cette somme couvre 65 % des dépenses engagées sur trois ans. “C’est une première. C’est historique et cela dit une chose : ce projet entre dans la logique des commissions européennes”, fait remarquer Céline Sala-Pons, directrice du Mémorial du Camp de Rivesaltes qui propose actuellement une expo-événement sur les gens du voyage.

Le 4 avril, le Mémorial du camp de Rivesaltes accueillera le lancement officiel du réseau Exilis (exil en catalan), en présence des représentants des sept partenaires concernés et de Gemma Ubasart-Gonzalez, ministre de la Justice, des Droits et de la Mémoire de la Generalitat de Catalunya, Agnès Langevine, vice-présidente de la région Occitanie et Hermeline Malherbe, présidente du département des Pyrénées-Orientales.

Rivesaltes, Argelès, Elne, Château royal Collioure, musée de l’Exil, Mémorial démocratique et la Direction générale de la mémoire démocratique de Barcelone

Mémorial du Camp de Rivesaltes. Ph. Olivier SCHLAMA

Dans ce programme d’actions inédites, des expos temporaires seront mises en commun communs entre ces sept lieux de mémoire dans le cadre d’un accord cadre transfrontalier. L’objectif est d’y favoriser la circulation des publics, des ressources scientifiques et culturelles en “mutualisant nos productions” et en amplifiant les actions de ces institutions publiques de part et d’autre de la frontière.

Parmi les premières idées est venue naturellement celle de faire circuler la magnifique exposition Josep Bartoli, déjà présentée à Rivesaltes. “On peut imaginer prochainement une cartographie des balisages de sentiers également, confie Céline Sala-Pons. On s’est rendu compte que les migrants, aujourd’hui, empruntent les mêmes chemins que ceux d’hier… Des séminaires et des ateliers pourront également y être montés. On disposera, aussi, d’une signalétique commune avec des écrans tactiles dans chacun des sites qui donneront des informations sur les autres sites de mémoire auxquels nous sommes associés.

“Que la frontière avec l’Espagne ne soit pas coupure mais couture”

Cette initiative, unique en son genre, ce circuit mémoriel entre la France et l’Espagne, en revient en premier lieu à la présidente du département des P.-O., Hermeline Malherbe, en 2019, qui avait signé une convention de coopération des lieux de mémoire. Avec le château de Collioure, le Mémorial du Camp d’Argelès, la Maternité Suisse d’Elne, le musée de l’Exil, à la Jonquera.Passée la période du covid, le Mémorial s’était dit qu’il serait important de tous se connecter.

Expo Bartoli, ph. Mémorial du Camp de Rivesaltes.

Que le Mémorial devienne “l’interface et le navire amiral” de cette flotte mémorielle et ensuite “que la frontière avec l’Espagne ne soit pas coupure mais couture, que l’on réfléchir à imaginer une circulation de visiteurs entre ces lieux. Dans un premier temps, on a travaillé ensemble régulièrement pour établir un diagnostic de nos forces et de nos faiblesses sur chacun des sites et des enjeux que cela supposait. Ce qui a permis un rapprochement entre les structures. Puis, on a établi un programme d’actions communes et, pour cela, on est allé cherché des aides financières de l’Europe. Grâce à cela nous avons défini différents axes”, note Céline Sala.

“Un vrai public” pour ce genre d’actions en réseau

Le tourisme mémoriel rencontre un vrai succès en France. “Tout ce qui existe ; les sites de guerre, par exemple, touche au deuil. Et je préfère la distinction entre lieu de mémoire et lieu d’histoire”, professe Céline Sala-Pons. Ce circuit entre plusieurs lieux de mémoire s’appuie sur une approche réflexive : comment on se souvient avec, plutôt qu’un simple pèlerinage”, formule la directrice du Mémorial du Camp de Rivesaltes.

Céline Sala certifie, en outre, qu’il y a “un vrai public” pour ce genre d’actions en réseau. Qui intéresse, par exemple, beaucoup de Catalans du Sud qui venaient déjà au Mémorial du camp d’Argelès, tout proche. On s’est dit : “Quelles actions peut-on mener ensemble ?” Et notre grande idée, c’est la création d’un pass mémoriel qui permettrait de voir toutes les expos des sites pour une somme forfaitaire. Avec le billet au Mémorial de Rivesaltes on puisse entrer à celui d’Argelès, la Maternité d’Elne, etc. Cela va favoriser les flux des visiteurs.”

Concerts, créations artistiques, ateliers, cartographie…

Des événements communs – concerts, création artistique…- seront aussi organisés régulièrement dans le cadre de ce circuit de mémoire. Pour davantage de visibilité. Céline Sala-Pons y “croit beaucoup” qui rappelle que, “depuis janvier 2024, tout enfant qui vient à Rivesaltes se voit offrir un pass pour toute sa famille. Il est important que les enfants soient prescripteurs d’un lieu de culture. Ça leur permettra, avec ce pass mémoriel, de leur donner envie d’ailler dans les autres lieux de mémoire à Elne, la Jonquera… Tout le travail que l’on a fait sur Manolo Valiente puisse circuler jusqu’en Espagne.” Ce circuit de mémoire permettrait aussi de constituer une base de données accessible des deux côtés de la frontière. “Un exilé qui partait de Barcelone, on ne sait pas bien où il rendait ensuite, par exemple ; il y a aussi la volonté de créer une cartographie.”

Dans une dynamique d’euro-région

Céline Sala-Pons. Ph. O.SC.

Il n’y a pas que les Catalans qui s’intéressent à ces lieux. “Nous avons beaucoup de visiteurs qui viennent de toute l’Occitanie. C’est notre première clientèle. Et ceux qui auront acheté leur billet à Rivesaltes pourront aller dans les autres lieux de mémoire partenaires sans payer davantage. Tout cela pour une meilleure connaissance de notre histoire et de nos territoires.” Céline Sala-Pons va plus loin : “Nous sommes dans une dynamique d’euro-région. Le sillon avait été marqué par les volontés communes de Carole Delga, présidente de la région Occitanie, et son homologue Pere Aragonès, président de la Généralité de Catalogne.” De Montpellier à Toulouse, jusqu’à Valence et même les îles Baléares.

Un circuit mémoriel qui est davantage qu’un lieu de pèlerinage

Les lieux de mémoire les plus connus qui donnent lieu à du tourisme ? La Normandie, les champs de bataille du Nord et de l’Est de la France, le Vercors, bien sûr… Depuis vingt ans, la géographie de ces lieux de guerre et de paix s’est considérablement popularisée. Dunkerque y raconte, par exemple, un épisode de la Seconde Guerre mondiale. Dans un autre registre, le tourisme lié à la mémoire de l’esclavagisme s’est aussi développé dans des villes comme Bordeaux ou Nantes. En 2017, l’ensemble de ces lieux de mémoire avaient accueilli près de 12 millions de visiteurs. Et quand on regarde à la carte de fréquentation de ces sites emblématiques, la prédominance dans le Nord et l’Ouest de la France est flagrante, territoires marqués par les guerres mondiales et la résistance auxquelles on a voulu il y a des décennies rendre hommage. Désormais, les P.-O. et la Catalogne offrent davantage qu’un simple pèlerinage avec ce circuit mémoriel.

Olivier SCHLAMA

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