Un plan de 100 M€ sur dix ans : Lourdes, le miracle renouvelé !

"J'ai eu vingt-sept minutes d'entretien privé avec Emmanuel Macron à la Pointe du Cavalier, au château, un endroit magique. Là, je lui dis : "Aidez-moi !" Il me répond : "Ah oui, on m'avait bien dit que vous avez une énergie incroyable... Ok, je vais vous aider..." Photos : Ville de Lourdes.

Deuxième ville hôtelière de France, Lourdes est un cas à part. Symbole de la chrétienté mais aussi de l’ampleur de la crise. Entre le plan de relance que Macron a adoubé, celui de la Région et celui que le maire avait concocté, la cité mariale engage la mue du siècle. Redessiner le centre urbain, retrouver une attractivité en dehors des groupes de pèlerins et proposer une offre touristique diversifiée adossée aux Pyrénées. Pour Michel Pélieu, président du département, il faut “renouveler le modèle d’une ville décatie, embouteillée…” Pour le président de l’UMIH 65, il faut “s’affranchir du mono-prix, mono-clientèle et mono-produit.”

Lourdes. Le nom de la cité mariale claque comme l’étendard du tourisme catholique. Après qu’une jeune paysanne, Bernadette Soubirous (dont le maire est un descendant), eut affirmé être témoin en 1858 de l’apparition de la vierge. Ont suivi des miracles, paraît-il, et un cortège ininterrompu de millions de pèlerins devant la fameuse grotte Massabielle, jusqu’au covid-19 qui a fait de Lourdes “une ville morte”, selon le mot de son maire. Cent soixante quatre ans plus tard, si le miracle ne sera plus religieux, il sera celui de la politique et du déterminisme. Car le modèle du tourisme “mono-prix, mono-clientèle et mono produit”, selon la formule de Christian Gélis, hôtelier et président de l’UMIH 65, est à bout de souffle (Lire ci-dessous). Une faiblesse que la crise a révélée.

Macron touché par le volontarisme du maire

Mais ces deux tourismes peuvent concorder. Le 11 février, c’était la réouverture du Sanctuaire et de la grotte ; six jours plus tard, le Premier ministre en personne est venu signer un plan de relance spécialement concocté pour Lourdes, huit mois après la visite d’Emmanuel Macron – dont des grands-parents sont Pyrénéens -, touché par la volonté de ce maire de déplacer les montagnes, fussent-elles plus hautes que ces belles Pyrénées.

“Notre département y prendra toute sa place”

Un plan avec des chiffres qui, eux aussi, claquent comme une bande-annonce : cent mesures et 100 M€ sur dix ans, dont 38 M€ de l’Etat, 8 M€ du département, 7 M€ de la commune, le restant étant apporté notamment par la Région Occitanie (8 M€ pour ce plan et 20 M€ au total sur Lourdes), l’Europe (2,8 M€), l’Agglomération Tarbes, Lourdes, Pyrénées (15 M€), l’Ademe, Pôle emploi… “C’est un maire qui a du dynamisme et notre département prendra toute sa part dans ce plan”, estime Michel Pélieu, en expérimenté président du département des Hautes-Pyrénées, pleinement partie prenante.

Trois places centrales, un pont, un auditorium…

Ce plan comporte, à court terme, d’ici 2025, trois grosses opérations et un chapelet d’actions. L’une de ces opérations, urbaine, s’attachera à refaire trois places centrales et construire des halles gourmandes pour 5 M€. Quelque 15 M€ seront investis pour construire un auditorium. Le pont Peyramale sera lui aussi refait pour 5 M€, confie Michel Pélieu, précisant, en substance, que Lourdes est certes la 2e plus grande ville hôtelière de France après Paris, avec 140 hôtels, mais qu’il faudra une montée en gamme et donc des investissements importants à réaliser.

“Renouveler le modèle d’une ville décatie, embouteillée…”

“Des pensions à 40 € ou 45 €”, ce n’est plus l’alpha et l’oméga du tourisme local… “Il faut, certes, ramener le pèlerin mais aussi des touristes… Mais il faut renouveler le modèle d’une ville décatie, embouteillée ; avec des pensions qui tirent les prix verts le bas ; il faut en changer l’image ; qu’elle devienne destination touristique et sportive…Et que son moteur économique ne soit pas seulement spirituel”, assure Michel Pélieu. Qu’elle soit, en outre, base arrière de Gavarnie et les magnifiques sommets pyrénéens.

“Que les pèlerins se transforment en touristes…”

Cette ville au budget modeste, 28 M€, a perdu au plus fort de la crise plus de 4 M€ de taxe de séjour et de droits aux terrasses, notamment. Il va donc falloir un second miracle, économique celui-là, après celui du Sanctuaire, pour effectuer une mue totale. Pour maintenir la présence des pèlerins et pour que “les pèlerins se transforment en touristes”, comme dit le maire, Thierry Lavit (SE), élu avec 60 % des voix. Troisième destination de pèlerinage catholique au monde,  avec trois à quatre millions de croyants avant la crise, Lourdes doit faire face à un modèle dépassé, en chute libre ; c’était d’ailleurs le thème de la campagne des municipales en 2020 de cet ex-manipulateur en électro-radiologie. Dans ce plan, le maire imagine justement consolider le rapport de Lourdes avec la religion ou des thèmes oecuméniques, en organisant des congrès sur la paix et même faire venir le Pape ! Avec des retombées économiques pour au moins cinq ans.

Les pèlerins, principal socle de l’économie lourdaise

Aide-toi, le ciel t’aidera, disait Jean de la Fontaine. S’en remettre à la seule puissance divine n’est donc plus de mise. L’érosion progressive de la fréquentation au cours des dernières décennies comme ses évolutions (progression de la clientèle individuelle et accueil de nouvelles nationalités) nécessitent de consolider et de renouveler les modalités d’accueil des pèlerins, qui constituent aujourd’hui le socle principal de l’économie lourdaise.

Augmenter la durée des séjours

Le maire, en bon descendant de Bernadette Soubirous, et qui a vaincu un cancer, a de l’énergie à revendre. Il veut se consacrer à 100 % à sa ville. Il veut bien sûr le maintenir une offre d’hébergement à tarif attractif pour la clientèle catholique traditionnelle mais la compléter en faisant aussi venir d’autres pèlerins (nouvelles nationalités, individuels, familles, public jeune), en travaillant sur l’augmentation de la durée des séjours ainsi que sur un allongement de la saison.

La majorité des gens viennent à Lourdes sans y dormir

Vouloir n’est pas pouvoir. Mais avec la foi du charbonnier… “Rénover, faire revivre cette ville de 13 000 habitants qui a perdu… 6 000 habitants en 15 ans (et 1 200 saisonniers qui ont quitté la ville), c’était la raison d’être de notre liste aux municipales. C‘était une Belle endormie avec une industrie hôtelière de masse basée sur la venue de groupes ; une industrie qui n’a pas forcément fait les investissements pour entretenir ses hôtels. Un chiffre parlant : en 2021, 1,150 million de personnes ont franchi la porte du Sanctuaire mais 1 million n’ont pas dormi chez nous ! Seulement 100 000. Ce système existe depuis un demi-siècle. Avant le covid, elle était déjà en état de sidération. Pas attractive, vieillissante. Je suis engagé depuis 1993, dit encore le maire. Aucun élu n’est encarté nulle part. C’est un projet de ville et de territoire.”

“Là, je dis à Macron : Aidez-moi !”

À force de réflexion, un jour, “je me suis dit : il faut faire venir le chef de l’Etat, confie encore Thierry Lavit. Ça a été six mois de boulot. Aucun président avant lui n’était venu. Là, tout bascule : j’ai vingt-sept minutes d’entretien privé avec Emmanuel Macron à la Pointe du Cavalier, au château, un endroit magique. Là, je lui dis : “Aidez-moi !” Il me répond : “Ah oui, on m’avait bien dit que vous avez une énergie incroyable… Ok, je vais vous aider.” Et j‘ajoute : “Je sors d’un cancer. J’ai voulu être maire, depuis toujours. Je le suis dans les conditions les plus dramatiques que la ville ait connues mais avec 60 % des voix. Il me demande alors mon projet.” Il dit encore : “Macron a impulsé un mouvement, une dynamique.”

Tourisme d’affaire, destination sportive…

Pour dépoussiérer l’image de Lourdes, au tourisme d’affaire et au tourisme cultuel, le maire a la volonté d’y ajouter une destination sportive (rando, rafting, vélo), en y ancrant des sports en vogue, comme le VTT pour lequel la ville est labellisée Altamonta. Avec, pourquoi pas, la création d’un pôle spécialisé au pied du Pic du Jer, à 951 mètres, de quoi organiser pas mal d’épreuves au pied des Pyrénées. Ne va-t-elle pas accueillir dans quelques jours le mondial du VTT ? “Nous avons déjà sept compétitions internationales de vélo dont le Tour de France, le Tour de France féminin…”

“Vivre une expérience à Lourdes”

Mais, au-delà, qu’est-ce qui va détourner le touriste des pentes de la réserve du Montiou ou des rives du mac de Loudenvieille pour aller à Lourdes, destination encore poussiéreuse dans l’inconscient collectif ? “Il s’agira de vivre une expérience à Lourdes. J’ai, par exemple, déjà cinq congrès en attente de la construction de l’auditorium en 2025 : en médecine ; des spectacles de haut niveau avec Renaud Capuçon, par exemple. On est aussi lancé dans le label destination pour tous. On voudrait devenir une ville internationale du handicap : c’est 25 % d’économie en plus… On a un vrai patrimoine dont le château fort pour lequel j’ai signé un programme de travaux de 14 M€ avec la Drac il y a quelques mois.”

Ville de paix, travailler sur l’attractivité

“Nous allons transformer un ex-centre de dialyse en pépinière pour start-up… Je veux aussi développer le concept de ville spirituelle mais surtout de ville de paix au moment où justement la notion de république vacille en Europe. De l’inter-religion, la médiation politique, etc. C’est mon concept de néo-rétro : s’appuyer sur nos forces – le spirituel – s’appuyer sur l’humain ; créer le lien entre le haut et le bas de la ville. Le pèlerin doit devenir touriste. Et le visiteur pourrait devenir pèlerin. En attendant que les groupes reviennent comme avant la crise, d’ici 2025, il faut donc travailler sur l’attractivité et développer notre projet : Lourdes, Coeur des Pyrénées.” 

Aux hôteliers, le président de la République le leur a bien dit : si vous n’investissez pas, vous allez mourir…”

Quant aux hôtels, “ils doivent investir. Il faut que les hôteliers arrivent à repositionner leurs hébergements. Le président de la République le leur a bien dit : si vous n’investissez pas, vous allez mourir. Les emprunts sont très bas ; il y a des aides d’Etat ; l’Ademe a une enveloppe pour rénover énergétiquement, etc. C’est le grand virage”. Et de conclure : “Le covid a mis un coup de projecteur sur Lourdes qui était la Belle endormie. Elle est bien plus qu’une ville…” 

Il y a même eu un plan Ségur spécial Lourdes. Avec 110 M€ apportés par l’Etat sur les 175 M€ du projet de construction d’un hôpital. Toujours grâce à Macron, le tronçon de quatre-voies qui y mène coûte 76 M€ à réaliser. “Eh bien, Macron a réglé le problème alors que cela fait 32 ans que l’on attend…” Et ce n’est pas fini : “On espère un second plan pour Lourdes, si Macron est réélu et si je le suis aussi.” Lourdes, le miracle renouvelé !

Olivier SCHLAMA

Christian Gélis : “s’affranchir du mono-prix, mono-clientèle et mono produit”

L’hôtelier préside l’UMIH des Hautes-Pyrénées.

La ville, qui accueille chaque année plusieurs millions de visiteurs (2,1 millions de nuitées en 2019), a connu un effondrement de sa fréquentation touristique ces “deux dernières années, avec 90 % de perte d’activités en 2020 et 80 % en 2021 et des prévisions 2022 encore frileuses”, affirme Christian Gélis, président de l’UMIH 65 (Union des métiers de l’industrie hôtelière, principal syndicat professionnel) qui vient d’écrire au Premier ministre pour l’alerter sur la situation de l’hôtellerie locale. La crise a mis un coup d’arrêt aux pèlerinages considérés comme un modèle à renouveler, et à la venue de la clientèle étrangère. À titre d’exemple, la célèbre grotte de Massabielle n’a rouvert ses portes que le 11 février 2022 après deux ans de fermeture.

Il faut certes faire des travaux çà et là mais surtout s’adapter et proposer des offres qui correspondent à des cibles touristiques plus diversifiées”

“L’hôtellerie lourdaise n’est pas en ruines. 75 % du parc, ce sont des trois et quatre étoiles. Il faut certes faire des travaux çà et là mais surtout s’adapter et proposer des offres qui correspondent à des cibles touristiques plus diversifiées.” Sortir de la pension complète pour des groupes, familles et seniors. “Nous avons écrit au Premier ministre sur la baisse énorme de la fréquentation de nos établissement de l’ordre de 90 % en 2020 et 80 % en 2021 alors qu’en moyenne en France c’était une baisse de 50 %.”

“Pourquoi ? Parce qu’il y a un décalage structurel : à Lourdes, nous recevons 80 % de groupes et 70 % d’étrangers Nous avons eu des aides, très bien [176 M€ d’aides – fonds de solidarités, PGE…- dans le cadre du “quoi qu’il en coûte”]. Maintenant, il faut arriver à se diversifier et à répondre aux besoins d’autres clientèles.” Il ajoute que “dans ces conditions avoir un maire dynamique, qui a le feu sacré, c’est une aubaine…!” Du pain bénit, ose-t-on. “Il faut s’affranchir du mono-prix, mono-clientèle et mono produit”, formule-t-il.

O.SC.