SOS Amitiés : Les moins de 14 ans de plus en plus en souffrance

C’est un fait nouveau. Dans son baromètre annuel, l’association nationale SOS Amitiés, en congrès à Montpellier, fait ce constat préoccupant qui fait écho au récent rapport de Santé publique France sur le mal-être de la jeunesse.“La progression est monumentale”, explique Ghislaine Desseigne, présidente. Parmi les raisons des jeunes “suicidaires“, les difficultés de vie en famille.

Les jeunes se sentent de plus en plus seuls. À SOS Amitiés, les 15-24 ans représentent 17  % des appelants, tandis-que cette tranche d’âge-là représente 12 % des Français au 1er janvier 2022, selon l’Insee. “Nous ressentons de plus en plus fort la pression de leurs appels.” Plus largement, la part des moins de 25 ans a sensiblement augmenté à travers les écoutes via le “chat” de l’association : 38 % contre 33 % en 2020. Ces SOS sont, en revanche, stable par mail et en augmentation au téléphone avec 18 % contre 15 % en 2020 et 12 % en 2019.

244 000 appels de plus reçus en 2022

Présidente de SOS Amitiés, Ghislaine Desseigne est à Montpellier au congrès de cette institution aux 18 000 bénévoles qui écoutent la souffrance sans juger : en 2022, ce sont 3,3 millions d’appels reçus, soit 244 000 de plus qu’en 2021. Les appels sont en hausse sensible. En plus de la solitude, un autre motif d’appel s’est greffé : la souffrance psychique. Et de la part, en effet, de plus en plus de jeunes.

Plus de 2 000 appels de moins de 14 ans identifiés

Ghislaine Desseigne, présidente nationale de SOS Amitiés.

Un mal… des mots. “Nous traitons ainsi 600 000 appels par an sur les 3,3 millions d’appels reçus, soit un appel sur cinq. Et sur ces 600 000 appels, nous avons à peu près 6 % de personnes de moins de 25 ans – que l’on arrive à identifier de cette tranche d’âge-là puisque les appels sont anonymes et confidentiels – et sur ces 6 % (30 000 à 35 000 appels environ par an) on en a eu plus de 2 000 appels de moins de 14 ans identifiés. Avant le covid, c’était à peine 500 pour ces jeunes-là. La progression est donc monumentale.”

Ghislaine Desseigne poursuit : “Ce que nous constatons c’est confirmé à l’identique par nos partenaires : pédopsychiatres, psychologues, etc. le constatent exactement la même chose, une demande de consultation pour cette population de jeunes qu’ils ne voyaient pas forcément avant.”

“Ce sont des jeunes plutôt en rupture”

Les jeunes se sentent mal dans leur peau et appellent de plus en plus SOS Amitiés, donc. Les jeunes de moins de 25 ans pensent davantage au suicide que les plus de 25 ans. Par chat, 28 % des moins de 25 ans évoquent le suicide (18 % pour les plus de 25 ans), par mail, 41 % (21 % pour les plus de 25 ans), par téléphone, 28 % (14  % pour les plus de 25 ans). “Le premier motif d’angoisse et de déprime qu’ils nous expriment, ces jeunes de moins de 14 ans, ce sont les difficultés relationnelles dans leur milieu familial, avec leurs parents. Ce sont plutôt des jeunes en rupture. C’est aussi à mettre en relation avec des adultes qui nous appellent pour eux-mêmes et nous font état des mêmes difficultés de vie de leurs propres pré-adolescents. Ils nous disent qu’ils n’arrivent pas à se comprendre, notamment.”

Cette forte progression en trois ans et qui ne diminue pas, nous alerte. Cela fait tellement écho à ce que disent les psys de ce qui se passe dans leurs cabinets…”

Ghislaine Desseine

Autre cause de leur souffrance, également liée au jeune âge de ces ados ou pré-ados : “des idées suicidaires. Sur l’expression de ces idées, ce qu’il faut remarquer, c’est que ce n’est pas forcément accompagné de conduites suicidaires. Tous les gamins qui nous appellent sont sont pas forcément anorexiques, boulimiques, ils ne se font pas de scarification, etc. Fort heureusement. Pour autant cette forte progression en trois ans et qui ne diminue pas, nous alerte. Cela fait tellement écho à ce que disent les psys de ce qui se passe dans leurs cabinets. Et puis nous n’avons pas de personnels soignants, nous ne faisons pas de suivis… Mais nous échangeons beaucoup avec les psys. À moment donné, il va bien falloir que cette question soit portée par la société. C’est une question collective : pourquoi en sommes-nous là ; quel est le rôle des réseaux sociaux.”

Ces enfants-là sont à la recherche d’un repère d’adulte avec qui ils puissent exprimer un certain nombre de pensées, qu’elles soient un peu noires mais aussi existentielles. Ils ont besoin d’un repère humain…”

La présidente ajoute : “Les réseaux sociaux jouent un rôle. Ils concernent toute la société ; dès que l’on se lève le matin, on est bombardés, on y baigne constamment… La différence entre un adulte et un enfant, c’est que l’adulte peut prendre du recul. Un enfant ne prend pas le temps de se poser, de digérer les “infos” qu’il reçoit. À 14 ans, on ne prend généralement pas beaucoup de recul. C’est un âge difficile où l’on construit sa pensée… Uu coup, quand ils nous contactent, ces enfants-là sont à la recherche d’un repère d’adulte avec qui ils puissent exprimer un certain nombre de pensées, qu’elles soient un peu noires mais aussi existentielles.”

Les pré-ados sont dans une quête de repère. Ils ont besoin d’un repère humain, c’est aussi bête que ça. Cela se concrétise d’ailleurs par le “chat” ; assez régulièrement, ils nous posent deux questions : est-ce que vous êtes un robot ? Est-ce que vous êtes un adulte ? Et ces pré-ados qui avaient déserté le téléphone – c’est une antiquité pour eux ! – l’ont repris en main. Et redécouvert parce que, derrière, il y a une voix qui leur permet de prendre justement ce recul et du lien humain. C’est la question qu’il faut se poser collectivement. Nous allons d’ailleurs travailler cette question-là avec des sociologues pour élargir le débat et apporter notre modeste pierre à l’édifice.”

Olivier SCHLAMA

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