Henri Cabanel (Hérault), Sébastien Pla (Aude) et Daniel Laurent (Charente-Maritime) ont rendu les conclusions d’une mission d’information coup de poing censée éclairer la ministre de l’Agriculture en vue de l’organisation d’Assises nationales, pierre de touche de 23 propositions pour réorganiser la filière plongée dans une profonde crise.
C’est un rapport “décoiffant”, preuve d’un «courage politique” d’une mission d’information qui jette un pavé dans la mare, ont répété à l’envi les trois co-rapporteurs, “tous viticulteurs” de profession, de la Commission des affaires économiques du Sénat dont deux sont de la région : Sébastien Pla, socialiste de l’Aude et Henri Cabanel, RDSE de l’Hérault. Le dernier étant Daniel Laurent, LR, Charente-Maritime. Le premier résume : “Nous, on y croit à l’avenir de la filière ; il y a des acteurs performants ; il y a des modèles d’organisation, notamment de maîtrise de production qui marchent bien comme en Champagne ; pourquoi ne pas les reproduire dans d’autres bassins ? Il faut accompagner la filière de la manière la plus fine et efficace possible.”
“Cette filière a encore de l’avenir mais il faut qu’elle se restructure ; qu’elle se remette en question”
Ce rapport, qui aborde aussi la nécessité de trouver des fonds pour les caves coopératives, avec “une stratégie derrière”, fera date : “C’est un signal d’alerte important”, a signalé en préambule Dominique Estrosi Sassone, sénatrice LR des Alpes-Maritimes, en avant-propos. “Cette filière a encore de l’avenir mais il faut qu’elle se restructure ; qu’elle se remette en question” ; c’est pourquoi 23 recommandations ont été formulées par les trois rapporteurs dans un travail “transpartisan”. Reste à savoir ce que décidera le gouvernement. “La ministre a été favorable à nos propositions ; nous l’avons vu quelques minutes aujourd’hui et elle nous a donné rendez-vous pour un long entretien”, a souligné Henri Cabanel.
“Nos recommandations ne sont pas forcément souhaitées par le monde viticole…”

Très peu de secteurs économiques apportent autant de valeur ajoutée. Daniel Laurent explique : “Nous avons travaillé de longs mois pour réalisé un rapport concret qui corresponde aux besoins de l’agriculture ; pour qu’elle se réforme pour résoudre la crise majeure qu’elle traverse. Nous avons fait une cinquantaine d’auditions ; rencontré 150 personnes, c’est à dire tous les représentants viticoles, de syndicats, caves coopératives, organismes… nous avons aussi voyagé beaucoup en visioconférence : en Chine, aux USA, Italie, Espagne, etc., pour comprendre la conjoncture viticole dans ces territoires. Car les difficultés ne sont pas qu’en France”, mais où la crise frappe plus durement qu’ailleurs. “Ce n’est pas pour faire un rapport de plus. Quand on dit que ce rapport décoiffe, c’est que nos recommandations ne sont pas forcément souhaitées par le monde viticole mais qui sont censées pouvoir réformer la viticulture.”
Des crises récurrentes ont été surmontées à grands renforts d’argent public : on ne peut plus continuer ! Quand ça va bien, on demande des aides pour planter de la vigne ; quand ça va mal on demande des aides à l’arrachage…”
Daniel Laurent
Le co-rapporteur de Charente-Maritime contextualise. “Le vin fait partie du patrimoine culturel, gastronomique et paysager protégé de la France. Pendant longtemps, la viticulture ronronné. Elle a eu de nombreuses crises ; des aléas climatiques, etc. mais on ne prenait pas en considération le consommateur. On se disait on verra l’année prochaine ou dans dix ans… Ça ne peut plus se passer comme cela. Economiquement, on ne peut plus : il y a des charges, du personnel, des contraintes”, affirme-t-il.
“Une bouteille d’huile d’olive se vend plus cher que certains vins sous appellations”

Par le passé, c’était possible grâce aux aides… ‘Nous avions une production abondante et de qualité et une demande importante au pays du vin, de nombreux vignobles fleurons très organisés, véritables étendards… un prestige inégalé ; une contribution à la balance commerciale décisive ; des crises récurrentes mais surmontées à grands renforts d’argent public : on ne peut plus continuer ! Quand ça va bien, on demande des aides pour planter de la vigne ; quand ça va mal on demande des aides à l’arrachage. Ce n’est plus possible. L’Etat est pauvre… Le producteur fait ce qu’il sait faire et la demande suivra ; le négociant regarde le cours du vin pour acheter au bon moment ou bien franchit la frontière pour faire ses affaires : cette époque est ré-vo-lue. Désormais une bouteille d’huile d’olive se vend plus cher que certains vins sous appellations. Dans certains vignobles, certains viticulteurs sont à bout. Jusqu’à pour certains commettre l’irréparable.“
La filière pouvait prévoir la dégradation lente et constante des mentalités, des habitudes de consommation, ce qu’elle n’a qu’imparfaitement fait”
Daniel Laurent
Comment en est-on arrivé là ? Les explications sont connues de tous. La filière pouvait-elle prévoir la succession de chocs mondiaux ? La crise du covid ? L’agression russe en Ukraine ; les droits de douanes relevés par les USA et la Chine ? Non, certes. Daniel Laurent accuse : “En revanche, la filière pouvait prévoir la dégradation lente et constante des mentalités, des habitudes de consommation, ce qu’elle n’a qu’imparfaitement fait. Des décennies de montées en gamme, à tel point que presque toute la viticulture française est sous signe de qualité et pourtant un consommateur lambda connaît-il la différence entre une AOP et une IGP ? A-t-il la moindre idée de ma hiérarchie fine au sein même des AOP…? Quand toute une filière est sous signe de qualité, l’est-elle encore aux yeux du consommateur…?”
Dans trop de vignobles, les deux familles – production et ventes – ne se parlent pas ; ne se comprennent pas ; ne s’accordent pas sur une stratégie commune…”
Aussi la principale recommandation de ce rapport consiste au cours du premier trimestre 2026 – demain ! – d’Assises de la viticulture pilotées par la ministre de l’Agriculture incluant l’ensemble des parties prenantes de l’écosystème viticole. “Ces Assises pourront prendre appui sur des travaux du plan de filière – au point mort – pour qu’elles constituent un véritable tournant. Nous proposons que ces Assises s’organisent autour d’un pacte pour l’amont – les producteurs – et l’aval – stocks, ventes – de la filière. Dans trop de vignobles, les deux familles ne se parlent pas ; ne se comprennent pas ; ne s’accordent pas sur une stratégie commune.”
“Quel est l’avenir pour les coopératives viticoles”
Le sénateur, co-rapporteur, appuie là où ça fait mal : “Pourquoi continuer à produire en masse des vins dont le maillon de distribution explique depuis des années qu’ils ne correspondent plus à l’état de la demande ? Pourquoi, côté aval, acheter des productions à vils prix alimentant des offres commerciales indignes en GMS ou importer du vin de l’étranger alors que la production a plus que jamais besoin de soutien ? Quel est l’avenir pour les coopératives viticoles nées de l’intuition ancienne d’une viticulture pionnière qu’à plusieurs on est plus forts que seul ?
Nous demandons que toute nouvelle aide à la distillation ou à l’arrachage soit conditionnée à la réussite de ces Assises et donc à l’entente entre amont et aval”
Et de proposer également : “Ce pacte devrait reposer sur deux évolutions majeures. Ouvrir les organismes de défense et de gestion à l’aval pour que celui-ci ait voix au chapitre quant aux orientations de production. L’effort demandé à la production est considérable. Il ne doit pas être unilatéral. C’est pourquoi nous proposons que ce soit lié à un engagement formel, contrôlable et contrôlé par l’Etat. Avec un indicateur clair et transparent d’un développement massif de la contractualisation dans les bassins de production qui en expriment le besoin. En outre, nous demandons que toute nouvelle aide à la distillation ou à l’arrachage soit conditionnée à la réussite de ces Assises et donc à l’entente entre amont et aval (…)”
Et de questionner dans le cas contraire : “Les banques sont-elles prêtes à accepter un surcroît de risque ? Les grandes enseignes sont-elles prêtes à entamer une réflexion sur la redynamisation des ventes et sur certaines politiques tarifaires qui parfois interrogent ? L’hôtellerie-restauration est-elle prête à modifier une politique tarifaire éloignant trop souvent le consommateur du vin à table ? L’Etat est-il prêt à apporter un indispensable soutien financier pour permettre à la filière de restructurer sa production ? etc.” Ces Assises doivent être “un point de départ d’une nouvelle viticulture française qui n’oublie pas son héritage mais au contraire qui le valorise. Les réponses ne pourront venir que de la filière et de sa capacité à dépasser ses désaccords…”
Il faut chasser en meute pour conquérir de nouveaux marchés”
Henri Cabanel
De son côté, Henri Cabanel a rappelé “le milieu très hétérogène de la viticulture. Certains bassins viticoles s’en sortent très bien comme la Bourgogne ou la Champagne – qui maîtrise leur offre et donc les prix – et moins bien à l’image du Languedoc-Roussillon ; le Bordelais ou les Côtes du Rhône. Notre volonté avant tout c’est de responsabiliser la filière et que l’union soit son fil conducteur. En allant dans les territoires, on s’est aperçus que même dans les bassins de production il y avait une certaine hétérogénéité entre ceux en caves qui avaient clairement définir leurs enjeux de commercialisation, vis-à-vis du changement climatique. Ceux qui ont défini une stratégie s’en sortent mieux que les autres. C’est vrai dans toutes les régions. Dans les salons internationaux, l’Italie, c’est un bloc ; l’Espagne, c’est un autre bloc et nous, on a les Bourguignons d’un côté, le Languedoc, le Bordeaux, de l’autre… On veut que ça s’arrête, qu’il y ait une union.” En créant notamment une “bannière France”.
Reconquérir les jeunes

“Il faut chasser en meute pour conquérir de nouveaux marchés”, a formulé Henri Cabanel. Sébastien Pla évoque aussi “la conquête des marchés à l’étranger, un choix stratégique majeur : certains marchés se ferment mais d’autres s’ouvrent. En France, le marché tient grâce au vin blanc mais il y a tout un travail de reconquête du marché français” qui passe par celle des jeunes et de la “consommation raisonnée de vin” ; des jeunes qu’il faut “culturer”.
“En France, il n’y a pas trop de vins mais trop de vins qui ne correspondent pas à des consommateurs”
“Si nous sommes encore les premiers exportateurs en valeur, nous sommes loin en volumes. quand nous exportons 12 millions d’hectolitres, l’Italie en exporte 22 millions ; l’Espagne, 20 millions. Nous avons énormément d’efforts à produire pour que nous puissions, ensemble, trouver de nouveaux consommateurs ; nous n’avons pas l’ambition de relancer la consommation ici mais d’arrêter qu’elle diminue. En France, il n’y a pas trop de vins mais trop de vins qui ne correspondent pas à des consommateurs. Il faut trouver des solutions dans la segmentation du marché. Et que la filière s’en empare : nous importons 4 à 5 millions d’hectos, notamment des vins d’apéritif et les entrées de gamme. Ces vins, nous sommes persuadés que nous pouvons les fournir. Encore faut-il que les producteurs aient une volonté commune de contractualiser…”
“On en appelle à une simplification forte de la jungle administrative”

Sénateur de l’Aude, Sébastien Pla a mis l’accent sur “la jungle administrative et déclarative – où parfois les déclarations sont identiques – qui sont, en plus, une perte de temps ; il y a plus de 80 plateformes différentes ; des déclarations partout en n’en plus finir… On en appelle à une simplication forte.”
Signalant qu’il y avait évidemment d’autres sujets comme la lutte contre le changement climatique qui sont abordés dans le rapport. Il pointe “les guerres de clocher au sein des appellations ; des organisations professionnelles qui nuisent à l’image de marque et à la stratégie. sur la prochaine PAC, il risque d’y avoir des baisses drastiques de financement – sans doute de l’ordre de – 20 % d’aides européennes qui ne seront pas compensées par le budget français. Il va falloir être plus rigoureux dans l’utilisation et l’emploi de cet argent public. On ne peut plus cautionner de plantations, arrachages, surproductions, distillations…
Vers l’abandon de l’accompagnement financier des plans individuels d’arrachage au profit de plans collectifs avec une stratégie construite à l’échelle des bassins viticoles”
Sébastien Pla

Le sénateur de l’Aude va plus loin : “Nous proposons d’aller vers l’abandon de l’accompagnement financier des plans individuels d’arrachage au profit de plans collectifs avec une stratégie construite à l’échelle des bassins viticoles. Pour cela, il faut que tous les acteurs se parlent. Les seuls à pouvoir le réguler, c’est l’Etat.”
Et : “On a planté des cépages qui ne correspondent pas au marché ou pour les quels nous ne sommes pas compétitifs, ces stocks-là il faut à moment donné les distiller. On va chercher de l’argent pour ça mais, en parallèle, au regard du changement climatique, on va nous demander des financements pour l’irrigation mais si c’est pour continuer à mettre de l’argent là dedans pour produire des vins que nous ne vendons pas… toutes les aides doivent être conditionnées. Si on distille dans un bassin, c’est là que l’on devra cibler les primes à l’arrachage, par exemple.”
Sébastien Pla a aussi pointé le fonds pays tiers de 50 M€ qui sert à la promotion des vins français à l’étranger. On n’en connaît pas le résultat. Pas d’indicateur de performance…
Olivier SCHLAMA