La tomate, un vrai régal ! Si le 17e festival de la tomate à Clapiers, dimanche 1er septembre, sera encore une fois très fréquenté, c’est que de plus en plus de consommateurs sont friands du goût perdu du fruit le plus mangé au monde, base de l’alimentation méditerranéenne.
Douces, acidulées… Il est un festival qui fait danser les papilles. Dimanche s’ouvrira le festival de la tomate, pas celle que l’on jette, mécontent, sur un chanteur sans voix, mais celle que l’on déguste in petto, à la croque-au-sel ou en base pour un repas bien mijoté. C’est le fruit star ! Et pour cette 17e édition, dimanche 1er septembre, parc Claude-Leenhardt, à Clapiers, près de Montpellier, l’on y attend quelque dix mille personnes, toutes ébaubis de ces belles tuniques rouges !
Organisé cette année par la fédération régionale des Civam, cet événement rassemble un bon tiers de producteurs de tomates et de semences. Pas davantage parce que le changement climatique est passé par là, explique Vincent Nourigat qui en est vice-président et qui préside les Marchés Paysans de l’Hérault qui organisaient la manifestation jusque-là qui met à l’honneur le “fruit emblématique du Sud”.
“Beaucoup de familles et de jeunes parents”
“Depuis quelques années, à cause du changement climatique, on a peu de production naturelle de tomates. Pour en avoir, il faut semer tardivement, explique-t-il. Ce festival rassemble quand même un bon tiers des 70 exposants qui viennent maxim de 50 km à la ronde, producteurs, maraichers mais aussi restaurateurs et fabricants de produits dérivés. C’est devenu au fil des ans le festival de “l’agro-écologie paysanne”, précise-t-il. “La tomate est un fruit qui a été remis au goût du jour à cause justement du fait que la tomate industrielle n’avait pas de goût. Cela a remis en avant la production en pleine terre, avec comme intrant du simple fumier… Nous recevons beaucoup de familles et de jeunes parents…”
Il y a plus de vingt ans, j’organisais la Fête de la tomate chez moi, au milieu de mes plants et j’exposais 200 à 250 variétés de tomates”
Producteur de tomates anciennes, à Maurin, Eric Pedebas, qui alimente sa chaine You Tube avec une vidéo hebdomadaire, depuis des années, est surnommé le “tomatologue”. Il s’est forgé une solide réputation d’expert, lui qui est à l’origine de cette manifestation. “Il y a plus de vingt ans, j’organisais la Fête de la tomate chez moi, au milieu de mes plants et j’exposais 200 à 250 variétés de tomates, dit celui qui expédie aussi des plants à travers l’Hexagone. “Les Marchés Paysans de l’Hérault se sont joints à moi. J’arrivais à faire venir deux mille à trois mille personnes avec mes petits moyens. La manifestation a alors pris une autre ampleur.”
La base de l’alimentation méditerranéenne
Pourquoi cette passion de la tomate chez cet Héraultais ? “C’est esthétique et c’est un produit culinaire majeur ; avant, j’étais dans la fleuristerie. J’aime aussi cuisiner et comme la tomate est la base de nombreuses préparations et que je pouvais bien la cultiver chez moi, je m’y suis intéressé… C’est sans doute le fruit qui a été le plus dénaturé.” A cause du transport lointain, de la culture hors-sol sous serres, de la volonté de conservation des industriels, entre autres. Comment expliquer que la tomate soit aussi souvent présente dans l’assiette ? “C’est le fruit le plus consommé au monde. C’est la base de tous les ragoûts et des légumes d’été ; ça se mange cru ; en dessert ; en entrée.” La base de l’alimentation méditerranéenne.
En priorité, les consommateurs recherchent le goût !
Quels conseils donne-t-il pour acheter de bonnes tomates ? “Il ne faut pas acheter ce qui n’est pas bon ! On a ce que l’on mérite dans l’assiette. Les producteurs qui font du hors sol répondent aussi à une demande de consommateurs qui les mangent, y compris par facilité… Pourquoi se casseraient-ils la tête à produire de bons fruits s’ils continuent à vendre les mauvais…?” Que recherchent les passionnés en priorité ? Il répond : “Le goût !” Eric Pedebas a remarqué qu’une “petite partie des consommateurs se tournent vers des tomates de qualité. Moi, comme d’autres bons producteurs, je ramasse et je vends directement sans en passer par la case frigo. Celles des industriels, en plus, mûrissent au frigo, à 6 degrés, elles ne peuvent pas avoir le taux de sucre suffisant ; elles sont farineuses, etc.”
“80 % des problèmes viennent de l’arrosage ; il faut donc faire un arrosage constant, chaque jour, plutôt le matin”
Une tomate doit arriver à maturité au soleil. “Mais si elle a son taux de sucre, on peut se conserver au frigo.” Et puis ne pas en manger l’hiver, même pour mettre de la couleur dans l’assiette : “De la même façon que l’on ne mange pas des cèpes et des giroles l’été ; et que l’on mange des choux-fleurs l’hiver…”
Quels conseils donne-t-il à quelqu’un qui a un bout de jardin et veut cultiver quelques plants de tomates ? Il dit, spontanément : “80 % des problèmes viennent de l’arrosage ; il faut donc faire un arrosage constant, chaque jour, plutôt le matin. Il faut bien les tailler. Ce sont des conseils pour le Sud de la France. Ici, on plante les tomates à 40 centimètres les unes des autres ; à Bordeaux ou à Lille, ce sera tous les 70 cm ou 80 cm pour qu’elles s’aèrent. Ici, nous avons un temps chaud et souvent sec ; on n’a pas de mildiou… Et il existe près de 30 000 variétés de tomates.”
Plus de 12 kilos par an et par habitant
“Ananas noire, la moya… arkansas marvel, green copia, etc. J’adore aussi des variétés vertes. J’ai aussi des variétés d’hybridation sauvage, comme la moya verte, la nathalie… Je suis sur la belle de claire en ce moment que je suis en train de fixer. Il faut six à sept ans pour cela.” La pollinisation ? “Elle est autogame, elle se fait par le vent. Peu par les insectes. Mais ce n’est pas si facile que cela. C’est capricieux, la tomate. Il faut bien nourrir et bien arroser ; certains pensent qu’en arrosant tous les deux ou trois jours, c’est suffisant. C’est faux : juin, juillet, août, c’est tous les jours.”
Douces, plus acidulées… “Tout dépend surtout de la maturité”, coupe Eric Pedebas. Fruit star avec ses plus de 12 kilos par an et par habitant (en comptant les coulis divers), la tomate peut être la pire des “gourdes” si elle est artificiellement saturée d’eau, pour la faire pousser vite, elle qui en contient 95 %. Où est donc passé le goût de la tomate ? Pas dans les congélos ; encore moins dans les semi-remorques.
Brin de basilic, d’un trait d’huile d’olive ou simplement à la croque-au-sel
Pourtant, certaines de ces ersatz de tomates sont d’un troublant rouge magnétique. Vif comme un gage de qualité. Surtout une fois soulignée d’un brin de basilic, d’un trait d’huile d’olive ou simplement à la croque-au-sel. Sur les étals de supermarchés, sa rotondité était si parfaite qu’elle ne pouvait qu’exhaler des arômes floraux intenses… Las. Mais une fois en bouche, c’est la plus farineuse, la plus inodore, la moins exquise. L’aspect trompe souvent le goût. La tomate est un fruit exceptionnel pouvant libérer jusqu’à 500 molécules. Imaginez l’explosion qu’elle aurait pu déclencher la tomate de frigo de supermarché si elle avait eu le temps de mûrir… Or plus le fruit gonfle, moins il dégage d’arôme.
Le rendement au détriment des saveurs
“Le producteur, payé au poids, va donc favoriser le rendement. Mais il y a un réel antagonisme entre qualités gustatives et rendement”, nous avait expliqué Mathilde Causse. La directrice de recherche au laboratoire génétique et amélioration des fruits et légumes à l’Inra d’Avignon résumait ce qui prive ces belles de goût. “Si le producteur privilégie le rendement au détriment des saveurs ; si l’on procède à la récolte prématurément pour faire supporter la route du Sud de l’Espagne ou du Maroc ; si on lui fait subir le frigo et si, en plus, tout cela se passe l’hiver (avec des jours plus courts et moins de lumière, donc moins de sucre), c’est forcément dégueulasse.” Un aveu salvateur.
“C’est la terre qui donne le goût ! Sinon, pourquoi on parlerait de terroir ?”
L’industrie (80 % des surfaces cultivées), coupable idéal ? Oui, pour cet amateur venu dénicher ce jour-là à Sète un petit producteur de Mauguio : “Je n’achète que sur les marchés justement pour éviter le hors-sol. C’est la terre qui donne le goût au fruit ! Sinon pourquoi on parlerait de terroir ?” Le producteur, José, qui ne plante que des stor ou des cœur de bœuf, opine : “Je n’utilise que des engrais organiques. Et puis, à force de rendements, certaines terres sont épuisées.” Chacun de ses plants ne fournit que 5 à 6 kg de tomates. On est loin des rendements à la “hollandaise”, jusqu’à 50 kg au mètre carré comme en Bretagne, surprenante première région de production où règne un climat homogène.
Fort potentiel organoleptique
L’industriel qui essore ses plants, même sans terre, n’est pas forcément à blâmer. “On peut faire du très mauvais hors sol comme du très bon, nous explique un directeur technique d’une grande marque nationale. Ce n’est pas l’ennemi des saveurs. Toute notre chaîne de production est sensibilisée au goût. Nous sélectionnons les variétés à fort potentiel organoleptique. Les conditions d’irrigation sont calculées au plus juste. Avec ni trop ni trop peu d’eau. Comme la fertilisation.”
“Tout dépend du producteur”
Mathilde Causse validait : “Sous serre, on maîtrise le climat. Pas de grêle ni d’écart de température préjudiciable. On écarte aussi les maladies pour une plante qui en ramasse beaucoup et on évite les produits phytosanitaires. En contrôlant nutrition et irrigation, la production hors sol peut apporter de la qualité… ou un rendement très poussé. Tout dépend du producteur”, nuance la chercheuse. La peau épaisse ? Les producteurs ont choisi des variétés privilégiant le critère de conservation. “Il y a moins de déperdition et puis il faut permettre aux fruits de tenir plusieurs jours : les consommateurs font leurs courses une fois par semaine…”
Le bio ne garantit pas le bon goût
C’est aussi au nom de cette productivité que des producteurs bio recourent parfois à des tomates sans… goût. Mathilde Causse le révélait : “J’ai été horrifiée de voir par exemple chez un marchand bio la pire des variétés qui soit, la daniela, dont plus personne ne veut. Le bio ne garantit pas un bon goût.” La mode des variétés anciennes non plus ! La si charmante et biscornue cœur de bœuf, par exemple, fondante mais avec un goût en retrait, n’existe plus vraiment à l’état d’origine. C’est une tomate “type” cœur de bœuf avec un gène de résistance, un hybride, comme pour la cornue des Andes et beaucoup d’autres. Pour le consommateur, très difficile d’y voir clair car il ne peut se fier à ce qu’il voit. Deux à trois kilos de fruits par an : la tomate de jardin, elle, produit cinq à dix fois moins que la tomate industrielle. Mais des tonnes de goût en plus. Autant que faire se peut, il faut privilégier les circuits courts.
Quelque 150 millions de tonnes de tomates sont produites dans le monde chaque année, écoulées à 75 % en grandes surfaces. Soit 1/6e de la production mondiale de légumes (même si c’est un fruit !), hors pommes de terre. La France est 4e producteur de l’UE mais aussi un gros importateur : 656 192 tonnes en 2023. Principales régions productrices : Bretagne, Paca et Pays de la Loire.
Olivier SCHLAMA