P.-D.G. de Misterfly : “Cet été, nous aurons énormément de voyages de dernière minute…”

La société MisterFly est le numéro 3 du vol sec en France. C’est un bon indicateur de la santé et de la résilience du tourisme. Dis-Leur a interviewé son patron Carlos Da Silva. À la lumière de la crise, il explique réfléchir à de nouvelles garanties pour le client. Et, pour lui, le tourisme de proximité est encore une niche opportuniste.

Comment va Misterfly ?

Elle va aussi bien qu’elle peut aller, étant donné la situation, ce que l’on vit et ce que l’on a vécu. Cela fait 14 mois que l’on vit avec cette crise sanitaire et une baisse du chiffre d’affaires de 80 % par rapport à 2019… En plus, il y a la problématique de notre image de marque qui est très fortement abîmée par ce contexte. Sur la totalité de cette période, entre ce qui était déjà vendu et les maigres ventes réalisées au fur et à mesure, ensuite annulées, on a atteint les 400 000 billets annulés en 14 mois.

Carlos da Silva, cofondateur de Misterfly. Photo : DR.

Chez Misterfly, nous vendons des vols secs, des forfaits et des séjours à l’hôtel. La grande différence pour les vols secs c’est que nous sommes intermédiaires entre le client et la compagnie aérienne. Nous dépendons de cette dernière et en particulier de sa politique de remboursement. Et tant qu’elle ne rembourse pas nous ne pouvons pas rembourser le client. Alors qu’avec les forfaits et l’hôtel sec, nous devons rembourser, même si nous n’avons pas encore obtenu de réponse de nos fournisseurs. C’est justement pour sauver les agences de voyages qu’il y a eu une ordonnance du gouvernement  fin mars 2020 : pour que l’on puisse émettre des avoirs. Sinon, ça tuait une très grande partie de la profession.

Votre chiffre d’affaires a dû fondre… ?

En 2019, on avait fait 545 M€ de volume d’affaires. En 2020, nous étions sur une tendance de 750 M€ que nous devions réaliser – en très grosse progression, donc.  On s’était donc équipés en conséquence pour gérer ces 750 M€ de volume d’affaires. Or, on a chuté de 80 % par rapport à 2019.

Ça s’est traduit par quoi ?

On a eu beaucoup recours au chômage technique, pas pour le service client puisqu’on en avait justement bien besoin. En mars 2020, au début de la crise, il y avait 460 collaborateurs chez Misterfly, dont 120 au service client, un nombre que l’on a augmenté jusqu’à 150. On les a gardés actifs pour gérer les remboursements. Ces quelque 150 personnes pour lesquelles on n’a d’ailleurs pas de chiffre d’affaires en face pour les payer… Aujourd’hui, il y a eu pas mal de départs volontaires ; des commerciaux ; des gens à l’informatique… On a fait un PSE [plan de sauvegarde de l’emploi, Ndlr] en septembre 2020 pour plus de 60 collaborateurs. Au final entre les départs volontaires, le PSE, les CDD non renouvelés, ou ceux qui, en période d’essai que l’on n’a pas gardés, venaient de rentrer etc., nous ne sommes plus que 200.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Je suis de nature positive. Je vois toujours le verre à moitié plein. Je dis toujours : on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise. Mais j’avoue que ces 14 derniers mois, ça a été difficile. On a eu plusieurs fois l’espoir que le tourisme reparte. On s’est dit que ça n’allait durer que quelques semaines ; que ça allait ensuite reprendre à l’été 2020 ; à l’automne ; puis, Noël… Aujourd’hui, avec les vaccins, les chiffres de contamination qui vont mieux, on se dit que ça y est vraiment. Les ventes à nouveau repartent à la hausse.

Cela va mieux depuis quand ?

Depuis plus de deux semaines, on est passés de – 80 % à – 50 % de ventes par rapport à 2019. On a gagné 30 points. On vend actuellement plus de 2 000 billets par jour. On sait qu’une des hypothèses, grâce au vaccin et à la météo et d’autres paramètres que nous ne maîtrisons pas, il est possible que les ventes continuent d’augmenter réellement à partir de maintenant. Je pense que cet été nous aurons énormément d’achats de dernière minute. Et que les gens auront beaucoup de mal à trouver des billets d’avion et des logements de vacances.

Faut-il se précipiter pour acheter ses billets d’avion pour les vacances d’été ?

Notre constat c’est que les prix des billets sont nettement plus chers à la même époque en 2019 pour les départs de l’été pour la majorité des destinations. Et chaque jour qui passe, ce prix a tendance à augmenter parce que plus l’avion se remplit plus ce prix augmente. Ça s’appelle le Yield Management.Le conseil est de réserver tôt ; Maintenant, on n’est pas certains de l’évolution de la situation sanitaire. Même si on peut raisonnablement penser qu’en Europe on va pouvoir quand même voyager.

À la lumière de cette crise, la profession a-t-elle déjà réfléchi à une nouvelle organisation ?

Une réorganisation pure et dure, je ne pense pas.  Les choses ne vont pas fondamentalement changer une fois que la crise sera derrière nous. Il est clair que les choses ont évolué : on ne vit plus pareil depuis le début de cette crise. Après la crise, beaucoup de choses vont revenir à la situation d’avant. Il y aura eu des changements : beaucoup d’entreprises auront énormément souffert. Et un certain nombre qui n’auront pas survécu. Mais la nature a horreur du vide. Et dès que les affaires repartiront, et même s’il y a moins d’acteurs, d’autres professionnels arriveront sur le marché.

Et les acteurs qui existent, comme Misterfly, resteront j’espère – on fait tout pour être toujours là. Ce que l’on aura appris de cette crise ? On doit s’armer différemment pour gérer des périodes telles que celles-ci avec énormément d’annulations. Avant la crise, nous faisions beaucoup de ventes et très peu d’annulations. Toute notre organisation, nos systèmes informatiques étaient optimisés pour la vente. Les annulations de billets, c’était fait manuellement ; mais ce n’était pas grave car il y en avait peu. S’armer, ça veut dire : s’organiser, faire des développements informatiques pour faciliter la vie de ceux qui travaillent au service client dans la gestion des reports ou des annulations.

Vous aviez déjà une assurance, la fameuse freeflex, que vous avez été les premiers à proposer ?

Oui. Avec cette garantie, mes gens peuvent annuler quand ils veulent. Mais elle ne fonctionne pas quand la compagnie annule. Cette assurance ne s’adresse qu’au client qui veut annuler. Depuis, on réfléchit à trouver des évolutions, des nouvelles options. Qui pourraient par exemple permettre au client d’obtenir un remboursement beaucoup plus rapidement même si la compagnie aérienne ne rembourse pas. Nous anticipons sur ce genre de garantie optionnelle au cas d’une nouvelle crise comme celle du covid se renouvèle. Et ça deviendra le problème de la compagnie d’assurance de récupérer l’argent auprès des compagnies aériennes.

Toutes les régions se disputent le touriste français cet été, surfant sur un tourisme responsable, de proximité, citoyen. Est-ce une tendance qui se développera à côté du tourisme de masse ?

La problématique, c’est que tout le monde a besoin de clients. Une bonne partie des ressources touristiques des régions françaises était jusque-là apportée par les touristes étrangers. Cette année encore, il y en aura beaucoup moins. Il faut donc les remplacer, d’autant qu’une partie des Français resteront en France. Il est donc logique que la communication soit axée là dessus et soit orientée vers les clients potentiels : les Français. Maintenant, si on se projette sur l’après-crise avec un retour en masse des touristes étrangers en France, il y aura moins besoin que cette communication soit orientée de la sorte.

Cela dit, les touristes seront, c’est vrai, davantage sensibles à un tourisme près de chez eux. Oui, sur le fond, oui. La réponse est affirmative mais je pense qu’il n’aura pas un impact qui va changer le modèle du tout au tout. Oui, il y aura un certain nombre de clients qui vont privilégier des voyages courts, des destinations proches plutôt que très éloignées. Et un certain nombre de clients vont partir moins souvent en voyage mais plus longtemps à chaque fois.

Pour d’autres encore, ils vont privilégier un tourisme d’expérience, sans avoir besoin d’aller trouver l’exotisme trop loin. Il y a des gens qui vont le dire, le penser et certains même le faire. Mais on est encore dans une niche. Vue la croissance du tourisme mondial telle qu’elle devrait reprendre, ces choix de ne pas voyager loin, d’un tourisme plus responsable, ça va freiner un peu les longs courriers mais cela ne va pas changer fondamentalement la donne. On ne va pas se retrouver avec une situation qui, au lieu d’avoir par jour 300 vols transatlantiques entre l’Europe et les USA, n’en verra que 150 dans l’avenir, par exemple, à la suite d’une prise de conscience ou d’un changement de mentalité. Je ne crois pas.

N’est-ce donc pas l’occasion pour changer de modèle ?

Comme il y aura de plus en plus d’appétence pour des voyages de proximité, peut-être que l’on va plus se concentrer sur nos produits séjours et davantage sur du moyen courrier que sur du long courrier, c’est vrai. Cette année, on communique beaucoup plus sur des hôtels en France, en Espagne, Grèce, Portugal que USA et Canada, Thaïlande.

Propos recueillis par Olivier SCHLAMA

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