Réchauffement climatique, amenuisement de la biodiversité, pollution, le modèle d’agriculture intensive montre toutes ses limites… L’agriculture est-elle la meilleure alliée pour relever les défis de demain ? “C’est cette réflexion que tant de jeunes, ou moins jeunes, à penser à s’installer, à entrer dans le monde de la production agricole, à devenir paysan. Cependant, en 2017, l’héritage paysan n’existe presque plus, et ce sont bien des personnes sans lien avec le monde agricole, citadins ou ruraux, qui envisagent de changer de vie et de passer de l’autre côté de la filière alimentaire…” Voilà ce que dit Maxime de Rostolan, directeur de l’association Fermes d’Avenir, dans la préface de Néo-Paysans, un Guide (très) Pratique de Sidney Flament-Ortun et Bruno Macias (Editions France agricole). Le point avec les Jeunes agriculteurs qui enregistrent de plus en plus de demandes de renseignements.
En 2014, 38% des salariés français se disaient démotivés au travail (Ipsos). Quête de sens, souffrance au travail… En Europe, trois salariés sur quatre rêvaient déjà il y a trois ans de tout plaquer pour changer de vie professionnelle. Du point accueil installation des Jeunes agriculteurs (JA) de l’Hérault qu’il anime, Guilhem Vrecord-Mitel note un engouement sensible pour le retour à la terre : “Nous recevons entre 500 et 700 demandes de renseignements ces dernières.. Et ces deux dernières années on est plutôt à 700 demandes concernant un projet d’agriculture. Il n’y a pas de crise de vocation. Peut-être que ces futurs agriculteurs ne s’imaginent pas tous les problèmes inhérents à une exploitation” et ne pensent qu’à quitter leur actuel gagne-pain. Pour donner davantage de sens à leur vie. “Autre paramètre, il y a aussi eu un gros creux dans la transmission viticole dû à une grosse crise : vu les difficultés, les exploitants n’encourageaient pas jusqu’il y a peu leurs enfants à en reprendre les rênes. “Cela va mieux depuis une demi-décennie, qui va de pair avec “l’effort qualitatif des vignerons.”
“Sur les 700 demandeurs de renseignements par an, 450 n’ont fait aucune étude agricole”
Et d’ajouter : “Dans l’Hérault, deux-tiers de ces néo-agriculteurs n’ont pas fait d’études agricoles. Notre climat très agréable joue un rôle. L’essor de projets autour du maraichage, plus accessible financièrement que bien d’autres projets parce que l’on n’a pas besoin de trouver une grande surface, joue aussi un rôle.” Toujours selon Guilhem Vrecord-Mitel, “nous recevons entre vingt et trente dossiers d’aide par an”. Les budgets vont de quelques dizaines de milliers d’euros à un million d’euros pour une cave particulière. Dans l’Hérault, en 2016, la MSA (Mutuelle sociale agricole) a enregistré 300 nouveaux chefs d’exploitation – qui ont créé ou repris une exploitation- dont la moitié plie boutique au bout de seulement un an. Et sur les 700 demandeurs de renseignements par an, 450 n’ont fait aucune étude agricole. Certains ont arrêté l’école à la fin du collège mais nombreux sont ceux qui ont fait des études supérieures. qui ont même un doctorat ou un diplôme d’ingénieur. La grande tendance, ce sont des diplômés dans d’autres domaines que l’agriculture, entre bac +2 et bac +5…”
“Une grande faculté d’apprentissage”
Responsable du point d’accueil des JA dans les PO, Céline Davesa note également “beaucoup de reconversions professionnelles. Lors de nos réunions d’information collective, nous recevons bon an mal an 350 personnes. Sont présents de jeunes diplômés en mal d’infos ou de formations. Leur gros avantage, c’est qu’il peuvent mettre leur expérience passée à profit ; ce qui les rend très créatifs. Et ils ont une grande faculté d’apprentissage. C’est un atout. après, il faut quoi qu’il arrive de gros investissements la plupart du temps. Même s’il y a tout un panel de crédits et d’aides, ça ne suffit pas. On a par exemple mis en place des fonds de cautionnement pour cela.” La plus grande difficulté, peut-être, c’est la méconnaissance des vicissitudes de la vie d’un agriculteur. Sans parler du climat qui se modifie et qui fait que les vendanges s’avancent de quinze jours ou les fluctuations du marché.”
C’est pour cela que les quelque 30 demandeurs d’aides faisant appel au point accueil des JA des PO peuvent bénéficier d’un “système d’appui de formation” et d’une écoute propice à faire émerger les projets. “Il y a des idées innovantes mais pas forcément accessibles aux aides. On a ainsi découragé pas mal de projets qui, aujourd’hui, s’ils s’accompagnent d’une valorisation trouvent leurs consommateurs.”
L’agriculture doit “capter le consommateur”
L’élevage d’escargots, par exemple, l’héliciculture, s’il y a une plus-value, si l’animal fait l’objet de transformation en brochettes ou autre, ça marche. Idem pour l’élevage porcin. Il y avait des blocages administratifs importants. Si l’on démontre que l’on a une démarche là aussi de valorisation, ça passe mieux.” L’agriculture doit innover et se renouveler. “L’important, c’est de capter le consommateur. Dernièrement, un couple de Normandie, qui ne connaissait rien à l’agriculture, est venu nous voir. On leur a demandé : “Vous voulez faire quoi?” Ils ont répondu : “On ne sait pas.” C’est déroutant, ce genre de réponse. Ils en avaient juste assez de leur vie, qu’ils gagnaient bien d’ailleurs. Ils s’y sentaient enfermés, bloqués dans leur vie de tous les jours…”
L’enjeu : trouver du foncier
Pour le journaliste spécialisé Stéphane Thépot, qui a publié un ouvrage intéressant il y a quelques semaines titré : Racine choisies, les Paysans Résistent, “le terme néo-paysans est un peu fourre-tout”, dit-il. Pour lui, les paysans ne sont pas morts mais l’enjeu, c’est qu’à “l’avenir la profession puisse accueillir du sang neuf. Ces “néo” sont à n’en pas douter un apport important. Mais il ne faut pas croire qu’ils remplaceront les “anciens”. Ces “anciens” justement regardent paradoxalement les nouveaux audacieux avec “dédain”, comme des “jardiniers” améliorés qui ne sont pas de vrais pros.” Stéphane Thépot insiste : les vrais enjeux sont ailleurs : “Trouver du foncier, avoir accès à la terre, ce n’est pas simple. Trouver des nouveaux paysans n’est pas le problème. Savez-vous qu’Intermarché est le plus grand pêcheur de l’Hexagone ? C’est le plus grand risque qui nous pend au nez comme on me l’a répété en Aveyron, que les exploitations existantes soient rachetées par un “Intermarché” de la terre ; un Lactalis…”
Olivier SCHLAMA