Mal-logement : Les Compagnons bâtisseurs construisent la solidarité

La Sétoise Lysiane Cases. Phoro : Olivier SCHLAMA

Lysiane, à Sète, Frédéric, à Montbazin, et quelque 150 autres familles de la région, en situation de précarité, bénéficient chaque année du concours de cette association discrète, créée en 1945 en France et en 1998 en Occitanie, qui les aide dans les travaux d’amélioration de l’habitat, au coeur des enjeux sociaux. Ils ne paient que 10 % du chantier. En échange ils mettent la main à la pâte.

Lysiane Cases a bossé une bonne partie de sa vie pour des journaux gratuits où fleurissaient les annonces, “un boulot sympa, quoi !”, dit-elle. Âgée de 76 ans, des rides expressives de baroudeuse, à la retraite donc, elle occupe une maisonnée lilliputienne, en plein coeur de Sète. Une petite pièce à vivre, un escalier qui dessert chambre et WC, la télé visible que depuis une box, kitchenette. “Quand j’ai la sciatique, je monte l’escalier à quatre pattes. Pas grave, ça me fait faire de l’exercice !” positive-t-elle.

Des petits riens qui changent la vie

La Sétoise Lysiane Cases. Photo : Olivier SCHLAMA

Lysiane ajoute : “J’avais besoin de faire quelques menus travaux pour rendre mon habitation plus agréable et plus sûre. Les Compagnons bâtisseurs sont venus directement à domicile !”, dit-elle. Ici, une tringle à rideaux ; là une rampe pour mieux monter et descendre un escalier ; là encore de l’antidérapant pour éviter une chute… C’était juste après son emménagement, en mars dernier. Ces petits riens lui ont changé la vie. Mais même elle n’avait pas le budget pour cela. Comme certaines de ses copines à qui Lysiane a refilé le tuyau depuis.

Réduction de 90 % du coût total des travaux

“On m’a même aidé à accrocher quelques tableaux”, sourit Lysiane. Tout ces menus travaux pour 30 € à peine alors que le coût réel du chantier était de 300 € au bas mot. Miraculeux. “C’est vraiment sympa !”, s’étonne simplement Lysiane. Car ces 30 €, ce n’est évidemment pas dans les prix du marché. Tout ceci n’a été possible que grâce au concours des Compagnons bâtisseurs d’Occitanie.

C’est une association d’aide aux habitants plongés dans la précarité et le mal-logement. Locataires ou propriétaires occupants. Un dossier d’acceptation suffit. Une réduction de 90 % rendue possible grâce aux aides publiques que reçoit cette association bienfaitrice (lire ci-dessous).

“Le tableau électrique n’est pas aux normes, sans différentiel (…) idem pour l’escalier qui est un escalier de meunier qui n’est pas fait pour être utilisé tout le temps…”

Cheffe de projets aux Compagnons bâtisseurs, Héloïse Sabatier précise qu’un chantier chez un locataire représente un chiffre d’affaire moyen de 500 € et une durée d’intervention de cinq à sept jours. Pour les propriétaires qui y ont droit, c’est différemment calibré. Au total, l’ensemble des chantiers représente un chiffre d’affaires de 800 000 €. Dans le cas de Lysiane, l’association apporte son oeil d’expert. Les premiers travaux en appellent d’autres.

“Nous négocions avec le propriétaire : le tableau électrique n’est pas aux normes, par exemple, il n’a pas de différentiel ; nous avons posé une installation éphémère. Idem pour l’escalier qui est un escalier de meunier qui n’est pas fait pour être utilisé tout le temps…” L’association prête ses propres outils – grâce à une “outilthèque” !- et apprend aux bénéficiaires novices les rudiments des métiers du bâtiment. Tout y est gratuit, sans caution ni adhésion, sur simple présentation d’une pièce d’identité. “Améliorer son logement pour s’y sentir bien, c’est important : c’est au coeur des enjeux sociaux” et cela permet de lutter contre la précarité, y compris énergétique. Si on isole bien, on paie moins de chauffage, par exemple.

“Je ne paie pas d’impôt, je n’ai pas d’enfants ni d’amants et pas d’argent !”

Lysiane Cases

Lysiane Cases vit chichement avec une retraite qui plafonne à 900 € par mois. Elle bénéficie du FSL, le Fonds de solidarité pour le logement, et 200 € de la CAF qui ne sont pas de trop pour payer le loyer (400 €). “Je ne paie pas d’impôt, je n’ai pas d’enfants ni d’amants et pas d’argent !”, dit-elle sûre de sa formule. Comment a-t-elle pu bénéficier de cette aide des Compagnons bâtisseurs ?En me rendant au CCAS, j’ai vu un panneau avec les coordonnées…” Tout s’enchaîne. Visite de chantier, feu vert. “Ils sont venus avec les matériels et les outils, je n’ai rien eu à acheter !”

Nous avons mis la main à la pâte pour créer une chambre dans les combles d’ici la rentrée scolaire ; nous n’avons payé que 10 % des 1 200 € de matériels”

De la même manière, le Montbazinois Frédéric Dijol, 38 ans, lui-même ouvrier dans  le bâtiment, vit dans une maison de ce village que sa nouvelle compagne, Marie a acquise il y a quatre ans. Cette dernière est sage-femme libérale qui, pour élever ses enfants, travaille peu, ce qui lui vaut d’être éligible à l’aide des Compagnons, vivant avec “des revenus en dessous du seuil de pauvreté”.

Il explique : “Nous sommes désormais une famille recomposée. Nous vivons à six dans cette maison où il manque une chambre pour deux des enfants. Nous avons mis la main à la pâte en aidant l’artisan des Compagnons – c’est le principe de leur fonctionnement – pour créer une chambre dans les combles d’ici la rentrée scolaire de septembre. Et nous n’avons eu à payer que 10 % des 1 200 € de matériels”.

Entraide, solidarité, apprentissage, transmission

Les Compagnons bâtisseurs ? C’est un mouvement national représenté dans chaque région par sa déclinaison locale. En Occitanie, c’est une association indépendante. Le mouvement s’est créé après la Seconde Guerre mondiale dans la logique de reconstruction du pays, mettant en avant toujours de grands principes : l’entraide, la solidarité, l’apprentissage et la transmission des savoirs techniques. Dans la région, l’association emploie quinze salariés auxquels s’ajoutent une dizaine de volontaires, des services civiques ou issus du corps européen de solidarité.

Parmi ses salariés, l’association compte des personnels qui montent les dossiers, recherchent des financements et d’autres qui réalisent les chantiers, outils en main. “Ce sont des animateurs qui ont à la fois un savoir-faire technique et qui ont une compétence d’accompagnement social. Des problèmes sociaux peuvent en effet être révélés par un problème d’habitat.”

Quelque 150 chantiers d’auto-réhabilitation par an

Les Compagnons bâtisseurs mènent donc des chantiers d’auto-réhabilitation. Quelque cent-cinquante par an ! Principalement dans l’ex-Languedoc-Roussillon. Dans l’Aude, l’Hérault et le Gard, plus précisément et plus volontiers dans les villes de Narbonne, Carcassonne, Béziers, Sète ou Frontignan. En dix ans, les Compagnons sont intervenus plus de 150 fois dans le quartier de l’île de Thau, par exemple, où six habitants sur dix vivent en dessous du seuil de pauvreté !

Une dynamique sociale et solidaire

“Des gens qui sont dans le besoin ou en situation précaire nous contactent soit directement, parce que le bouche-à-oreille fonctionne bien, soit via tous les services sociaux, qu’ils soient communaux ou départementaux. Si on intervient, c’est parce que le besoin est réel. Ensuite, les bénéficiaires, locataires ou propriétaires doivent participer au chantier et qui adhèrent au système d’entraide et de solidarité : si quelqu’un a bénéficié d’un chantier de rénovation, il peut être amené à participer à d’autres chantiers chez d’autres bénéficiaires. Ce n’est pas forcément parce que l’on a besoin de main d’oeuvre mais parce que cela crée une dynamique sociale et solidaire.”

C’est la même dynamique qui permet aux Compagnons bâtisseurs de mener des ateliers de bricolage ou des initiations collectives à la plomberie, l’électricité, aux éco-gestes, sur les devoirs du locataires. Les Compagnons bâtisseurs sont financés par l’Etat, au travers des crédits politique de la ville, la région Occitanie, les communautés d’agglomération, les métropoles, mais aussi les communes. Par le fonds solidarité logement des départements. Mais aussi par la générosité de certains bailleurs sociaux et même parfois de fondations privées, y compris “d’outilleries”, comme Leroy Merlin.

Olivier SCHLAMA