Livre : Ce lexique amoureux de Sète, une passion singulière

La pêche à la dorade, à la Pointe-Courte, à Sète. Photo : Bernadette Cumant

Trois auteurs sétois ont publié une ode à l’île Singulière. Des thèmes incontournables mais aussi de belles surprises.

On peut écrire sur Sète sans y être né. Les exemples pullulent. Le Lexique amoureux de Sète écrit par Jocelyne Fontlup, Bernard Lonjon et Bernard Wagnon (ci-dessous) est fait pour les transis et les inconditionnels ou ceux qui le deviendront tous, forcément. Il est fait pour les Sétois “d’origine” comme pour les “estrangers”, deux catégories qui ont depuis longtemps perdu de leur raison d’être…

Passion indéfectible

Ph. O.SC.

Dans ce lexique fait de 76 entrées, des écrits courts d’une ou deux pages, on n’y parle pas des nouveaux écueils de cette ville en mutation : c’est un lexique A-MOU-REUX. Ni la gentrification à marche forcée de cette île de moins en moins singulière ; ni de ses difficultés (chômage, bouchons, prix de l’immobilier, son quartier difficile de l’Île de Thau…) n’y trouvent place. Les auteurs de ce lexique habitent tous à Sète (1) à qui ils vouent, à juste titre une passion indéfectible, compréhensible que bien d’autres nous envient. Ils en sont amoureux et ont bien raison de l’être

Des histoires peu ou pas racontées

Le mérite de cet ouvrage c’est d’avoir pioché des mots-clés dans la riche mythologie sétoise et de s’y être tenus. On y retrouve des évidences : Brassens, Paul-Valéry, Jean Vilar, la Saint-Louis, la tielle ; la macaronade ; les gabians aux pieds de bateaux ; les festivals et les artistes de tous poils ; des série TV… On trouve aussi dans cette pérégrination poétique agréable, entre mer et étang de Thau, des histoires peu ou pas racontées. Et aussi des coups de coeur qui participent de cette âme de Sète.

À peine 1 % des noms des rues ont des noms de femmes

“On a, c’est vrai pas voulu montré les aspects plus ou moins négatifs de Sète. Un fois cela posé, certains thèmes, en effet, se sont imposés comme une évidence”, témoigne Jocelyne Fonlupt-Kilic, l’une des trois auteurs de l’ouvrage paru chez Cairn (20 €) dans les bonnes librairies. Même si de rares piques parsèment l’ouvrage (notamment sur l’absence de représentations théâtrales au Théâtre de la Mer, “la variété attirant plus de spectateurs…”) On y trouve une succincte exégèse sur les noms des rues : à peine 1 % portent des noms de femmes… La majorité de lieux et des thèmes ont fait l’objet d’un pari éditorial avec, par exemple le lycée de la Mer Paul-Bousquet, l’un des douze seuls en France à former aux métiers maritimes.

Cettarames, Colpi, Caserio…

Les auteurs. Photo : Jeanne Davy

On y plonge aussi dans les tunnels souterrains sétois ! Comme on tire des bords avec sourire avec l’association Cettarames qui, depuis 25 ans, embarque le Sétois sous l’oeil du touriste en goguette vers les rivages du passé – ces barques sont inspirées aux bateaux de pêche de l’Antiquité – pour mieux s’élancer vers l’avenir. On y redécouvre le réalisateur Colpi, palme d’or du festival de Cannes en 1951. Ou encore le passé anarchiste de Sète. Avec le fameux apprenti boulanger Caserio qui, le 24 juin 1894, assassinera le président du conseil français Sadi Carnot…

Alfred Sirven et l’affaire d’Etat

Qui se souvient d’Alfred Sirven, ex-numéro 2 d’Elf ? À l’origine d’une affaire d’Etat dans les années 1990, les célèbres Frégates de Taïwan, de pots-de-vin, de la putain de la République, maîtresse du ministre des Affaires étrangères, proche de Mitterrand, ce Toulousain, qui avait établi un gigantesque réseau de corruption, avait ses habitudes dans une loge franc-maçonne à Sète et gérait, notamment la raffinerie de Frontignan… A saluer l’hommage rendu à la médiathèque François-Mitterand, l’une des premières en Occitanie, remarquable.

Après l’Exodus, la saga du Sinaïa

L’affiche d’un film du Sétois Colpi avec Fernandel. DR.

On apprend aussi dans ce lexique amoureux que la dernière saga de l’épave célèbre dans le port – après l’Edoil, le Florenz et tant d’autres – le Rio Tagus a inspiré un roman, Madone, écrit par un certain Bertrand Visage ! C’est dans cet ouvrage  que l’on évoque le Seemen’s club, une association qui vient en aide, notamment aux marins des bateaux abandonnés, victimes d’une mondialisation parmi les plus sauvages ; là encore, ce sont des thèmes “importants à Sète” ; des bastions de l’esprit d’entraide, voire libertaire si cher à Brassens.

Comme le départ de l’Exodus pour la Palestine en 1945 que Dis-Leur vous a raconté dns un dossier complet ICI, peu d’habitants, Sétois en tête, connaissent l’épopée du Sinaïa, épisode de la fameuse retirada il y a 82 ans, l’exil de 500 000 Républicains espagnols fuyant la dictature. En 2019,  une commémoration s’est tenue au mémorial de Rivesaltes et à Sète, le 13 juin. “Sète d’où est parti le 25 mais 1939 le Sinaïa, premier bateau conduisant ces réfugiés, jusque-là internés dans des camps en France, vers un autre pays, notamment le Mexique…” Ou encore le “nageur d’Auschwitz”, Alfred Nakache

Tout fait, à Sète, oeuvre de romanesque !

Olivier SCHLAMA

Les auteurs du Lexique :

  • Bernard Wagnon. Il a enseigné durant toute sa carrière, notamment comme maître de conférences à l’Institut national polytechnique de Grenoble et en tant que directeur de Centre au centre universitaire d’éducation et de formation des adultes. Il  s’investit depuis dans la vie associative locale et se consacre à l’écriture sur le thème des écrivains qui l’ont marqué, en particulier Brassens et San-Antonio. Il a été récemment co-auteur avec Bernard Lonjon du “Georges Brassens Pas à Pas : Petit Guide (très orienté) de Sète aux éditions L’An demain.
  • Jocelyne Fonlupt-Kilic. Lyonnaise, elle est “montée à Paris”, après des études de droit vite abandonnées au profit du département théâtre et cinéma de l’université Paris-VIII-Vincennes. Animatrice à Radio libertaire de 1981 à 1983, elle exerce divers métiers avant de devenir journaliste : rédactrice-réviseuse dans un hebdomadaire de la presse spécialisée (“Actualités sociales hebdomadaires”) et rédactrice pour plusieurs mensuels (“Carrefour savoirs”, “Les Jeux de Maxi”…) Elle pose ses valises à Sète et publie depuis plus de dix ans des livres “mémoriels” (dont Nous les enfants de 1950, Nous, les enfants de 1934, Nous, les enfants de 1990, etc.
  • Bernard Lonjon est membre entre autres de la Société des gens de lettres, a publié un grand nombre d’ouvrages de tous genres : biographies, nouvelles, essais, etc. Il est notamment l’auteur, avec Bernard Wagnon, de Georges Brassens pas à pas – Petit guide (très orienté) de Sète. Ancien informaticien de la finance, “il est l’un des meilleurs connaisseurs de la vie et de l’oeuvre de Brassens”, dit-il.