Les demandes explosent, les financements diminuent : La profonde crise du logement social

L'un des bâtiments récents avec des logements sociaux, à Sète, réalisés au 30, rue de la Chasse-au-Papillon appartenant à l'un de ses organismes adhérents de Habitat social en Occitanie, Sète Habitat. Photo : Olivier SCHLAMA

Le vice-président de Habitat social en Occitanie, qui représente près de 700 000 locataires, Jean-Michel Fabre tire la sonnette d’alarme : avec 189 000 demandes fin 2023, c’est du jamais-vu. De moins en moins de programmes, en Occitanie comme en France, faute d’argent et à de trop de ponctions de l’État. L’accès au logement est emboli, comme le dénonce la Fondation Abbé-Pierre. Des élus appellent à la manif, le 8 février, à Toulouse. Le Premier ministre, lui, veut “détricoter” la loi SRU pour ne plus obliger les maires à construire 20 % de logements sociaux…

Une bombe sociale. Jean-Michel Fabre est vice-président de habitat social en Occitanie (et du département de la Haute-Garonne) qui, via les organismes HLM adhérents, loge plus de 690 000 personnes soit 10 % de la population de la région dans ses 313 000 logements. Il dit : “On considère que 2024 est l’année de tous les dangers s’il n’y a pas une réaction très forte de l’État“. En un an, il y a eu + 10 % de demandeurs de logements sociaux, des gens qui n’ont pas les moyens de louer dans le parc privé.

Soit 189 000 demandeurs à fin 2023 en Occitanie. C’est du jamais-vu. Avec un point d’inquiétude supplémentaire pour la métropole de Toulouse et la Haute-Garonne “où l’on enregistre les plus grosses chutes de programmation, davantage que pendant la crise du covid ; d’autres territoires résistent mieux, comme Montpellier, Béziers ou Sète, plus équilibrés.”

Et, “dans le même temps, on observe une chute de la programmation. On va se situer aux alentours de 9 200 logements sociaux programmés ; en 2023, on a dit : “voilà ce que l’on compte réaliser dans les années  à venir. On a eu des financements pour cela. En 2017, nous en étions à 12 000 logements programmés. La demande a considérablement augmenté avec en face une chute de réalisations.”

“Les bailleurs sociaux n’ont pas les moyens pour ces projets qui demandent de plus en plus de fonds propres”

Jean-Michel Fabre. Ph. JMF.

Pourquoi ? “On en demande moins parce que l’on n’arrive pas à sortir les projets. Chaque année, l’Etat dit ; “les objectifs, c’est X millions de logements”. Les bailleurs demandent alors des autorisation en fonction de leurs projets. Mais cela fait des années que on n’atteint pas les objectifs. Au niveau national, par exemple, on sera en dessous de 85 000 (lire ci-dessous). Les bailleurs sociaux n’ont pas les moyens pour ces projets qui demandent de plus en plus de fonds propres. Cela va générer un problème majeur et nous empêcher de respecter les règles républicaines en la matière.”

Faible taux de rotation, baisse des attributions, achats reportés…

Avec quelles conséquences ? Tout est embolisé. Les gens ont du mal à trouver un logement. Ceux qui occupent un logement social “bougent” moins engendrant donc un effondrement du taux de rotation à seulement 9 % ; on a aussi une baisse des attributions : quelque 30 000 personnes en 2023 en Occitanie sont entrées dans un logement social mais il y a cinq ans, c’étaient autour de 35 000 personnes. Il y a aussi des gens qui avaient prévu d’acheter et ne le font pas” à cause de la hausse des prêts. Il y a moins de décohabitation. Les enfants sont obligés de rester chez leurs parents ; certains autres sont obligés de rester dans des appartements inadaptés avec un phénomène de “surpopulation”. Certains encore on été placés dans du logement d’urgence… Au bout du bout, il y a des travailleurs pauvres qui dorment dans leur voiture…

“Chaque année, l’Etat ponctionne 1,3 milliard d’euros sur les bailleurs”

L’un des bâtiments récents avec des logements sociaux, à Sète, réalisés 30, rue de la Chasse au Papillon. Photo : Olivier SCHLAMA

Comment en est-on arrivés là ? “Il y a le contexte de la crise, bien sûr. Mais pour les bailleurs sociaux, il y a un fait générateur qui date de 2017. Le gouvernement a mis en place la RLS (Réduction du loyer de solidarité), un prélèvement sur toutes les personnes qui bénéficient d’un logement avec APL, l’Aide personnalisée au logement. En clair, pour baisser les APL, l’Etat nous a obligé à baisser les loyers. Le chiffre est considérable : chaque année, l’Etat ponctionne quand même de cette façon-là 1,3 milliard d’euros sur les bailleurs.”

Des dodus dormants ? Il y a pas de dodus et personne ne dort. Arrêtons avec cette fable”

Macron avait expliqué, en amont de cela, que les offices HLM roulaient sur l’or et disposaient d’un trésor de guerre, constitué au fil des décennies. De quoi aider au budget de l’État. Jean-Michel Fabre s’inscrit en faux. “Il y eut une phrase célèbre il y a cinq ans : les dodus dormants… Ceux qui avaient beaucoup d’argent mais qui ne le dépensaient pas. Il avait juste oublié une chose : quand les bailleurs dégageaient des marges, elles sont entièrement réinvesties dans la réhabilitation et la construction de logements neufs, conformément à leur statuts de ne pas faire de bénéfice. Aucun dividende n’est distribué. Il y a pas de dodus et personne ne dort. Arrêtons avec cette fable.

Les bailleurs sociaux demandent la fin de la taxe “RLS”

Jean-Michel Fabre, vice-président de l’Habitat social en Occitanie, confie que le congrès de l’Union sociale de l’habitat, s’organisera à Montpellier en septembre prochain. Il ajoute : “À l’époque, le gouvernement avait dit que les bailleurs sociaux pouvaient “encaisser” cette ponction parce que les taux d’intérêt étaient très bas. A l’époque où le Livret A – point de référence pour le logement social – était à 0,5 %. Aujourd’hui, il est à 3 %. Donc, nos remboursements d’emprunts ont augmenté de manière considérable. D’autant plus que pour nous, bailleurs sociaux, tout leur stock de dettes, est indexé sur le Livret A. Toutes leurs dettes, même depuis 30 ans est à 3 %. Nous manquons cruellement pour construire. Nous demandons donc la fin de cette taxe, la RLS, plutôt que d’inventer des mécanismes de compensation et redonner 1,3 milliards d’euros au logement social.

TVA à 5,5 %, favoriser l’accès au foncier, mieux financer la réhabilitation…

Ensuite, les bailleurs sociaux réclament une TVA à 5,5 % pour tous types de travaux, comme pour les produits de première nécessité. Depuis 2017, une partie des travaux est subordonnée à un taux de 10 %. “Il faut aussi favoriser l’accès à du foncier. C’est un serpent de mer où l’Etat dit oui, oui, j’ai du foncier. Mais en réalité très peu est mis à disposition des bailleurs sociaux. Et quand il l’est, c’est au plus offrant”, en favorisant, de fait, le privé…

Autre front, “on se doit de construire le plus de logements sociaux et, à côté de cela, on loge des gens dans des logements qui, pour certains, ont besoin d’une réhabilitation. On dispose de 325 000 logements sociaux en Occitanie. Et, en matière de réhabilitation, notamment thermique, nous sommes en avance, en comparaison du parc privé. On doit cependant accélérer avec deux objectifs, dont un social, le prix des charges. On se doit aussi de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Or, le logement est le premier contributeur des ménages dans ces émissions-là. Le parc social doit être exemplaire. Il faut donc investir massivement. Si on veut pouvoir davantage construire, il nous faut être davantage aidés pour la réhabilitation.”

L’équivalent dans le public de MaPrimRenov

Réalisation d’habitation sociale récente elle-aussi à Sète, 14, rue de la Caraussane. Photo : Olivier SCHLAMA

Et : “L’État a bien annoncé la création d’un fonds pour les trois prochaines années qui est, au total, de 1,2 milliard d’euros. Or, on n’a toujours aucune idée de comment il va être utilisable. Et 400 M€ par an sur la réhabilitation alors que l’on nous prend 1,3 milliard d’euros, ça ne le fait pas… Il faudrait avoir la même chose dans le public que MaPrim’Rénov pour le privé.” Or, justement, “le gouvernement a décidé de mettre beaucoup d’argent sur MainPrim’Rénov. Cette année, ils ne sont pas arrivés à dépenser tout l’argent prévu. En 2025, ils y mettent des milliards en plus. Cela va être très compliqué pour nous”.

Il est aussi, certes, prévu des fonds européens via la Région Occitanie. “Il faut aussi veiller qu’ils soient maintenus à bon niveau”, précise Jean-Michel Fabre qui porte une autre revendication : la revalorisation des APL, les aides au logement. “Les locataires sont fragilisés, y compris via la hausse des charges dues en partie par la hausse du coût des énergies, et les APL ne les couvre pas.” 

“Alliance de tous les acteurs, Fédération des promoteurs, Fondation Abbé-Pierre, l’USH et bien d’autres…”

Vice-président Habitat social en Occitanie, Jean-Michel Fabre n’en reste pas qu’au niveau du logement social. “C’est une crise globale. C’est tout le logement, privé et public, qui est plongé dans cette situation. Il y a une alliance de tous les acteurs. Il y a peu de moments dans l’histoire où l’on a pu avoir une position commune avec la Fédération française du bâtiment, la Fédération des promoteurs et la Fondation Abbé-Pierre, l’USH et bien d’autres. L’Etat annonce aussi la suppression ds aides pour le financement privé, la défiscalisation. Pour économiser deux milliards d’euros. C’est suicidaire si on ne le compense pas par ailleurs.”

Moins de droits de mutation pour les départements qui servent à financer les aides sociales…

“Cela signifie tout simplement que l’on met moins d’argent dans le secteur du logement où Bercy, le ministère des Finances, va chercher des économies depuis 2017.” Il complète : “De l’avis de tous les acteurs, il y a une incompréhension face à une non-politique du logement en France. Ces programmes qui ne se réalisent pas c’est aussi une catastrophe pour le secteur du bâtiment. Et à la fin ce sont tous les citoyens qui sont concernés.” Car, en cascade, ajoute Jean-Michel Fabre, il va y avoir une conséquence importante sur le budget des départements qui vont encaisser moins de “droits de mutation” (une taxe prise sur chaque vente de logement, Ndlr) qui financent une partie des aides sociales…”

“On est en train d’hypothéquer une relance réelle dans deux ou trois ans”

Ph. O.SC.

Ce n’est pas tout. “En 2017, cela devait être le choc de l’offre. Il y avait la politique “d’un logement d’abord”. Faire en sorte que les gens très en difficulté, à la rue, dans des centres d’hébergement, dans des logements insalubres puissent aller directement dans des logements, principalement social. Je suis partisan de cela. Sauf qu’il faut d’abord du logement… Suffisamment. Sinon, c’est au détriment d’autres. On alerte sans arrêt pas plus tard qu’il y a quelques jours. Tout est imbriqué : si la promotion qui comporte une partie sociale ne se fait pas, eh bien la partie sociale, de fait, ne se fait pas non plus. Si le logement social va mal, il peut y avoir des bailleurs qui ne puissent pas y aller. L’urgence n’est même pas pour les mois qui viennent. C’est surtout que l’on est en train d’hypothéquer une relance réelle dans deux ou trois ans.” 

“L’abbé Pierre disait : “Gouverner, c’est d’abord loger son peuple”. Ce gouvernement n’a pas compris cela”

L’un des bâtiments récents avec des logements sociaux, à Sète, réalisés 30, rue de la Chasse au Papillon. Photo : Olivier SCHLAMA

Comment explique-t-il cela ? “Je ne l’explique pas… L’abbé Pierre disait : “gouverner, c’est d’abord loger son peuple”. Ce gouvernement n’a pas compris cela. Il y a eu le Conseil national de la refondation, l’an dernier, où tous les acteurs qui se sont mobilisés lors d’une vaste concertation et qui a accouché d’une souris. Dans le moment actuel, les bailleurs sociaux ne sont pas restés les bras ballants en attendant que des aides arrivent. Nous sommes sur-mobilisés et nous essayons de faire le plus de choses possible, quitte à se mettre en danger. Nous mettons nos organismes en tension pour répondre à nos locataires pour qu’ils vivent bien.”

2,6 millions de demandes en France, “un record”

L’Union sociale de l’habitat, Confédération des bailleurs sociaux, présidée par l’ancienne ministre du Logement, Emmanuelle Causse, dresse le même constat, accablant. Au niveau national, on enregistre 2,6 millions de demandes, “un record”, alors que le nombre d’agréments est “à son pire niveau depuis 2005”. Le nombre de demandes de logement social est passé de 2,4 millions (dont 1,7 million de ménages en attente d’un premier logement et 700 000 déjà logés dans le parc existant) à 2,6 millions sur un an. Une progression qui vaut “pour l’ensemble du territoire”. Dans le même temps, le nombre d’agréments de nouveaux logements sociaux “n’a jamais été aussi bas depuis au moins 2005” et serait “bien en deçà de 85 000”.

Au moins 600 000 logement indignes en France

Ph. HSO

Dans son rapport 2023, la Fondation Abbé-Pierre, dont on “fête” cette année le 70e anniversaire de “l’Appel”,  invite le gouvernement à agir face à une “aggravation alarmante” de la crise du mal-logement. Un gouvernement dans “le déni”. En France, en 2023, 4,2 millions de personnes souffrent de mal-logement ou d’absence de logement personnel. Et 15 millions de personnes sont touchées, de près ou de loin, par la crise du mal-logement. Et d’ajouter que, parmi les personnes sans logement personnel (SDF, nuits dans les hôtels, chez des amis…) on compte 330 000 sans domicile fixe, trois fois plus qu’en 2001 et deux fois plus qu’en 2012.

Sans oublier l’impensable : une hausse “intolérable” du nombre d’enfants à la rue : chaque soir en octobre 2023, on comptait plus de 2 800 demandes non pourvues d’hébergement pour des enfants, contre 1 700 en 2022 et 920 en 2020. Le constat est accablant, poursuit la Fondation Abbé-Pierre qui a dénombré au moins 600 000 logements indignes en France. quand on croise ces chiffres à une “baisse brutale” de mises en chantier de logement HLM, on aboutit à une “bombe sociale” qui a déjà commencé.

Détricotage” de la loi qui impose 20 % de HLM

Uppercut supplémentaire qui sonne définitivement le monde du logement social : le “détricotage” de la loi SRU – qui impose 20 % de logements sociaux aux communes et qui a échoué à mélanger ménages aisés et modestes dans les mêmes quartiers – que le Premier ministre, Gabriel Attal, a annoncé, mardi soir, avec l’intégration du logement intermédiaire dévolu aux classes moyennes “hautes” dans le contingent obligatoire de HLM assigné aux communes. En clair, avec ce cadeau aux maires, place aux cadres moyens, exit les Français modestes…

Olivier SCHLAMA

Des élus d’Occitanie appellent à la manif

Rassemblement prévu le 8 février à Toulouse et demande de rendez-vous au préfet, à l’initiative des élus communistes, républicains et citoyens.

À l’initiative du groupe des élus communistes, républicains et citoyens de la Région Occitanie, une cinquantaine de maires et d’élus départementaux se sont réunis ce jeudi 24 janvier à l’hôtel de région à Toulouse et en visio-conférence pour un séminaire de travail sur la crise du logement qui frappe notre région.

Sursaut républicain

Marie Piqué. Ph. Julien Sueres.

“Le logement traverse aujourd’hui une crise sans précédent dans le pays et notre région. Cela se traduit par de fortes tensions sur le logement social et les HLM en général. Si les raisons qui ont abouti à cette situation sont nombreuses, les choix politiques de ces dernières années portent une grande responsabilité. L’ensemble des acteurs du logement sont unanimes et demandent un sursaut républicain pour le logement par un engagement pluriannuel de l’État à la hauteur des besoins”, déclare la vice-présidente de la Région Occitanie, Marie Piqué, co-présidente avec le préfet de Région du comité régional pour l’habitat et l’hébergement (CRHH).

Demande de rendez-vous au préfet

Ph. HSO

Au mois de mars, l’État, via la préfecture de Région, annoncera comme chaque année, le montant de l’enveloppe des aides à la pierre pour les bailleurs sociaux d’Occitanie. “Depuis de nombreuses années ces enveloppes ne cessent de diminuer alors que nous n’avons jamais eu autant besoin d’argent pour construire des logements”, s’alarme l’élue lotoise.

“Avec de nombreux élus locaux nous allons demander officiellement une audience au préfet de région pour parler de cette question financière et nous appelons d’ores et déjà à un rassemblement le 8 février prochain devant la préfecture de région”, annonce Pierre Lacaze, président du groupe des élus CRC Occitanie. Un appel au rassemblement est lancé au public, aux acteurs du logement ainsi qu’aux élus locaux pour le jeudi 8 février à 12h30 devant la préfecture de Région, Place Saint-Étienne à Toulouse.