Depuis 2018, l’abbaye d’Escaladieu en Hautes-Pyrénées accueille une grande exposition durant sept mois. Cette année, le Moyen-Âge en est le fil rouge. Avec du fantastique, du merveilleux… Quand le sauvage reprend aussi – un peu – sa place et que le méditatif le dispute à l’imaginaire…

Mettre en valeur l’histoire de l’abbaye et son passé médiéval : c’est le projet de la grande exposition grand public l’abbaye de l’Escaladieu (Hautes-Pyrénées) visible jusqu’au 2 novembre (5 €). Un événement surprenant à l’intérieur du monument et dans les jardins avec des univers très différents. Comme l’explique Aude Senmartin, cheffe du service arts vivants et arts plastiques du département des Hautes-Pyrénées, citant pour la partie extérieure le produit du travail de Camille Bellot & François Pottier. Les deux artistes ont créé une oeuvre monumentale de plus de trois mètres de haut : une gueule de loup géant qui semble sortir du mur d’enceinte de l’abbaye portant jadis protégée par ses moines.

“L’idée que le monde sauvage reprend un peu sa place dans notre monde contemporain

De quoi rappeler la fameuse Bête du Gévaudan. Un animal qui a toute sa place, ici, dans cette passerelle mémorielle. “Le loup est très présent dans les représentations du Moyen-Âge, les contes, rappelle Aude Senmartin. C’est un animal totémique qui symbolise la peur du monde sauvage. Pour les artistes qui participent à cette exposition, c’est l’idée que le monde sauvage reprend un peu sa place dans notre monde contemporain.” Une sorte d’ensauvagement, qui est le titre de l’oeuvre monumentale, justement. “Ils interrogent la notion de mur qui crée une limite et deux mondes : le monde de l’extérieur, une menace, et le monde civilisé, protégé. En construisant le mur, on s’éloigne du monde sauvage.” Les deux artistes ont mis un mois pour réaliser cette oeuvre – pelage compris ! – faite de bois de palettes récupérées ! Et qui, lui, n’a rien de sauvage. Une partie a dû être artistiquement brûlée.

Quinze oeuvres et même un château de princesse où “la tapisserie devient château. Qui remplace les murs”

Au total, dix-sept artistes proposent leur vision au travers de quinze oeuvres. Au bout du jardin, dans un endroit surnommé le Confluent, il y a, autre exemple, un château de princesse réalisé avec une technique de tissage particulière et des textiles aux couleurs vives. Lui aussi est particulièrement grand – même s’il est petit pour un château – mesurant quatre mètres de haut pour quatre mètres de large. Ce petit grand château est intéressant : “Au Moyen-Âge, les châteaux étaient souvent ornés de tapisseries, dit la cheffe du service arts vivants et arts plastiques au département des Hautes-Pyrénées. Dans  cette oeuvre, ajoute-t-elle, c’est la tapisserie qui devient château. Qui remplace les murs.”

Corne de licorne géante blanche de neuf mètres

Fer à béton, du fil de coton travaillé au crochet et de la céramique qui apporte une “brillance” : il y a aussi une corne de licorne géante blanche de neuf mètres ! Posée à terre comme si elle sortait du sol sans que l’on sache où se trouve la licorne… De quoi faire mumuse avec l’imaginaire et cette créature mythique. “Faire travailler l’imagerie et l’imaginaire est une façon de faire parler notre monde contemporain. Il y a un moment d’hésitation en découvrant cette oeuvre”, précise Aude Senmartin. Avec cette corne, ce qui est justement intéressant, c’est que l’artiste joue avec notre imagination. “C’est à nous de recomposer ce que doit être cet animal… imaginaire.”

L’art comme… champ de bataille !

A l’intérieur de l’abbaye, “il y a aussi des oeuvres diverses. On a installé un champ de bataille avec des lances, des drapeaux, des boucliers. C’est Vincent Mauger qui a eu cette belle idée dans laquelle il voit un écho avec les écussons, les armoiries des chevaliers et l’esthétique des avant-garde artistiques du début du XXe comme Mondrian, Malevitch, Sonia Delaunay qui ont créé l’art abstrait. Il y voit un lien avec l’héraldique. Il joue aussi sur le vocabulaire militaire du XXe siècle ; mes manifestes ; le fait que l’art était considéré comme un… champ de bataille”.

Tapisseries, écu-calandres, cheminements méditatifs

Certains artistes sont allés assez loin… Aude Senmartin évoque le travail de Mona Cara, qui réalise “des tapisseries monumentales évoquant notre monde actuel en mêlant des techniques anciennes et incrustant des éléments contemporains comme des figures de cartoons ; comme une fête foraine un peu débridée… en écho à la dérive de notre société…” Aude Senmartin cite également des artistes de l’expo qui “font le lien entre l’univers médiéval et le monde de l’automobile, notamment celui d’Alfa-Roméo”!

Ce sont des “écu-calandres”, comme des avants de voiture, mais en céramiques, qui imitent le rendu métallique d’une carrosserie avec des effets de brillance. Et ils y voient une analogie entre l’univers de l’auto, ses logos, les écuries et le monde des chevaliers. Il y a aussi des oeuvres plus “contemplatives ou méditatives“. Avec “de la broderie qui suit une sorte de cheminement méditatif, de poésie entre la nature, la spiritualité…” 

Maintenir le lien entre nature et imaginaire

L’abbaye d’Escaladieu accueille des expositions monumentales chaque année depuis 2018 dont la première fut Arbres, avec un grand tronc d’arbre (la souche) qui est resté. “Il y a eu une étude en 2019 et le choix s’est fait de maintenir une programmation artistique et surtout le lien entre nature et imaginaire. On s’attache chaque année à accueillir des oeuvres dans les jardins et à l’intérieur et qui se répondent autour d’une thématique”.

“Redonner de la force et un sens à l’image”

Aude Senmartin déploie : “Le Moyen-Âge est une période où l’imaginaire a une grande place. Qui remplace la science et la connaissance scientifique et qui va se développer ensuite avec la Renaissance. A l’époque, les artistes y avaient une place majeure. Ce sont eux qui créent l’image, les récits. Ce sont eux les maîtres de l’image du monde et le représenter. C’est une période où l’art était rare et précieux, réservé à une élite et aux églises et d’une grande puissance. C’était la seule voie accessible pour connaître le monde. C’est intéressant aussi quand on sait combien on est, qu’aujourd’hui, abreuvés d’images en permanence qui n’ont pas de valeur, de redonner de la force et un sens à l’image. De sortir du zapping et de la saturation…”

Le Moyen Âge a longtemps souffert à mauvais escient d’une image sombre, triste, empreinte d’obscurantisme, de superstitions, d’une esthétique désincarnée. Les artistes d’aujourd’hui y voient une période artistique riche de couleurs, de motifs, de matières, libre dans ses récits, dans ses représentations du monde, des figures humaines ou animales – affranchies des canons antiques.

Olivier SCHLAMA

Folies médiévales : du 4 avril au 2 novembre 2025. Avec les artistes suivants :

• Bella Hunt & Dante Di Calce
• Camille Bellot & François Pottier
• Mona Cara
• Adrien Couvrat
• Delphine Dénéréaz
• Adélaïde Feriot
• Marion Flament
• Lika Guillemot
• Yann Lacroix
• Aurélien Lepage
• Vincent Mauger
• Paul Mignard
• Jacques Perconte
• Agathe Pitié
• Arnaud Rochard

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