Éoliennes flottantes : Vent mauvais pour les oiseaux migrateurs en Méditerranée…

Opération exceptionnelle de baguage de poussins flamants roses en Camargue, grâce à l'aide de 150 bénévoles. De quoi mieux comprendre les migrations de cet oiseau, emblème de la Camargue. Photo : ZEPPELIN-Tour du Valat.

Très attendues, les conclusions de l’étude inédite Migralion qu’il aurait été cohérent de connaître avant de lancer ces moulins à vent, ne changera rien à leur planification. Même si les populations de ces oiseaux perdent déjà 2 % de leurs effectifs chaque année. L’Office français de la biodiversité assure que les porteurs de projets sont obligés d’en tenir compte. Sauf que…

Radars, observations depuis bateaux, balises, GPS… C’est un apport inédit mais sur lequel les critiques comment à poindre puisque cette étude, unique, a été réalisée après la planification des champs d’éoliennes dont l’implantation ne changera en rien. Quelle que soient les conclusions de Migralion et d’autres études à venir. Le programme vient de livrer des résultats sur les migrations d’oiseaux terrestres et marins au-dessus des eaux françaises de Méditerranée. Ce qui est d’importance au regard des champs d’éoliennes prévus au large de Sète et du Languedoc-Roussillon, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI

“Initiative pionnière pour améliorer les connaissances”

Sa principale conclusion ? “Migralion montre certains recouvrements entre des zones de migration ou d’occupation préférentielles des oiseaux et les parcs éoliens implantés et en projet, est-il écrit dans un jargon scientifique. Face à l’effondrement incontestable de la biodiversité, l’étude constitue une initiative pionnière essentielle pour améliorer l’acquisition de connaissances et permettre de mieux concilier de grands enjeux stratégiques comme la production d’énergie renouvelable et la protection de la biodiversité”, selon Eric Hansen, directeur coordinateur de façade maritime Méditerranée de l’Office français de la biodiversité.

Migralion, c’est la “première étude internationale cartographiant des flux d’oiseaux migrateurs en mer sur une telle surface avec une résolution spatiale aussi précise. Cela tient à l’important effort de collecte de données et au développement de modèles statistiques spécifiques pour le programme”, indique Aurélien Besnard, directeur scientifique du programme et enseignant-chercheur au sein de l’unité Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive du CNRS.

“Ces futurs champs d’éoliennes sont sur le chemin de ces oiseaux migrateurs”

Limicoles migrateurs Ph. J. Jalbert – Tour du Valat

Président de l’institut de recherche de la Tour du Valat, Jean Jalbert dit autre chose  : “C’est un projet qui a apporté beaucoup d’enseignements scientifiques. Jusqu’à présent le comportement des oiseaux migrateurs étaient une boîte noire. Nous avons participé au volet recherche sur les oiseaux terrestres que nous avons équipés de balises. On a entrouvert une porte scientifique. On a appris par exemple que ce ne sont pas les mêmes zones fréquentées en “montant” ou “descendant” vers nos côtes ; et oui ces futurs champs d’éoliennes sont sur le chemin de ces oiseaux migrateurs alors que la plupart de ces espèces sont déjà dans des tendances démographiques préoccupantes.” 

Quant aux oiseaux marins étudiés, là encore leur présence en mer dépend de la période. Lors de leur reproduction au printemps et en été, leur présence est maximale sur la frange côtière tandis qu’en période d’hivernage ils occupent une grande zone à l’Ouest du plateau du golfe du Lion ainsi qu’une large bande dans l’Est du golfe de Lion au droit de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (1).

Et Jean Jalbert de reprendre : “Ces espèces perdent en moyenne 2 % de leur population chaque année. C’est énorme. Et c’est la situation avant que ces oiseaux ne trouvent des obstacles en Méditerranée… Et on ne parle, là, que de la partie golfe du Lion ; or, l’éolien va s’installer sur toutes les façades maritimes.” Rappelons-nous que “nous et d’autres avions alerté sur les toutes premières éoliennes en Paca : nous avions émis un avis défavorable comme le CNRS, etc., sur l’enquête publique. C’est suite à cela qu’a été lancé le projet Migralion.”

“Éoliennes lancées avant l’étude Migralion”

C’est aussi à la suite du tollé d’associations de protection de la nature qui disaient que l’on mettait la charrue avant les boeufs. Et qui réclamaient que l’on ait les conclusions d’une étude d’envergure avant de poser des éoliennes en Méditerranée. Les pouvoirs publics ont lancé, en 2020, cette étude à l’initiative de la commission spécialisée éolien flottant du conseil maritime de façade Méditerranée, piloté par l’Office français de la biodiversité (OFB) à la demande des ministères de la biodiversité et de l’énergie, Migralion dévoile aujourd’hui ses résultats après quatre années de travaux scientifiques sans précédent en Méditerranée. Et “malgré Migralion, les appels d’offres sur les prochains lots pour avancer sur les éoliennes ont été lancées avant même de connaître ces conclusions…”, souffle Jean Jalbert.

En résumé, “la migration en Méditerranée est un phénomène très complexe d’une diversité aussi exceptionnelle. Migralion a donc juste entrouvert la porte de ce phénomène dont il reste beaucoup à découvrir. Notamment sur la migration en mer des oiseaux de petite taille dont les lacunes restent importantes. Il est enfin important de noter c’est un programme à large échelle et qu’il doit maintenant être complété par des études d’impact locales, plus précises, pour anticiper sur les futurs impacts des parcs éoliens en mer”, a rappelé Aurélien Besnard, directeur scientifique du programme.

“Les opérateurs devront tenir compte de cette étude”

Puffin de Méditerranée (aussi dit Puffin yelkouan) en vol au dessus des eaux . Ph. Stéphane Beillard/OFB

Isabelle Terrier, directrice déléguée de façade maritime de Méditerranée à l’OFB, ne dit pas autre chose. Elle précise aussi que “les opérateurs devront tenir compte de cette étude et des études d’impact complémentaires qui seront réalisées pour mettre en place des mesures d’évitement. C’est même dans leur cahier des charges”.

Quant à l’étude Migralion, elle-même, elle sert “de base scientifique pour évaluer l’impact des éoliennes ; c’est une étude pour savoir où sont les oiseaux ; à quelles hauteurs ; à quels moments ils passent. Ce sont des infos extraordinaires sur la faune volante que nous n’avions pas. Certaines espèces n’avaient jamais été équipées de balises. Le but c’est que toute ces connaissances, les porteurs de projet s’en emparent. Une partie des résultats de Migralion a pu d’ailleurs être utilisée”. Isabelle Terrier prolonge : “La suite à donner à ce programme, c’est de travailler sur l’impact de ces éoliennes sur la faune. Il faudra faire des études d’impact sur chaque parc. Migralion, c’était à grande échelle.

“Nous ne sommes pas contre l’éolien mais pas au détriment de la biodiversité”

De son côté, Cédric Marteau répond : “Cette étude montre bien que les oiseaux voleront bien au niveau des pâles des éoliennes et que les parcs pressentis sont bien au coeur de la migration des oiseaux.” Le directeur général de la protection de la nature à la LPO décrypte à propos des mesures d’évitement auxquelles sont contraints les porteurs de projets.

Il dit : “Chaque porteur de projet doit mettre en place ce que l’on appelle des mesures ERC : éviter, réduire, compenser. Il doit faire la démonstration que la zone qu’il choisit est la bonne zone et qu’il ne peut pas l’éviter ; qu’il a déjà renoncé à d’autres zones. Alors, souvent, il propose un projet en première lecture à grande échelle ; puis, il la réduit en disant qu’il a évité tant d’hectares, etc. Cela marche très bien au niveau terrestre. Mais en mer la difficulté c’est que c’est l’Etat qui définit la zone. Celle-ci est définie dans une grande «patate» et en parallèle l’Etat impose un cahier des charges. Une “patate” à l’intérieur de laquelle le porteur de projet doit décider là où il veut implanter son projet. C’est cela que l’on appelle “évitement”… Cela n’évite rien du tout !”

Cédric Marteau confie encore : “C’est pour cela que nous avons attaqué au contentieux un projet à Dunkerque : la zone d’évitement proposée par l’Etat est déjà dans une zone rouge ! En fait tout est “rouge” et l’Etat dit : au sein du “rouge”, trouvez une zone moins rouge…! Nous disons à l’Etat qu’il a défini des zones bien trop rapidement ; qu’il fallait attendre les travaux Migralion avant de les définir. On leur demande de revoir les zonages. Car les éoliennes tuent des oiseaux mais pas tout le temps : cela veut dire que des éoliennes bien installées, en dehors des migrations, n’ont pas d’impact. Pas celles installées dans un coeur de nature, qui, malgré toutes les mesures, ne peuvent pas éviter la mortalité. Nous ne sommes pas contre l’éolien mais pas au détriment de la biodiversité. Là, on s’y oppose.” 

Étude financée à hauteur de 4,4 M€

Rossignol philomèle, Luscinia megarhynchos. Ph. Phil Léger, Ofb

En moyenne 8 000 à 10 000 oiseaux s’engagent en mer chaque jour par kilomètre de côte en période de migration. Financé à hauteur de 4,4 M€ par l’État et les régions Provence-Alpes Côte d’Azur et Occitanie, ce programme visait à répondre à un manque important de connaissances sur la présence et les comportements des oiseaux et de la faune volante dans le Golfe du Lion, les zones de passages en mer privilégiées par les oiseaux migrateurs terrestres, et les zones de présence des oiseaux marins (zones d’alimentation, de repos…)

Quel est le projet de champ d’éoliennes flottante en Méditerranée ? Dans un premier temps, cinquante énormes moulins à vent flottants, au large du Golfe du Lion et de Paca, d’ici 2028 dans une zone de 3 300 km2, entre 15 km et 60 km au large (2).  Des moulins jusqu’à 500 éoliennes de 250 mètres de haut… Il y aura d’abord quelques dizaines d’éoliennes flottantes qui doivent être réparties en deux parcs, l’un en face de Fos-sur-Mer, le second au large de Port-la-Nouvelle. Leur puissance sera de deux fois 250 mégawatts chacune à l’horizon 2031 ; puis, de deux fois 500 mégawatts en 2035. Et il est donc désormais question de passer de 4 gigawatts à 7,5 gigawatts de puissance à l’horizon 2050 pour une emprise en mer de 400 km2 à 1 500 km2. elles seront a priori placées entre 15 km et 60 km de la côte. C’est-à-dire concrètement de voir flotter plusieurs centaines de mâts culminant à plus de 250 mètres de hauteur, peut-être 500, au final.

Olivier SCHLAMA

(1) Concernant certains migrateurs terrestres qui viennent nicher et se reproduire sur nos côtes, les analyses mettent en lumière des flux migratoires variables selon la période. “De janvier à juin lors de la remontée du golfe du Lion, c’est-à-dire pendant la période prénuptiale, le flux semble se concentrer sur la partie ouest du golfe. De juillet à décembre, pendant la période qui survient après la reproduction, appelée période postnuptiale, on observe que l’ensemble de la bande côtière élargie (jusqu’à 50 km) est utilisé par ces oiseaux, et qu’ils effectuent également des traversées directes au-dessus du golfe du Lion”.
(2) Sur l’éolien en mer, le gouvernement est allé vite, très vite. Déjà, les premières puissances ont été décidées pour les éoliennes flottantes en Méditerrannée. Ce qui a suscité beaucoup de réticences. Et la Commission nationale du débat public, instance totalement indépendante, avait été saisie une nouvelle fois, conformément à la loi, pour organiser une nouvelle concertation sur l’agrandissement des deux parcs avant… que ceux-ci n’aient vu le jour. La raison ? Devenir de plus en plus indépendants en énergie. Vite.

Depuis Port-la-Nouvelle, les éoliennes produiront l’équivalent de la consommation de Montpellier

Alors qu’un premier parc d’éoliennes flottantes est déjà installé au large des côtes audoises, le second parc Eolmed est actuellement en cours d’assemblage dans le port de Port-La Nouvelle. A cette occasion, Didier Codorniou, 1er vice-président de la Région Occitanie, en charge de la Méditerranée, et Olivier Guiraud, responsable des relations institutionnelles de Qair, seront présents à Port-La Nouvelle le 17 octobre prochain pour présenter ce projet et détailler la fabrication de cette ferme pilote made in Occitanie.

Ferme pilote made in Occitanie

Eoliennes en mer. Ph. CNDP

L’objectif de cette visite réalisée en présence des acteurs impliqués dans la création du projet d’éoliennes EOLMED, sera de détailler le processus de fabrication de cette nouvelle ferme, entièrement mené en Occitanie et en France. Que ce soit la fabrication des pièces ayant servi à la construction des flotteurs portée par l’entreprise lotoise Matière implantée à Bagnac-sur-Célé. Ou l’assemblage de ces mêmes flotteurs, réalisé à Port-la Nouvelle par l’entreprise Ponticelli.

Dans son ambition de devenir la première région à énergie positive d’Europe, la Région Occitanie franchit une nouvelle étape avec l’accueil en ce moment même de l’assemblage de la ferme pilote Eolmed dans son port de Port-La Nouvelle, après celle d’EFGL (Eoliennes Flottantes du Golfe du Lion) déjà installée en mer. Cette ferme, composée elle aussi de 3 éoliennes de 10 MW chacune, sera prochainement mise à l’eau au large des côtes de Leucate et du Barcarès. Elle permettra de porter à 60 MW la production d’électricité verte de ces premières fermes pilotes, représentant la consommation d’une ville comme Montpellier.