Emblème des Pyrénées : Grand Tétras, la justice coupe les ailes aux chasseurs

Un Grand Tétras. Photo : Michel Fernandez

Saisi par sept associations de défense de l’environnement, le Conseil d’Etat suspend cette chasse jusqu’en 2027, le temps que cette espèce “vulnérable” se reconstitue. Thierry de Noblens, de FNE Midi-Pyrénées, décrypte les nombreux facteurs de déclin de l’un des plus gros oiseaux d’Europe. La Fédération nationale des chasseurs, militant pour une gestion adaptative de l’espèce, dénonce un “énième coup tordu” qui mènera à la disparition programmée du Grand Tétras.

C’est un combat… de coqs qui dure depuis des décennies entre défenseurs de l’environnement et chasseurs. La justice vient de l’arbitrer à travers une  décision du Conseil d’Etat du 1er juin qui est hautement symbolique ICI. Qui suspend à partir de ce 15 juillet toute chasse au Grand Tétras, pour au moins cinq ans.

La plus haute juridiction française a estimé que l’état de la population du grand tétras (ou coq de bruyère, Ndlr) est mauvais. Même si la chasse n’est pas le principal facteur de déclin de l’un des plus grands oiseaux d’Europe, elle y participe. On comptait 18 000 spécimens – dont 9 000 mâles, les seuls que l’on puisse chasser – en 1960. On est tombés à 2 000 en 2021…” C’est Thierry de Noblens, président de FNE Midi-Pyrénées jusqu’à l’année dernière et actuel administrateur qui explique pourquoi la plus haute juridiction française, saisie par sept associations de défense de la nature (1), interdit cette chasse pendant au moins cinq ans à partir de ce mois de juillet. Aucun tir autorisé jusqu’en 2027, donc.

Les associations ont déjà gagné 55 fois devant la justice !

Depuis 2011, les associations attaquent systématiquement les arrêtés préfectoraux. Elles gagnent. Mais à chaque automne, rebelote : ces mêmes préfectures ré-autorisent cette chasse réglementée : Hautes-Pyrénées, Ariège, Haute-Garonne et P.-O. Au total, la justice a donné raison à 55 reprises à différentes associations qui défendent le Grand Tetras inscrit sur la liste rouge des animaux “vulnérables” ! Et qui est protégé par une directive européenne de 1979. Jusqu’au Conseil d’Etat, en 2018, pour une demande d’autorisation “un peu farfelue d’un seul tétras dans le Canigou. En vain : la ministre de l’Environnement de l’époque, Elisabeth Borne, a bien demandé le gel de cette chasse mais les préfets ont brandi une soi-disant menace de “trouble à l’ordre public…”, souligne Thierry de Noblens.

Forêts plus accessibles, stations de ski…

“C’est une très vieille histoire…” Les années 1960, c’est “l’âge d’or” pour le Grand Tétras qui s’épanouit dans toute la chaîne des Pyrénées, de l’Ariège aux Pyrénées-Orientales : les forêts étaient moins accessibles, plus sauvages, et n’accueillaient pas les centaines de kilomètres de routes forestières qui y ont été tracées depuis ; le tourisme, l’avènement des stations de ski et leur grande consommation de clairières et de lisières ont repoussé ce grand oiseau loin des baies qu’ils affectionne : myrtilles et autres framboises…

Sports nature en plein essor, réchauffement climatique…

Les accès aux forêts sont plus faciles. Photo : Geoffrey Grezes

Le tourisme toujours, avec ces sports nature en plein essor, effarouchent aussi le grand tétras. “Il vole très bien mais en boulet de canon : si on le dérange trop ; il peut mourir d’épuisement…” Les clôtures pastorales sont aussi parfois des pièges que les Grands Tétras peuvent percuter mortellement. Sans parler de nouveaux prédateurs comme les sangliers qui mangent volontiers les oeufs et les poussins…

Le réchauffement climatique le perturbe tout autant. “Les grosses chaleurs, l’été, c’est plutôt pas mal pour cet oiseau dont les poussins ont besoin de chaleur…” Mais l’hiver, c’est moins évident : le Grand Tétras est obligé de monter plus haut, de se couper davantage de ses congénères. Ce qui signifie moins de brassage génétique et moins de reproduction viable…

“Le Grand Tétras met beaucoup de temps à digérer les aiguilles de pins en hiver…”

L’hiver, cet oiseau apprécie les basses températures et les grandes hauteurs de neige parfois de dix mètres, qui freinent la présence de l’homme. Car, cet oiseau, protégé par une directive européenne de 1979, chassé sur autorisation préfectorale dans les Pyrénées – mais ni dans le Jura ou dans les Vosges -, se nourrit exclusivement d’aiguilles de pins directement sur les arbres. C’est aussi une faiblesse : “Il met beaucoup de temps à digérer cet aliment et peut, s’il est trop dérangé, mourir de faiblesse…”, poursuit Thierry de Noblens.

“Un Grand Tétras vaut 6 000 €, c’est le gibier le plus cher de France…” !

Grand Tétras des Pyrénées. Ph. Jérôme Bourdelot

Enfin, le Grand Tétras est victime de son succès : cet oiseau de 50 cm à 60 cm et de quatre à cinq kilos peut être chassé mais “à condition que cela ne compromette pas la conservation de l’espèce”. Chaque année, chaque préfecture concernée définit un nombre d’oiseaux à tuer. Sue le papier, c’est peu. “L’année dernière et en 2018, le taux de reproduction étant trop faible, aucun prélèvement n’a été autorisé. Mais, sinon, c’est de l’ordre de 20 à 25 grands tétras. Attention, on parle de prélèvements légaux, insiste  Thierry de Noblens. Après, quand on voir que 400 classeurs peuvent participer à une chasse…” Il faut dire que le jeu en vaut la chandelle : “Un grand tétras vaut 6 000 €, c’est le gibier le plus cher de France…” !

“Connivence entre deux ex-ministres”

De son côté, la Fédération nationale des chasseurs dénonce “la connivence entre deux ex-ministres, Bérangère Abba et Barbara Pompili (qui ne sont plus aux affaires depuis, Ndlr), et les associations de protection de la nature dans le but permanent de détruire la chasse et la ruralité par petites touches répétitives”. Et d’ajouter : “Le ministère avait pourtant fait part, durant l’été 2021 à la FNC, qu’il ne souhaitait pas mettre en œuvre un arrêté ministériel sur la gestion adaptative et aux espèces qui peuvent y être soumises, dont le Grand Tétras fait partie.”

Les chasseurs défendent une gestion adaptative

Et de poursuivre : “Sur proposition des fédérations des chasseurs Pyrénéennes qui sont des acteurs de la biodiversité responsables, les préfets avaient donc pris des arrêtés fixant à zéro les quotas de prélèvements afin de tenir compte des résultats des comptages et des calculs d’indices d’abondance par les chasseurs et par l’OFB (Office français de la biodiversité) pour le compte de l’Observatoire des galliformes de montagne. En fait, par ce quota, les fédérations mettaient en œuvre la gestion adaptative de cette espèce avec, les bonnes années une quinzaine de spécimens prélevés dans toutes les Pyrénées et les mauvaises années pour l’espèce, comme cette année, un quota à zéro.”

“Nous allons assister à la probable disparition de cette espèce”

Pour Willy Schraen, le président de la FNC “cette décision est un énième coup tordu de Barbara Pompili, qui a soigneusement tenu la FNC à l’écart de cette procédure. Pourtant tout le monde reconnaît que la gestion de cette espèce était exemplaire. D’ailleurs, dit-il, c’est là où la chasse est interdite depuis 20 ans que les populations diminuent alors que là où on la chasse en gestion adaptative elle va mieux comme c’est le cas pour beaucoup d’autres espèces ! On a suspendu la chasse du Grand Tétras dans les Alpes et les Vosges et l’espèce a quasiment disparu. Une fois de plus la chasse comme bon nombre d’activités rurales subit l’idéologie punitive de ceux qui se réclament de l’écologie, sans rien y connaître, lorsqu’ils sont à la tête de ce ministère, mais cette fois si, à l’évidence, c’est encore plus grave, car nous allons assister à la probable disparition de cette espèce.”

Olivier SCHLAMA

(1) Le recours au Conseil d’État était porté par FNE Midi-Pyrénées, FNE 65, Nature En Occitanie, Nature Comminges, Comité Écologique Ariégeois, Groupe Ornithologique du Roussillon, FNE.

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