Départements : Les prestations sociales dépassent 40 milliards d’euros par an depuis 2020

Prises en charge du RSA, de la protection de l’enfance, personnes handicapées et des personnes âgées… L’analyse de l’Observatoire de l’action sociale, permet “de dégager des hypothèses sur les inquiétantes perspectives financières des années à venir” pour les départements qui y consacrent la plus grosse partie de leur budget d’investissement. La directrice scientifique de l’Odas s’inquiète du grand “malaise” dans le champ médico-social et plaide pour une “refonte des politiques sociales”. Par ailleurs, l’embellie des finances des départements est due à celle de l’immobilier.

En 2021, les dépenses sociales et médico-sociales ont marqué “une pause” relative, dans un environnement financier favorable. “Mais l’incertitude domine, pour 2022 et plus encore pour 2023, tant la diversité des difficultés (inflation, coût de l’énergie, approvisionnements…) et leurs conséquences économiques et sociales sont nombreuses, dans un contexte de tensions internationales inédit depuis de nombreuses années”. C’est la conclusion de l’Odas (1), l’Observatoire national de l’action sociale, qui mène une enquête annuelle sur les dépenses sociales des départements de l’Hexagone.

Jamais les dépenses sociales des départements n’avaient si peu augmenté d’une année à l’autre, l’exercice 2021 fait donc figure d’exception”

Une pause mais le plafond de plus de 40 milliards par an est franchi depuis deux ans. Ainsi, après avoir atteint un record inédit, à 40,2 milliards d’euros de dépenses nettes en 2020, les prestations sociales n’ont évolué que de + 0,4 %, en 2021, à 40,4 milliards d’euros (+ 150 M€) avec une hausse des concours de l’Etat de 190 M€. Un vrai tonneau des Danaïdes… Même si l’enquête apporte un constat sous forme d’un répit relatif. “C’est un constat rare : jamais les dépenses sociales des départements n’avaient si peu augmenté d’une année à l’autre, l’exercice 2021 fait donc figure d’exception.” Cette analyse permet par ailleurs “de dégager des hypothèses sur les inquiétantes perspectives financières des années à venir”.

Ce sont des dépenses colossales

Les dépenses sociales représentent entre 50 % et 70 % du budget d’investissement des départements. Ph. Olivier SCHLAMA

Ce sont des dépenses colossales qui “représentent entre 50 %, 60 % ou 70 % des budgets de fonctionnement des départements”, indique Didier Lesueur, DG de l’Odas. “Notre préoccupation n’est pas comptable, précise-t-il ; nous évaluons la croissance de la réponse sociale pour mieux appréhender l’évolution des besoins. 2021 est une année atypique, avec une très faible croissance des dépenses sociales en France métropolitaine, de l’ordre de 30 M€, y compris dans le contexte sanitaire.” Avec, fait remarquer la directrice scientifique de l’Odas, Claudine Padieu, une baisse continue des écarts des dépenses par département.”

Enfance, personnes âgées dépendantes, insertion, handicapés

Depuis trente ans, l’Odas produit ainsi chaque année une enquête sur l’évolution de l’action sociale et médico-sociale des départements et ses incidences financières. Cette année encore, malgré la crise sanitaire et ses conséquences difficilement mesurables, l’Odas a réalisé son enquête annuelle avec le concours d’un échantillon représentatif de 49 départements. Ces dépenses de divisent entre quatre grands blocs : protection de l’enfance (21 % des dépenses hors personnels), personnes âgées dépendantes (18 %, hors personnels), personnes en situation de handicap (21 %, hors personnels), insertion (RSA, 27 %, hors frais de personnels). Mais rien ne dit que ces dépenses ne vont pas exploser à l’avenir…

Des dépenses supplémentaires à venir

Il faudra compter avec une revalorisation des salaires à venir dans plusieurs branches sociales ; l’instauration d’un tarif plancher pour l’heure d’aide à domicile depuis le 1er janvier 2022, entre autres. Il y aura aussi les conséquences financières du Ségur de la Santé, notamment les hausses de salaires pour les personnels d’Ehpad, pris en charge par les départements en partie.

Il y aura aussi “l’avenant 43” relatif à la rémunération des aides à domicile avec une augmentation salariale de 13 % à 15 % pour les 209 000 personnels des services d’aides et d’accompagnement à domicile (SAAD) ; des services de soins infirmiers (SSIAD) et donc une hausse de l’APA et de la prestation de compensation du handicap (PCH)… Le surcoût pour les département serait de l’ordre de 75 M€, compensés à 70 % par l’Etat, donc un surcoût final de 22 M€. Pour 2022, l’Etat ne couvrirait que 50 % de ce surcoût…

Des baisses de dépenses sociales et des hausses

Claudine Padieu met en relief des évolutions. “Deux dépenses sociales ont relativement baissé ; ce qui est suffisamment rare pour le signaler : celles liées aux personnes âgées (7,38 milliards d’euros en 2021), c’est liée bien sûr au covid et les dépenses liées au RSA. Les dépenses de RSA ont baissé de 70 M€ mais en restant supérieures à 11 milliards d’euros en 2021. Cette baisse est à mettre en relation avec la reprise économique et donc une baisse du chômage. En revanche, trois autres ont augmenté : pour les personnes handicapées et l’aide sociale à l’enfance (+ 1,8 % à 8,29 milliards d’euros en 2021) mais moins que les années précédentes et une hausse des personnels pour compenser les absences à cause de la pandémie et aux recrutements temporaires.”

On sait bien mesurer les capacités techniques des personnels, dans le soin par exemple, mais la qualité de l’accompagnement est ignoré. Les gens sont désespérés…”

Claudine Padieu, directrice scientifique de l’Odas

La directrice scientifique de l’Odas va plus loin et s’alarme : “Ce qui est nouveau dans le champ social et médico-social, c’est le nombre de démissions ; de postes vacants ; il y a de grandes difficultés à recruter dans les écoles… Pourquoi ? Il y a un très grand malaise…” Et d’insister sur le fait que l’on “sait bien mesurer les capacités techniques des personnels, dans le soin par exemple, mais la qualité de l’accompagnement est ignoré. Les gens sont désespérés. On remarque un vrai désespoir. Le sujet c’est d’arriver dans ce pays à refondre les politiques sociales…” Un vrai plaidoyer !

Hausse des placements d’enfants en institutions

S’agissant des placements d’enfants, crainte là aussi. “Nous notons une dégradation dans l’ambiance des familles avec une hausse des placements de + 3 500 en 2020 à plus de 5 000 en 2021. Ce que l’on constate aussi, c’est de plus en plus de cas lourds et plus graves. Et que les familles candidates pour accueillir des enfants placés sont de moins en moins nombreuses parce qu’elles “ne se sentent pas capables de les gérer”. C’est pour cela que l’on note une hausse de + 3,7 % des placements en institutions et une augmentation de la part des dépenses de placement (7 milliards d’euros en 2021 pour une dépense totale de 8,29 milliards d’euros).

En France, on frôle la barre des 200 000 enfants et de jeunes majeurs accueillis en protection de l’enfance. Les dépenses devraient évoluer parce que “la loi va évoluer”. Avec renforcement des services PMI, recherche systématique de la possibilité de confier l’enfant à quelqu’un de son entourage, interdiction de séparer les fratries, rémunération des assistants familiaux à un Smic au premier enfant, interdiction du recours à l’hôtel, etc.

Olivier SCHLAMA

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  • (1) Créé en 1990 à la demande des présidents des commissions des affaires sociales de l’Assemblée nationale et du Sénat, l’Odas (Observatoire national de l’action sociale – https://www.odas.net) est une association qui analyse l’action des collectivités publiques et institutions locales en matière de cohésion sociale. À cette fin, il évalue l’impact des diverses politiques éducatives et sociales.
  • Par ailleurs, pour entretenir et renforcer les dynamiques d’innovation locale l’Odas a créé en 2006 l’Agence des pratiques et initiatives locales Apriles qui recense, expertise et diffuse les innovations en matière de transformation sociale et de développement social (odas.apriles.net) ainsi que, en 2020, le Lab’AU (odas.labau.org), site ressource pour changer durablement le regard sur le vieillissement et le handicap et donner toute leur place dans la société aux personnes âgées et handicapées. Enfin, il peut lui arriver de porter l’essaimage d’une innovation particulièrement prometteuse, c’est le cas pour la Journée citoyenne.

“Une embellie” des finances grâce à celle de l’immobilier

L’analyse vient de la Banque postale, partenaire de l’Odas. “L’embellie de la situation financière des départements1 en 2021 est liée en grande partie à la forte progression des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), les taxes que perçoit le notaire au moment d’un achat immobilier, pour le compte de l’Etat et des collectivités locales, pourrait permettre d’amortir les difficultés anticipées pour 2022”, indique l’étude.

En 2021, ont été au centre des débats départementaux : les élections de juin et la perte du pouvoir de taux avec le transfert du produit de foncier bâti aux communes, remplacé par une fraction de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). En termes d’analyse financière, c’est l’exceptionnel dynamisme des DMTO qui est le fait marquant de 2021. Ceux-ci ont augmenté d’environ un quart par rapport à 2020, soit + 3 milliards d’euros, atteignant un niveau record.

L’épargne brute s’établit à + 3,2 milliards d’euros

Les DMTO sont le facteur prépondérant de la forte augmentation de l’épargne brute en 2021 puisque celle-ci s’établit à + 3,2 milliards d’euros, une hausse comparable, en montant, à celle des DMTO. L’épargne brute a ainsi progressé de 41 % par rapport à 2020. Comparé à 2019, le niveau observé en 2021 est également sensiblement plus élevé (+ 21 %). L’épargne nette suit également cette tendance malgré une augmentation de 7,3 % des remboursements de dette.

En 2022, le dynamisme risque d’être plutôt du côté des dépenses, notamment énergétiques.

Les dépenses d’investissement des départements sont en hausse pour la quatrième année consécutive, avec une augmentation marquée en 2021 (+ 9,4 %). Ce sont avant tout les dépenses d’équipement qui participent de ce dynamisme (+ 14,5 %), les subventions versées étant relativement stables sur ces trois dernières années.

Comme sur les années 2017 à 2019, les emprunts permettent de financer environ un quart des dépenses d’investissement en 2021. Avec le surplus d’épargne, cela a permis un fort abondement en trésorerie des départements en 2021. L’encours de dette est en légère diminution entre 2020 et 2021 (- 2 %), les remboursements de dette étant plus élevés que les emprunts. En 2022, le dynamisme risque d’être plutôt du côté des dépenses, notamment énergétiques.

L’inflation pourrait également se ressentir via la hausse des prix des prestataires

L’inflation qui a fait son retour en 2021 et s’est fortement amplifiée début 2022 à cause du conflit en Ukraine, notamment concernant l’énergie, devrait engendrer une hausse des dépenses de fonctionnement en 2022. L’impact se matérialisera directement sur les dépenses énergétiques des départements, qui représentaient 0,5 % de leurs dépenses de fonctionnement en 2019 et 2020. L’inflation pourrait également se ressentir à travers la hausse des prix des prestataires ou fournisseurs des départements eux aussi impactés par les coûts de l’énergie (les entreprises du BTP par exemple).

De façon plus indirecte, cette montée des prix devrait aussi concerner des structures pour partie financées par les départements comme les collèges et les établissements médico-sociaux. Pour illustration, les dépenses énergétiques des Ehpad publics représentaient environ 2 % de leurs dépenses de fonctionnement en 2019 et 2020.

La masse salariale des départements devrait également augmenter significativement en 2022 du fait de la revalorisation de la catégorie C intervenue fin 2021 et du dégel du point d’indice qui doit être acté courant 2022.