Chronique politique : L’agriculture, condition de la condition humaine

Faisant suite à la chronique de Sébastien Denaja la semaine dernière, Dis-Leur ! Publie la chronique de Dominique Reynié – professeur des Universités à Sciences Po, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (www.fondapol.org). Dernier ouvrage paru : “Où va la démocratie ?” (*).

Il y a quelques milliers d’années, entre le Tigre et l’Euphrate, l’agriculture est advenue. Elle a donné le jour au monde que nous connaissons. Le travail de la terre, l’ingéniosité de l’esprit, l’habileté de la main, un labeur acharné, les innombrables innovations, la production des ressources nécessaires à la vie, puis des ressources ouvrant sur une vie meilleure ; ensuite, l’apparition des Cités, des nations, les échanges, le commerce ; les pénuries et les guerres aussi. L’agriculture est devenue la condition de la condition humaine.

Les changements qui affectent cette activité affectent l’humanité. Or, que savons-nous des mutations à l’œuvre ? Au moins ceci : l’accroissement démographique s’est emballé. L’Asie et l’Afrique sont les sources principales de cette augmentation sans précédent, et l’Afrique surtout : 40% des Africains sont nés après 2001… En 1950, nous étions 3 milliards à peupler la planète ; en 2018, nous approchons les 8 milliards. En 2050, nous serons 9 à 10 milliards.

Le nombre de personnes souffrant de malnutrition est reparti à la hausse, pour atteindre 815 millions, soit 26 millions de plus par rapport à 2014/2016, principalement en Afrique.

“Si nous ne savons pas inverser la dégradation des sols, il y aura moins de terres fertiles…” Photo D.-R.

Il n’y aura pas davantage d’eau ; il faudra en dessaler de très grandes quantités; ce commerce va prospérer, signant le grand retour des marchands d’eau. L’urbanisation du monde risque de réduire les terres disponibles pour l’agriculture ; de même, si nous ne savons pas inverser la dégradation des sols, il y aura moins de terres fertiles.

Depuis l’effondrement du communisme, la globalisation a su faire reculer la malnutrition dans des proportions trop rarement rappelées : selon la FAO, 1.011 milliards de personnes souffraient de malnutrition en 1990/1992, contre 789 millions en 2014/2016, soit une baisse de 222 millions, principalement en Asie et particulièrement en Chine.

Mais la poursuite de la croissance démographique est en passe d’annihiler ces progrès extraordinaires : en 2015/2017, le nombre de personnes souffrant de malnutrition est reparti à la hausse, pour atteindre 815 millions, soit 26 millions de plus par rapport à 2014/2016, principalement en Afrique.

Bâtir sans tarder un ordre agricole mondial

Si nous ajoutons le paramètre du réchauffement climatique, nous savons que nous allons vers la raréfaction des ressources : certes, il y aura un peu plus de biens produits mais beaucoup plus d’humains à nourrir. Le temps de la rareté va revenir et avec lui les tensions entre les puissances, les idées de conquête, les projets d’accaparement, les guerres.

Pour conjurer ces menaces, le libéral que je suis estime qu’il faut bâtir sans tarder un ordre agricole mondial, d’abord chargé d’assurer la sécurité alimentaire de l’humanité, par la régulation, par l’innovation, par la lutte contre le gaspillage et les pertes alimentaires ; un nouvel ordre chargé aussi d’assurer la soutenabilité de nos conditions de vie ; un nouvel ordre chargé enfin de veiller à la préservation du foncier, car si la terre est une marchandise, elle est aussi un bien commun.

Dominique REYNIE

(*) Paris, PLON 2017