Chaque mois, le Sétois Alain Rollat propose un rendez-vous littéraire, le Marque-Page. Cet éminent journaliste, qui fut directeur-adjoint du Monde, nous fait découvrir les livres d’auteurs régionaux issus de maisons d’éditions d’Occitanie et d’ailleurs. C’est au tour d’Anne Burdinat, Maylis Adhémar et Elis Wilk.
Un premier roman
Les voies de l’inspiration littéraire sont encore plus impénétrables que celles de Dieu. L’envie d’écrire s’impose parfois à l’esprit comme un besoin naturel aussi impérieux que la faim ou la soif pour le corps. Ce besoin peut même devenir irrésistible au point de défier l’entendement. Si vous demandez à Anne Burdinat comment est née Aénor l’intemporelle, l’héroïne de son premier roman, elle vous dira que ce personnage “s’est imposé” à elle après s’être longtemps “baladé dans sa tête”.
Ce personnage, c’est celui d’une jeune femme du XVIIe siècle abandonnée dans son berceau à la porte d’un prieuré, recueillie et instruite par des religieuses expertes en herboristerie, et qui, dès son plus jeune âge, prodigue des soins aux pèlerins en route pour Compostelle, puis, un jour, après avoir vécu “une expérience de mort imminente”, part en pèlerinage à Rome d’où son “savoir-soigner” la conduira à l’accomplissement de sa vie : “Être barbier-chirurgien”.
Les femmes ont bâti leur vie en marge de l’Histoire officielle
Bien qu’il s’agisse d’une belle histoire pétrie de sentiments chrétiens, racontée avec simplicité, l’héroïne en question n’est tout de même pas née dans le cerveau d’Anne Burdinat sous l’effet du Saint-Esprit. Un personnage de roman est toujours accouché par les tréfonds intérieurs de son auteur. Cette Aénor compatissante, portée à soigner les autres, c’est Anne Burdinat elle-même : une femme qui a étudié les états de conscience modifiés, pratiqué l’hypnose et enseigné la sophrologie. Cette Intemporelle qui entraîne les autres au dépassement et démontre que la puissance d’une vocation est capable de s’affranchir de tous les carcans, c’est encore elle : une féministe assumée proclamant sans complexe qu’à toutes les époques les femmes ont bâti leur vie en marge de l’Histoire officielle.
Anne Burdinat a donc accouché de son héroïne par besoin vital. La chose s’est produite à Sète, au terme d’une longue gestation entre Les Ménuires et Lyon, les autres points d’ancrage de cette randonneuse tout terrain qui se décrit les pieds sur terre, la tête dans les nuages.
Ce roman peut être lu par le début ou par la fin !
Mais l’enfantement d’un premier roman n’est jamais une partie de plaisir. Surtout quand il s’agit d’exprimer par l’écriture des émotions remontées des profondeurs les plus intimes et de les faire partager aux autres sous des formes littéraires habituellement corsetées. Pressée d’aller jusqu’au bout de son projet, Anne Burdinat a commis la petite erreur, facile à gommer, que font souvent les débutants en littérature, du moins de ceux qui, aujourd’hui, optent trop vite pour l’autoédition par crainte du jugement des éditeurs professionnels : cédant à la tentation de soumettre son manuscrit à la lecture de ses proches, elle a tenu compte de leur avis et modifié l’introduction originelle de son histoire pour regretter, finalement… de l’avoir fait ! Elle s’en explique sans fard dans une “note de l’auteure” assortie d’un “postambule” publiés en conclusion du livre…
Ce roman attachant possède ainsi la particularité, honnêtement dévoilée, de pouvoir être lu dans les deux sens : en commençant par le début ou par la fin ! C’est un peu déconcertant, et même un peu dommage, parce que la double personnalité d’Aénor Burdinat, beaucoup plus riche qu’au premier abord, ne se révèle qu’au terme de cet aveu honorable. Mais cette originalité ajoute au charme de cet ouvrage à double clef qui débouche, de façon inattendue, sur un questionnement relatif à la responsabilité imputable aux “anges gardiens” dans la réincarnation hypothétique des êtres… Vaste sujet qui mériterait des développements, au risque, pour Anne-Aénor Burdinat, de braver les foudres des nouveaux inquisiteurs…
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Aénor l’Intemporelle, Anne Burdinat, Publishroom factory, 175 pages, 15 €
Une œuvre rare
Son inspiration, Maylis Adhémar la trouve dans le regard à 360 degrés, distancié, détaché, sans filtre, sans préjugés, que porte sur le monde et ses contemporains, à la façon de l’entomologiste, le diseur de vérités qu’est l’authentique journaliste professionnel, une espèce d’observateur de plus en plus rare en nos temps de réseaux dits sociaux peuplés de faussaires.
Cette Tarnaise, aujourd’hui Toulousaine, a choisi d’être journaliste indépendante après avoir obtenu un bac agricole parce qu’elle voulait, initialement, devenir bûcheronne. Mais le journalisme est-il autre chose qu’un bûcheronnage ? Ne défriche-t-on pas les faits comme un défriche les forêts ? Maylis Adhémar est aussi à l’aise dans l’observation du macrocosme que dans celle du microcosme. C’est une femme épanouie.
Plénitude d’une âme libre
Son second roman, La Grande Ourse, qu’elle publie chez Stock, respire la plénitude intérieure d’une âme libre, qui, à trente-huit ans, a déjà bourlingué jusqu’en Chine et en Patagonie, déjà perçu l’unité de la condition humaine sous la multiplicité des différences, et qui, ayant appris à respirer au grand large, n’est plus tracassée par les tiraillements identitaires.
C’est un beau livre sur la fragmentation d’une société, la nôtre, qui ne fabrique plus de la civilisation mais de nouvelles cavernes formatées enfermant les individus dans des bulles hermétiques où ils tournent en rond autour de leur nombril plutôt que de chercher à se rapprocher les uns des autres pour essayer de trouver, ensemble, des solutions à leurs problèmes communs…. Il met en scène une héroïne qui, de toute évidence, est le clone de Maylis Adhémar. Celle-ci s’appelle Zita. Elle était destinée à être bergère dans les Pyrénées. Le déclin du pastoralisme, la réintroduction des ours et ses bons résultats scolaires en ont décidé autrement.
L’un des livres les plus justes que l’on ait pu lire sur ce qu’est aujourd’hui le microcosme social montagnard
Ingénieure agronome, expatriée de l’agro-industrie, elle enchaîne les contrats à travers le monde. Cinq ans après son départ, elle revient dans la ferme de ses parents au fond d’une vallée ariègeoise. Un soir, elle rencontre Pierrick un citadin qui partage sa vie entre Ines, sa petite fille, et, Emilie, son ancienne compagne. Un jour d’automne, le cadavre d’un ours est retrouvé sur l’estive où paissent les brebis de la famille de Zita. Pour Pierrick, Ines et Emilie, celui qui a tué l’ours n’est qu’un pitoyable assassin, un arriéré. Le silence de Zita brise peu à peu l’entente cordiale des habitants des villes et des montagnes…
Maylis Adhémar maitrise son sujet, parfaitement documenté, aussi bien que son écriture, aussi percutante qu’élégante. Elle entrelace avec maestria les fils d’un canevas adroitement construit. Et cela donne l’un des livres les plus justes que l’on ait pu lire sur ce qu’est aujourd’hui le microcosme social montagnard, dans les Pyrénées comme ailleurs, partout où s’entrechoquent les traditions et les modernités. L’un des plus justes parce que l’auteure s’affranchit des clichés et des idées reçues qui caractérisent trop souvent les histoires mettant en présence les paysans et les écolos, les vrais ruraux et les faux, les bergers et les ours ou les loups. Maylis Adhémar signe ici une espèce littéraire en voie de disparition : une œuvre forte pétrie de nuances.
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La Grande Ourse, Maylis Adhémar, Stock, 340 pages, 20,90 €
La méthode Wilk
Que faire si l’on est en panne d’inspiration ? Le plus simple est de laisser vagabonder son imagination. Bien sûr, il est préférable de ne pas la laisser se balader n’importe où, ou n’importe comment. Une artiste touche-à-tout, qui vit en ce moment du côté de Rabastens (Tarn), a mis au point une méthode personnelle donnant d’excellents résultats. Elle s’appelle Elis Wilk. Curieuse de tout, grande voyageuse, elle a engrangé un savoir éclectique.
Elle a étudié le cinéma et les lettres modernes à Montpellier, les sciences politiques à Lyon, l’art de l’affiche et le théâtre en Pologne puis enseigné la photographie à Arles avant de se former à l’illustration en Italie et en Belgique. C’est une artiste “visuelle” ; elle aime jouer avec les émotions, les couleurs, les mots et ses créations habitent déjà beaucoup de journaux, de sites urbains et de livres pour enfants. Son truc est, d’ailleurs, presque enfantin : elle fixe son attention sur un paysage, un dessin, un tableau, un souvenir, un rêve et elle lâche la bride à son imagination. “Je peux partir loin, loin, loin dans un dessin ou une peinture et ne revenir que longtemps après, dit-elle. Après une étrange chevauchée où il faut s’accrocher pour rester en selle…” Cela relève plus de la méditation active chère aux adeptes du yoga mental que des pratiques académiques mais cela donne de très jolis agencements de textes et de couleurs.
U bijou, une étoile filante, une performance
Le dernier ouvrage d’Elis Wilk, Loin des lumières, illustré par ses propres soins, est né de l’une de ses chevauchées débridées. Elle s’est plongée dans ses souvenirs d’enfance. Le jour où, à l’âge de huit ans, elle a déménagé en famille de Malakoff (Hauts-de-Seine) pour s’installer dans la campagne du Berry, au bord d’une rivière, dans un coin perdu mais magnifique. Et, tranquillement, elle a laissé son Je profond remonter le fil de ses souvenirs d’enfant pour aller à la pêche. Il en est revenu avec une moisson de brins de poésie tressés en guirlandes et posés sur des pastels avec une infinie délicatesse. C’est un bijou, une étoile filante, une performance.
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Au Loin les Lumières, Elis Wilk, Versant Sud, 88 pages, 17,50 €
Alain ROLLAT
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