L’axe Perpignan-Gerone, entre deux villes de plus de 100 000 habitants, a le vent en poupe grâce à des projets irrigués par l’argent de l’Union. Maire d’Elne et 1er vice-président du département des P.-O., Nicolas Garcia le dit : “On a une carte à jouer. Économiquement et culturellement.”
Les géants, même rangés au chausse-pied à l’entrée de la mairie de Gerone, après les Foires de Sant Narcis, ce 29 octobre – le sol en est encore constellé de confettis et le regard des enfants d’étoiles -, se prennent un flash touristique toutes les cinq minutes. À 70 km de Perpignan, la même tradition séculaire se perpétue avec ces emblèmes de la ville, jadis prohibés sous la dictature franquiste et qui en sont ressortis plus forts.
Ce n’est pas la seule similarité qui unit les deux côtés de la frontière. La culture et la langue y sont identiques ; on y ressent dans les plats généreux une gémellité évidente… L’Europe, à travers tout un programme transfrontalier, met du lustre dans les rouages de ces espaces issus d’une même civilisation à travers le financement de projets. C’est le cas de l’Escat, Espace transfrontalier catalan, qui s’étend des P.-O. jusqu’à la presque totalité de la province de Gérone.
À Gerone comme à Perpignan, on est fier de sa catalanité

Gérone est fière de sa catalanité. Comme Perpignan. Les deux se font face à moins d’une heure de route. En ce début d’hiver, il filtre une étrange lumière jaune clair, en longeant la grande ville moderne et le fleuve rio Ter.
La ville médiévale s’y révèle spontanément : maisons de quelques étages, jaunes, ocres, rouges, aux fenêtres rectangulaires, festonnées, aux balcons, parfois des bow-window décalés, surplombent les courbes de la rivière, comme le font les encore existantes maisons florentines au-dessus du fleuve Arno. Gérone comme Perpignan sont tellement catalanes ! Exhale une inimitable et nostalgique douceur de vivre. On y a jeté des passerelles sur la rivière, où, réchauffement climatique oblige, les ragondins se disputeraient presque avec les canards le peu de fond d’eau, à deux pas des ramblas de la vieille ville. La cathédrale Sainte-Marie de Gerone ? Une illumination !
À Perpignan, la catalanité s’exprime davantage dans la convivialité, la cuisine, la fête. Dans les coeurs et les gestes. Même lumière qu’à Gerone. Même vent ; mêmes collines d’oliviers. A Perpignan, jadis capitale du royaume de Majorque au XIIIe siècle, on a hérité de sa catalanité tandis-que chez sa jumelle, on la conquise. Les deux font la paire : tellement catalanes !
Carte-Espace_catalan_transfrontalierMaire PCF d’Elne, Nicolas Garcia, titulaire de la double nationalité française et espagnole, est aussi 1er vice-président du département des P.-O. chargé entre autres des projets européens. Aller à Gerone, “c’est mon plaisir du samedi quand je ne travaille pas”, dit-il. L’ancien journaliste a le sens de la formule à propos de la philosophie de ces projets que l’Europe finance : “Ça sert à faire tomber les frontières !” Surtout administratives. “C’est utiliser l’un des rares outils intéressants qu’a mis à notre disposition l’Europe pour continuer ou solidifier des liens avec un pays qui a la même culture, la même langue d’origine, même si nous l’avons perdue beaucoup plus. On a la même histoire.”
Il y a au moins autant d’intérêt à se pencher vers le Sud que d’aller vers Montpellier ou Toulouse qui ne nous regardent pas, mais regardent Paris…”
Nicolas Garcia
Il manie l’ironie de belle manière : “J’ai l’habitude de prendre les choses sous l’angle capitaliste malgré… mon écharpe rouge ; au moins, on ne m’accusera de rien… Du point de vue des affaires et de l’économie, ce serait complètement stupide de ne pas pousser les relations entre Catalogne Sud et l’une de ses provinces, Gerone, et la Catalogne Nord – nos Pyrénées-Orientales et Pyrénées Catalanes…- qui, elle, est très pauvre. Et il y a au moins autant d’intérêt à se pencher vers le Sud que d’aller vers Montpellier ou Toulouse qui ne nous regardent pas, mais regardent Paris…”

En jeu, ce sont, certes, de gros projets parfois financés à plus de 1 M€. Mais il y a aussi des projets plus modestes, néanmoins importants. “J’étais à Toulouse la semaine dernière ; confie encore Nicolas Garcia, je vais à Pampelune fin du mois et on va passer six ou sept projets importants avec notamment l’investissement d’associations, et d’entreprises et des collectivités, confie encore Nicolas Garcia. Dans le transport, de coopération sur le sport (lire-ci-après). Il y a aussi l’aire fonctionnelle, l’Escat où il y avait 5 M€ à distribuer. Et, enfin, avec la députacio de Gerone des micro-propjets transfrontaliers qui n’entrent pas dans les Poctefa. Là, on n’est pas interdépendants. Il faut juste un partenaire de chaque côté de la frontière et chacun aide son partenaire.”
“On a une carte à jouer. Économiquement et culturellement”
Nicolas Garcia va plus loin : “L’un des atouts majeurs de notre département, c’est qu’il est le seul qui peut faire la jonction géographiquement, linguistiquement et culturellement avec l’un des régions les plus riches d’Europe qui comprend Gerone. Notre carte à jouer, c’est celle-là. Il ne faut pas se laisser écarter des relations entre ces deux régions ; au contraire, il faut être la charnière entre la grande région catalogne et la grande région Occitanie. Il y a du côté de Gerone des gens qui nous nous aiment beaucoup, particulièrement depuis 2017 ; ils aiment de plus en plus : il suffit de venir lors du week end de la Purissima, début décembre ou en février dans les rues de Perpignan, à la maternité d’Elne ou à Rivesaltes. Voire au Barcarès. Sans parler des pistes de ski des Angles, Font-Romeu, etc, économiquement, les Catalans nous apportent beaucoup. Ils nous considèrent. On a une carte à jouer. Économiquement et culturellement.”
“Dès 2027, une dimension culturelle forte”

Et les aides européennes vont servir avec un nouveau projet cette semaine prochaine, c’est de jeter les bases, via une étude Poctefa, d’une structuration administrative de l’Escat. D’une gouvernance mutuelle, avec des fonctionnaires partagés. “On est contents aussi parce que le département des P.-O. est le seul qui émarge sur trois zones fonctionnelles : la zone littorale, l’Escat et la zone montagne”, dit-il encore. Encore peu de relations établies au niveau culturel. C’est normal, à ce stade. “Pour accéder à ce round-là de cinq ans, dès 2027, il y aura une dimension culturelle forte.”
Nicolas Garcia a coché plusieurs cases dans son emploi du temps : “Je vais à Strasbourg pour présenter notre Escat. Les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin ont des velléités, avec des moyens considérables par rapport à nous, d’un espace transfrontalier et d’un projet autour de la langue. Pour l’instant, ils n’ont pas bien concrétisé. Et dans le cadre d’une mission européenne, le 4 décembre, présenter aussi notre Escat. Cette manière de travailler, au-delà des frontières administratives, intéresse beaucoup.”
“C’est d’une incroyable richesse et apporte une importante plus value et cela redonne aussi la place à la citoyenneté”
Pour concrétiser ses projets, il faut des Fonctionnaires qui s’y connaissent. “C’est difficile, parfois complexe, mais ceux qui ont réalisé des projets de coopération entre les deux territoires ne reviennent jamais en arrière. Pourquoi ? C’est d’une incroyable richesse et apporte une importante plus value et cela redonne aussi la place à la citoyenneté.” Vanessa Garcia est chargée de mission de coopération transfrontalière au département des P.-O. La catalogne se partage entre France et Espagne. “La coopération, dit-elle, y est très ancienne ; c’est un territoire de coopération depuis toujours. La frontière n’a jamais bloqué les relations mais les a bien compliquées. C’est pourquoi on essaie de mettre en place des projets de coopération pour aller au-delà de cette limite administrative.”
Une stratégie qui passe par des appels à projets
C’est sur ce territoire, où se partagent la même langue et la même culture, que l’Europe a accepté de financer des projets “transfrontaliers visant à améliorer la qualité de vie des habitants des Pyrénées-Orientales et des comarques de la province de Girona”. L’aire fonctionnelle de l’Escat qui associe le département des Pyrénées-Orientales, la Generalitat de Catalunya et la Diputacio – province – de Girona. On en est passé par identifier les besoins de ce territoire partagé entre Espagne et France, et la mise en place d’une stratégie qui passe par des appels à projets, dits Poctefa.
À l’occasion d’incendies, on s’est rendu compte que les cartes géographiques, allant jusqu’aux détails des chemins, s’arrêtaient net à la frontière…”

Les appels à projets Poctefa suivent trois axes. “La stabilisation des relations transfrontalières : qu’ils ne dépendent plus de personnes mais que ces projets soient structurés et pérennes. Le deuxième axe consiste à faire en sorte que le territoire commun devienne résilient face au changement climatique. Enfin, le dernier axe se focalise sur la citoyenneté. » Où la coopération culturelle est une évidence.
Exemple de projet : “À l’occasion d’incendies, on s’est rendu compte que les cartes géographiques, allant jusqu’aux détails des chemins, s’arrêtaient net à la frontière. De chaque côté. Personne n’avait donc la vision globale de par où passaient les pompiers. Idem pour des expérimentations de vignes coupe-feu. Les pompiers étaient aussi parfois embêtés sur des raccordements de tuyaux qui n’étaient pas les mêmes. Il a fallu mieux se connaître ; mettre nos cartes en commun, etc. On en est arrivés à une coopération associant gestionnaires des forêts, pompiers…”
Universités, laboratoire de recherche et même… rugby !

On peut imaginer dans cet espace catalan transfrontalier (Escat), grâce à l’aide le l’Europe (3,8 M€ au total actuellement), autant de projets que de thèmes. Santé. Adaptation au changement climatique. Dans le domaine sportif avec des échanges de jeunes. Et aussi en matière économique.
Ces 3,8 M€ ont déjà servi à financer des appels à projets (où chacun doit créer son propre site pour davantage de visibilité), les plus gros s’étalent sur trois ans. “Déjà quatre projets structurants sont sortis. L’un d’eux concerne les universités de Perpignan et Gerone ; on s’est rendu compte que certaines relations, certains projets ne tenaient qu’avec la bonne volonté des professeurs et nous avions envie, de chaque côté, à ce que ce soit davantage systématisé et pérennisé.” De créer une passerelle dans toute l’organisation des deux universités pour permettre aux étudiants de s’organiser à travers des structures permanentes à travers l’Unescat, structure ad hoc.

Un autre projet est déjà à l’oeuvre dans l’enseignement supérieur qui associe formation et recherche en sciences humaines et sociales où trois labos sont associés de Perpignan et Gerone pour des formations communes. Il existe aussi un projet imprononçable : UPTTC. “C’est un projet rugbystique avec des stages sportifs pour les enfants des P.-O. et de Gerone. C’est porté par l’Usap, l’illustre club de Perpignan.” On fait donc du rugby en Catalogne espagnole ! Et “c’est un énorme succès”. L’Europe finance également des projets dans la coopération artisanale. On essaie de mettre en oeuvre un label d’artisans éco-responsables associant chambre des métiers et CCI : Ecoc.a.t.
Micro-projets et citoyenneté

Il y a aussi des appels à projets plus fins, toujours financés par l’Europe. Sur la culture, a ainsi été lancé un appel à petits projets cette année, c’est-à-dire ne nécessitant pas un apport financier supérieur à 150 000 € et courant sur deux ans. “C’est une nouveauté, tout comme l’Escat, qui est une aire fonctionnelle. Il y en a cinq sur la frontière. Ce qui est intéressant c’est que ces projets laissent la place à la citoyenneté, aux habitants.”
L’aide totale de l’Europe, pour ces micro-projets, s’élève au total à 796 796 € et représente 65 % du coût total et 35 % à la charge des partenaires. Le comité de pilotage s’est réuni le 17 octobre pour proposer une programmation de projets à l’Europe. Notamment en matière de culture.
Enfin, un troisième appel à petits projets est prévu d’ici le premier semestre 2026. Les habitants pourront donc faire des propositions ! “Ce qui n’avait jamais été fait avant sur un Poctefa, c’est que les candidatures ont aussi pu être évaluées par un groupe de citoyens. Ce qui a donné lieu à une distribution de points qui eux-mêmes ont servi à la programmation concrète des projets.”
Olivier SCHLAMA