Biodiversité : En Camargue, la population de grues cendrées s’envole

Grues cendrées. Photo : Jean Jalbert, Tour du Valat

Leurs effectifs grossissent à vue d’oeil, de 300 en 2007 à 26 000 individus en 2023. C’est une bonne chose pour la biodiversité et l’éco-tourisme mais point trop n’en faut : cet oiseau peut aussi certes nettoyer les champs après culture et causer des dégâts aux cultures… La Tour du Valat s’est penchée sur les moeurs de ces grands oiseaux et des solutions avec la profession agricole.

Après le flamant rose qui se reproduit en masse en Camargue, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI, voici un autre grand oiseau qui fait le bonheur de notre région à voir ses populations augmenter sensiblement : la grue cendrée. “La vraie bonne nouvelle, c’est que lorsque l’on protège une espèce, ça se voit et surtout ça marche !” Jean Jalbert, directeur de la Tour du Valat.

Des risques pour d’autres cultures que le riz

Jean Jalbert, directeur de la Tour du Valat. DR.

“Dans un monde où l’on a quasiment que des mauvaises nouvelles, cela fait du bien. C’est la démonstration, comme pour d’autres espèces, en général de grandes espèces emblématiques, on voit que si on identifie bien les facteurs à l’origine de leur déclin, et si on prend les mesures appropriées et un suivi, ça marche.” Avec un revers à la médaille “qui ne doit pas nous faire bouder notre plaisir” : les grues cendrées sont granivores et donc quand il y a des dizaines de milliers d’oiseaux sur un site – 26 000 cet hiver en Camargue – il faut qu’elles mangent. Et ce sont des graines…” Le risque concerne les autres cultures, d’hiver, que le riz comme le blé dur ou le colza qui n’ont pas encore germé ou qui sont au début de la germination, à l’automne, au moment où les grues arrivent.”

La seule solution, c’est l’effarouchement

Jean Jalbert explique que dans cette situation, “la seule solution, c’est l’effarouchement. Comme pour les flamants roses. Pour cela, il faut un arrêté préfectoral pour le faire. A priori, le monde agricole, s’il demande une autorisation, il n’y aura pas d’obstacles ; nous les soutiendrons. L’idéal, c’est, par ailleurs, avoir des cultures déjà développées au moment où arrivent les grues cendrées. Ce qui dépend souvent de la météo, de la pluie, qui fait germer plus ou moins vite les graines.” C’est aussi aux agriculteurs à s’adapter. L’effarouchement peut se faire avec des canons spéciaux, au gaz propane, qui produisent des détonations qui font fuir ces grands oiseaux farouches.

Ainsi, retarder le travail du sol des chaumes de riz permettrait de garder les grues sur ces terres attractives où leur présence est plutôt bénéfique pour les agriculteurs. Le surcoût ou le manque à gagner liés au retard de préparation du sol pour les cultures suivantes pourrait faire l’objet de mesures agro-environnementales et s’inscrire dans une politique de valorisation touristique.

26 000 grues cendrées cet hiver en Camargue

Grues Cendrées. Ph Jean Jalbert.

Les populations de grues en Camargue sont donc en forte augmentation avec plus de 26 000 grues comptées en 2023 contre à peine 300 en 2007. En quelques années, la Camargue est ainsi devenue le principal site d’hivernage des grues en France devant le lac du Der-Chantecoq en Champagne ou le site d’Arjuzanx en Aquitaine. Mais aussi dans “les grandes plaines du centre de l’Espagne.” Depuis 2007, la Tour du Valat coordonne ainsi le comptage des grues cendrées hivernantes en Camargue.

Pourquoi une étude sur les grues cendrées ? “Eh bien, cela s’imposait. Jusqu’à il y a  peu il n’y en avait pas de ces oiseaux en Camargue ; juste de temps en temps quelques individus migraient-ils plus haut et ce, jusqu’aux années 2000. C’est, depuis, une population qui a véritablement explosé.” La raison ? “Très probablement le facteur principal c’est que c’est une espèce désormais protégée, depuis les années 1990 au niveau européen. Avant, on pouvait les tuer, prélever leurs oeufs, etc.”

“Un vrai potentiel pour le développement éco-touristique et économique de la région en hiver”

Ce dénombrement d’oiseaux, qui se reproduit en Europe du Nord et Europe de l’Est, repose sur une quarantaine de personnes, bénévoles ou employés de la Tour du Valat, des Réserves naturelles nationales de Camargue et des marais du Vigueirat, du Parc naturel régional de Camargue et du Syndicat mixte pour la protection et la gestion de la Camargue gardoise. Ces 40 personnes se déploient le même jour à l’aube à proximité des dortoirs (zones de regroupement nocturnes) des grues pour les compter lors de leur envol vers leurs zones d’alimentation.

Ph. Jean Jalbert.

“C’est un vrai potentiel pour le développement éco-touristique et économique de la région en hiver”, indique la Tour du Valat. Mais elle soulève également des craintes sur les dégâts que ces oiseaux pourraient causer dans les cultures. Les grues cendrées sont les alliées objectifs des riziculteurs : elles se nourrissent dans les chaumes de riz en y consommant les résidus de récolte mais aussi les graines d’adventices, tout en amendant la terre avec leurs fientes.” C’est aussi la bonne nouvelle de la bonne nouvelle, complète Jean Jalbert : “Les grues cendrées se nourrissent principalement de résidus de riz, déjà récolté.”

Avec le soutien de la Fondation Albert II de Monaco

En revanche, lorsqu’elles se posent dans les semis d’hiver (blé, colza ou féveroles), elles peuvent causer des dégâts par leur piétinement et surtout la consommation des graines. C’est la raison pour laquelle, afin d’identifier les facteurs de présence des grues dans les cultures, la Tour du Valat a mené une étude avec le soutien de la Fondation Albert II de Monaco (Initiative Homme-Faune Sauvage) sur un échantillon de 254 parcelles, visitées 14 fois chacune, au cours de l’hiver 2021-2022.

“Bien que les surfaces de parcelles en chaumes de riz et de blé échantillonnées soient similaires, il apparaît que les chaumes de riz sont fréquemment visités (20 % sont occupés en moyenne) en particulier au cœur de l’hiver, en janvier. En revanche les parcelles en blé sont rarement visitées par les grues (dans moins de 2 % des cas). Ces rares visites interviennent majoritairement sur les semis tardifs de blé, occasionnant alors parfois des dégâts significatifs”, souligne-t-on à la Tour du Valat.

Partager la connaissance avec les agriculteurs

Le 27 mars dernier, une réunion d’information sur les grues cendrées s’est tenue au centre de découverte du Scamandre, réunissant une vingtaine d’acteurs et partenaires. Organisée par le CEFE-CNRS, le Syndicat mixte pour la protection et la gestion de la Camargue gardoise, le Parc naturel régional de Camargue et la Tour du Valat, et réunissant des représentants des agriculteurs du Gard et des Bouches-du-Rhône, elle a d’abord permis de partager la connaissance des agriculteurs, gestionnaires d’espaces protégés et représentants des services de l’Etat et de l’Office Français de la biodiversité quant aux causes et aux conséquences de la présence des grues cendrées en Camargue.

Ensuite, les résultats de l’étude des déterminants de la distribution des grues ont été présentés et discutés avec les agriculteurs afin d’élaborer des pistes de solutions pour faciliter la cohabitation entre grues et agriculteurs.

Olivier SCHLAMA

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