Chronique littéraire : Ces alchimiques ateliers d’écriture…

Homme qui lit... Photo DR

Chaque mois, le Sétois Alain Rollat propose un rendez-vous littéraire, le Marque-Page. Cet éminent journaliste, qui fut directeur-adjoint du Monde, nous fait découvrir les livres d’auteurs régionaux issus de maisons d’éditions d’Occitanie et d’ailleurs. C’est au tour de Jérôme Daquin, Richard Gubert et Sara Emilie Simone.

Futuriste !

Hier, dans sa vie antérieure, Jérôme Daquin était journaliste. Il exerçait son métier à l’AFP, la célèbre Agence France Presse, pourvoyeuse planétaire d’informations rigoureusement vérifiées.

Aujourd’hui, dans sa vie de retraité hyperactif, Jérôme Daquin anime des ateliers d’écriture auxquels participent, en Occitanie comme ailleurs, beaucoup d’amoureux de la littérature buissonnière, celle qui se moque de toutes les convenances et qui mélange à plaisir les genres parce que, pour ses praticiens, écrire est avant tout un jeu.

Et il arrive à Jérôme Daquin de relever lui-même les défis qu’il lance aux autres quand son atelier d’écriture propose aux participants d’improviser des histoires dans le cadre de thèmes imposés.

Il y a donc fort à parier que L’Histoire improbable qu’il vient de publier a été produite par un atelier d’écriture dont le thème, imposé par ses soins, devait être à peu près celui-ci : “Écrivez le scénario d’un polar dont l’action se situerait en 2044, quelque part en Europe, dans un univers géopolitique et sociétal inspiré par Michel Houellebecq et dont le héros principal pourrait être incarné par l’acteur Jean Dujardin…”

Si tel était le défi, il est parfaitement réussi. Cette Histoire Improbable, sous-titrée Roman-fiction d’un cauchemar européen, mériterait un label hollywoodien à la française. Michel Houellebecq adorerait le paysage imaginé par Jérôme Daquin.

Nous sommes donc en 2044. L’Union européenne est en état de décomposition avancée. Son siège a été transporté à Strasbourg par un Emmanuel Macron qui est l’un des rares présidents à y croire encore. Celui-ci exerce encore son pouvoir monarchique parce qu’il a fait modifier la Constitution pour obtenir le renouvellement de son mandat avant d’abolir l’élection du président de la République française au suffrage universel pour confier la responsabilité de choisir le chef de l’Etat à “un aréopage de crânes d’œufs”.

“Califat de Flandre”

L’ONU, elle, a déménagé à Bruxelles qui n’est plus la capitale de la Belgique car la Belgique n’existe plus depuis que les Flamands ont proclamé leur indépendance. L’OTAN existe encore mais la guerre en Ukraine, sans vainqueurs ni vaincus, s’est terminée par un accord entre Washington et Moscou qui gèrent ensemble cette “semi-démocratie” dont le territoire a été neutralisé.

La Chine, de plus en plus fâchée avec l’Occident, a banni l’usage de l’anglais des discussions internationales et n’accepte que l’usage du mandarin. Les pays africains l’ont imitée pour exiger l’usage de leurs propres idiomes, ce qui pose à tous les autres pays la question du recrutement massif d’interprètes introuvables.

Et ce nouvel Ordre du monde est très perturbé par les activités criminelles d’un pseudo “Califat de Flandre” dont les mercenaires, sous couvert d’islamisme, font régner la terreur dans les eaux de la Manche à partir des anciens camps de réfugiés de Calais et d’ailleurs.

C’est dans ce paysage géopolitique que Jérôme Daquin installe son héros principal dans un rôle taillé sur mesure pour un Jean Dujardin. C’est un as des services de renseignement français qui surfe comme Brice de Nice sur sa routine professionnelle et son désert sentimental.

Son job consiste à observer les activités terroristes des pirates islamisés écumant la Manche depuis un QG de surveillance installé dans un ancien blockhaus allemand. Il s’appelle Karim Vandenbroucke, natif de Roubaix, fils cadet d’un couple de cht’is convertis à l’islam.

L’intrigue habilement construite, récit vif

Lui se moque éperdument de toutes les religions mais son grand frère, Wassim est un pervers narcissique, délinquant notoire, qui camoufle ses trafics sous un vernis intégriste et qui a obligé leur petite sœur, la belle Houria, à épouser un néo-nazi sadique avant de la vendre comme esclave sexuelle à des “fous d’Allah”.

Son problème personnel à lui, Karim Vandenbroucke, c’est que l’amour de sa vie, Iza Chane-Xui, une gracieuse anthropologue eurasienne, s’est brusquement volatilisée. Elle a disparu au cours d’une mission en Chine, chez les Ouïghours musulmans…

L’intrigue est habilement construite, le récit vif, sans fioritures, le suspense assuré, le savoir-faire journalistique de l’auteur très efficace. Jérôme Daquin s’amuse et régale. On lira son Histoire improbable avec plaisir parce qu’elle est moins prétentieuse qu’un roman de Houellebecq mais beaucoup plus divertissante.

  • Karim Vandenbroucke, Histoire Improbable. Roman-fiction d’un cauchemar européen, Jérôme Daquin, Les Editions du Net, 182 pages, 17 €. 

Alchimique !

“Racontez votre vie...” Rédiger sa propre biographie, dans un atelier d’écriture, c’est un exercice du niveau élémentaire. Mais ce n’est jamais un exercice facile. On ne passe pas de la contemplation de son nombril à l’expression littéraire sans la maîtrise de l’art alchimique qui coule dans le moule des mots le plomb des émotions jaillissant des boîtes de Pandore dès qu’on se met à nu sur une page blanche.

Cette opération exige du temps. On ne parvient à la réalisation d’une œuvre littéraire digne de ce nom qu’au terme d’une fermentation des idées assez longue pour que s’opèrent, d’abord, dans la mémoire, la décantation nécessaire pour séparer l’essentiel des scories, puis, dans la création imaginative, cette sublimation de la pensée qui rend alors volatiles, claires, faciles à exprimer, les choses jusque-là très embrouillées.

Il a consacré sa vie à transmettre sa passion pour la langue française, pour le grec, le latin et l’espagnol

Une Enfance gasconne, le Roman vrai de l’enfance de Richard Gubert, est un modèle d’excellence. Et il n’est pas étonnant que l’auteur de ce beau récit soit un professeur de lettres classiques, natif d’Auch, qui a consacré sa vie à transmettre sa passion pour la langue française, mais aussi pour le grec, le latin et l’espagnol, la langue de sa grand-mère, d’abord aux élèves d’un collège rural d’une petite ville du Lot-et-Garonne…

Puis, devenu retraité en Aveyron, terre natale de son épouse, en aidant les lycéens candidats au bac à préparer leur épreuve anticipée de français.

Son écriture est de celles qu’on cite dans les manuels scolaires quand on analyse les auteurs qui font référence dans la littérature classique, ceux qui recherchent la perfection sur les traces des grands ancêtres. Tout y est : la sobriété, le souci du mot juste, le bon goût, la clarté, l’élégance, le style concis, raffiné. On pense à Pagnol, bien sûr, mais ici l’élève rejoint le prof. Les tortillas de sa grand-mère valent bien le château de sa mère…

J’écris d’abord pour moi, pour mon plaisir, celui de retrouver les chemins sinueux qui ont fait ce que je suis, mais aussi pour mes proches…”

Tout ce qu’écrit Richard Gubert coule d’une source d’eau inspirante. Dès qu’il commence à se raconter, on ne bouge plus, on l’écoute :  

“J’écris d’abord pour moi, pour mon plaisir, celui de retrouver les chemins sinueux qui ont fait ce que je suis, mais aussi pour mes proches, mes enfants, à qui je n’ai jamais parlé de mes origines et des premières années de ma vie. Une sorte de devoir de mémoire au double sens du terme, hommage à ces années essentielles où “l’enfant est le père de l’homme”, mais aussi désir un peu désespéré de lutter contre la perte progressive et inéluctable des souvenirs ; même si, et c’est une chance, ceux de la jeunesse semblent gravés à jamais en nous…”

Chacun de ses chapitres est une invitation à la dictée : “Mes premiers livres”, “La chambre de tous les possibles”, “L’orange de Noël”, “Adieu, veaux, vaches, cochons…”, “Baragouin et sorcellerie”, “La fête des vendanges”, “Jeux interdits”

À vos plumes ! “Mes racines sont espagnoles, à la fois maternelles et paternelles. Ma mère, “française de sol”, naquit à Bédarieux en 1922 et y séjourna plusieurs années, avant que la famille ne décidât de revenir en Espagne, prise par la nostalgie de tous les “exilés”. Mon père arriva très jeune dans le Gers, dans les années 1910, en oublia presque “son espagnol” et adopta très vite le gascon-occitan ainsi que les us et coutumes propre à cette belle région de France. Je l’ai toujours “vu” comme un vrai gascon, lou berrét vissé sur la tête !…”

Lisez la suite ! C’est le dernier message du Maître d’école à qui on dit “Merci !” les larmes aux yeux. Sa dernière bouteille lancée à la mer. Elle est remplie d’or fin.

  • Une Enfance Gasconne, Richard Gubert, Editions Jets d’encre, 208 pages, 19,90€

Bluffant ? Oui !

“Écrivez… comme vous respirez !” C’est le genre d’exercice déroutant qu’on propose parfois dans certains ateliers d’écriture.  Qu’est-ce que cela veut dire ? Qui écrit comme on respire ?  Personne ! C’est du pipeau. La respiration du corps est automatique. On peut la canaliser, la maîtriser, et même, parfois, la mettre en apnée un instant, mais cela implique l’intervention de la conscience.

La respiration de l’esprit est beaucoup plus subtile mais n’implique pas moins d’autodiscipline. Il faut un long temps d’un apprentissage difficile, et beaucoup de travaux pratiques, avant de devenir capable d’écrire sans brouillon, d’un premier jet, sans la moindre rature, sans le moindre retour en arrière, sans le moindre recours à un logiciel d’écriture. Le développement de l’intelligence artificielle n’y changera rien.

Commencer par chercher à comprendre comment ce premier roman est né

Alors, quand on vous dit d’un premier roman destiné à des ados qu’il est “bluffant de style et d’humour”, “porté par une voix loufoque au possible”, “une comédie à se mordre les joues de bonheur”, “une pépite”, il ne faut surtout pas se laisser emporter par l’enthousiasme des professionnels de la promotion. Il faut d’abord commencer par chercher à comprendre comment ce premier roman est né pour apprécier la performance de l’auteur – si performance il y a – à sa juste mesure. Il existe toujours des indices.

Exemple : les compliments reproduits ci-dessus saluent la sortie du “premier roman” d’une jeune femme, Sara Emilie Simone, qui n’est pas née de la dernière pluie. Cette Parisienne, qui a choisi de vivre au bord de la Méditerranée, a déjà fait ses preuves dans les métiers du cinéma. Accessoiriste, réalisatrice, scénariste chez Netflix, elle transmet volontiers sa passion du cinéma à des collégiens et lycéens. Elle connait donc bien l’univers codé des ados. Elle est également la co-autrice, avec l’illustratrice Rachel Lev, d’une bande dessinée racontant le périple d’un adolescent afghan en route pour Londres, au péril de sa vie, qui se retrouve à Paris hébergé par une famille juive (Lateef, Afghan chez les Cohen, éditions Marabulles). Sa sensibilité a donc de l’humour.

“Remerciements” à ses amis quand sa tête était “bloquée”, à son éditrice, qui a été son “soleil d’encouragement”

 Que cette créatrice éclectique ait eu envie de franchir le fossé entre l’écriture d’un scénario et l’écriture d’un roman est somme toute logique. Quant à sa performance, elle est d’autant plus remarquable que ce franchissement n’a pas été pour elle, si douée soit-elle, de tout repos.

C’est ce qu’elle dit elle-même dans les “Remerciements” qu’elle adresse, à la fin de son ouvrage, à ses parents, qui croyaient en elle quand elle n’y croyait pas ; à ses amis, qui l’ont supportée “pendant des mois” quand sa tête “était bloquée” ; à son éditrice, qui a été son “soleil d’encouragement”.  L’aveu est clair : Sara Emilie Simone en a bavé avant de mettre un point final à son premier roman.

Sans doute a-t-elle découvert en elle, sous la contrainte qu’elle s’imposait, une force dont elle ne soupçonnait pas l’existence. Au terme de cette maturation, il y a donc ce joli road trip si bien mené, cette écriture si déliée qu’on a l’impression que ce livre a été écrit “comme on respire”, au rythme haletant de l’histoire de vacances d’une lycéenne que Sara Emilie Simone raconte à la manière des ados, avec les mots des ados, le style des ados, parce qu’il a fallu qu’elle se fasse ado pour atteindre son objectif ambitieux, comme si elle jouait un rôle de composition dans une comédie théâtrale. Son héroïne, Ella, c’est elle, ou plutôt son clone, rajeuni de quelques années…

(…) Temps difficile qu’est pour tous les dos le passage à l’âge adulte, est vraiment “une pépite”

“Le jeudi, je passe mon permis. Le vendredi, j’ai les résultats du bac et ma mère italienne tombe dans les pommes pour un demi-point au rattrapage. Le samedi, je pars en Bretagne avec mes meilleurs amis dans une voiture empruntée pour aller chercher Zaza, ma grand-mère, qui a soudain disparu. Le dimanche, je me réveille la tête dans le sable, je me suis embrouillée avec tout le monde et j’ai 45 appels en absence de ma mère. “Ouhlà, Ella, qu’est-ce-que t’as encore fait comme dinguerie ?…”

Bluffant” ? Oui, la suite est “bluffante” et l’ensemble, qui traite avec douceur de ce temps difficile qu’est pour tous les dos le passage à l’âge adulte, est vraiment “une pépite”. Vraiment.

  • Tout Ella, Sara Emilie Simone, éditions Sarbacane, 210 pages, 16,50 €                                                        

Alain ROLLAT
alain.rollat@orange.fr