Escouades côtières : Quand des marins réservistes sont « les yeux et les oreilles » de la Marine sur le littoral

Du 18 au 23 mai, une quinzaine de réservistes de la flottille de réserve côtière atlantique ont participé à l'exercice interarmées Bourrasque. Leur mission consistait à détecter des signaux faibles d'incursions de la Forfusco, chargée de mener des attaques contre les installations militaires de l'arrondissement de Brest. Ph. Marine Nationale, Défense

C’est une idée nouvelle. Elle permet de compléter la surveillance du littoral, l’écoute de possibles menaces et tonifier le lien armée-nation. Sensibles à cette cause, les jeunes devraient répondre à l’appel pour garnir les dix escouades de Méditerranée et les 36 prévues d’ici à 2030 sur nos trois façades maritimes et en Outre-Mer, comme le dit leur responsable, Raphaël Clivaz. Leur montée puissance s’inscrit dans un contexte de guerre en Europe, comme l’explique Yannick Chenevard, rapporteur du budget de la Marine.

Sète, Port-Vendres, Marseille, la Rochelle, Bayonne, Saint-Malo… Ce ne sont pas des garde-côtes à l’américaine, un corps à part avec prérogatives et répression en bandoulière ; ni une nouvelle compagnie ni une quelconque et inexistante squadra italienne ni même une copie des chevau-légers aquatiques finlandais qui, eux, sont dans un contexte particulier, faisant face à 1 300 km de frontière commune avec la Russie…

Ce sont des escouades de réserve de la Marine nationale, une notion toute française inspirée par un amiral qui a décelé des besoins en “yeux et en oreilles” près de la côte, complémentaires des sémaphores (dix-sept en Méditerranée), ces longues vues silencieuses mais efficaces, comme Dis-Leur vous l’a présenté ICI, où nous expliquions que remis en cause il y a 20 ans, les sémaphores “sont devenus indispensables”. Et sont complétés par ces escouades, autrement dit : des patrouilles nautiques. Chaque escouade sera en relation avec un Sémaphore en contrôle dit « tactique ». Dans ses missions de surveillance, ces escouades pourront s’approcher d’un navire, par exemple. Surveiller la côte pour mieux prévenir au cas où. En aucun cas, ces escouades n’ont pas été créées pour qu’on leur confie des missions que certaines unités de la Marine ne pourraient plus assumer correctement. “Leurs missions s’ajoutent à tout ce qui existe”, dit un haut gradé.

En veille sur une possible menace venant du large ; être à l’écoute de signaux faibles d’activités et renforcement de la cohésion nationale”

Une escouade dans l’Atlantique. Ph. Marine nationale.

Les missions de ces escouades existent en propre et répondent à des besoins : surveillance et observation du littoral, des activités suspectes, inhabituelles en mer ou près de la côte, protection de l’environnement, appui à la lutte contre les trafics. Elles incarnent aussi du soft power : renforcement du lien armée-nation sur la bande littorale. Capitaine de vaisseau, Bruno Sciascia confirme que le but est d’être aussi “en veille sur une possible menace venant du large ; être à l’écoute de signaux faibles d’activités” illicites ou suspectes. Et de participer au “renforcement de la cohésion nationale”. Cela tombe bien, dans le contexte guerrier en Europe et la volonté de la France de densifier son armée et ses apports en réservistes.

De 6 000 à 12 000 réservistes dans la Marine

Commandant la flottille de réserve côtière de Méditerranée, Raphaël Clivaz contextualise : “Nous avons vocation à mettre en place dix escouades de réserves côtières en Méditerranée française, Corse comprise. Ces escouades découlent de la loi de programmation militaire 2024-2030 qui propose de doubler le nombre de réservistes dans l’ensemble des armées. La Marine dispose de quelque 6 000 réservistes. Ceux-ci vont passer à 12 000. Cela s’inscrit dans un monde où l’on sent que l’on a intérêt à renforcer nos bases. Dont 3 000 d’ici 2030 avec lesquels on crée ex nihilo des flottilles de réserves côtières.”

Le projet est d’installer dix escouades sur chacune des trois façades maritimes et six en Outre-Mer, dont Tahiti. Ces 3 000 réservistes seront répartis sur les 36 escouades. Ils disposeront deux bateaux à fond rigide, de 7,65 mètres, dotés de deux moteurs de 150 chevaux. Comme la gendarmerie maritime. Pour surveiller les approches. Ils disposeront d’un ou deux drones.

Sète, Cannes, Ajaccio, Port-Vendres, Marseille…

Du 18 au 23 mai, une quinzaine de réservistes de la flottille de réserve côtière atlantique ont participé à l’exercice interarmées Bourrasque. Ph. Marine nationale, Défense

Raphaël Clivaz fait les comptes : “En Méditerranée, il y aura donc 10 escouades. Dans les 21 départements de la Zone Sud, certains sont appelés déserts militaires : là où il n’y a plus d’unité militaire. En Occitanie, c’est le cas de l’Hérault ; c’est le cas aussi en Paca dans les Alpes-Maritimes et en Corse du Sud. On va installer des escouades dans ces départements. La première, c’était à Sète (son installation sera dans la darse Richelieu dans le port) puis Cannes en 2025, et Ajaccio suivra.” Les deux premières escouades issues de cette expérience unique ont été créées à la Rochelle et Bayonne en 2024. “En 2026, il y aura donc Ajaccio, Port-Vendres et Marseille. On en sera à la moitié des créations.”

“On fera appel à des jeunes qui n’y connaissent rien, on souhaite des jeunes du coin”

Composée quasi-exclusivement de réservistes, chaque escouade comprend à terme 70 marins, commandés par un encadrement de réserve. Un seul sera militaire de carrière : l’administratif du groupe. “On va s’appuyer au départ sur des gens qui connaissent l’armée ou le monde maritime et qui ont des compétences, souligne Raphaël Clivaz. Cela concernera un socle avec un tiers des effectifs. On fera ensuite appel à des jeunes – ab initio – qui n’y connaissent rien. On souhaite des jeunes du coin. Pour Sète, il faut qu’ils soient par exemple à moins d’une heure du littoral. On va les former. Leur apprendre le savoir-être militaire et le savoir-faire dans ce que l’on va leur demander.” Comme tout réserviste, ils recevront une solde dans ils sont mobilisés : 60 € par jour pour un jeune – à raison de quelque 30 jours par an – et jusqu’à 100 €, en fonction du grade, pour les autres, mobilisés entre 50 et 70 jours par an.

Les jeunes sont très au fait et suivent avec attention ce qui se passe dans le monde. Ils sont plus inquiets que la génération précédente. Et ils s’intéressent à la chose militaire”

Commandant la flottille de réserve côtière de Méditerranée, Raphaël Clivaz

Après une année d’existence, quel est le bilan des premières escouades créées en France, à Bayonne et la Rochelle ? Raphaël Clivaz répond :Elles sont bien en lien avec les autres administrations sur place, elles ont concouru à des opérations de sauvetage et de sauvegarde.” Ces unités ont participé à des opération de sécurité maritime que l’on met en place lors de grandes manifestations, comme cela peut être le cas lors du festival de Cannes ou d’Escale à Sète. “Ces escouades renforcent nos dispositifs de sécurité. Il ne s’agit pas non plus de concurrencer d’autres acteurs en mer, comme la SNSM, qui est spécialisée dans le sauvetage en mer, mais nos patrouilles en cas d’urgence pourront participer à un sauvetage en attendant que la SNCM arrive.”

Raphaël Clivaz, commandant la flottille de réserve côtière de Méditerranée. Ph. Marine nationale.

Le militaire développe : “Les jeunes sont très au fait et suivent avec attention ce qui se passe dans le monde. Ils sont plus inquiets que la génération précédente. Et ils s’intéressent à la chose militaire, pas forcément pour devenir militaire de carrière mais ils sont très intéressés par les logiques de réserves. Pour y participer. Dans les armées mais aussi dans les services de sécurité intérieure, pompiers, gendarmerie, police… Tout ce qui est citoyen. Et dans cette mobilisation, une partie s’intéresse au monde militaire.”

“On va avoir des réservistes ; comment améliorer la visibilité de la Marine ? Et être là où il y a un besoin ?”

C’est une idée “disruptive“, qualifie Raphaël Clivaz, commandant la flottille de réserve côtière de Méditerranée. Nous avons créé quelque chose qui n’existait pas. C’est l’amiral Vandier, ex-chef d’état major, désormais à l’Otan, qui s’est dit : on va avoir des réservistes ; la Marine a besoin d’être là où elle n’est pas habituellement. Comment améliorer sa visibilité ? Et être présent là où il y a un besoin ? S’ajoutait le besoin de cohésion nationale et de travailler dans le lien armée-nation cela a fabriqué ce concept. L’idée a été soutenue par le ministre des Armées de l’époque, Sébastien Lecornu.”

“Diversifier la présence de la Marine sur le territoire”

Yannick Chevenard, député de Toulon (Var) et rapporteur du budget de la Marine et ex-président de la Protection civile. Ph. DR

Député de Toulon (Var) et rapporteur du budget de la Marine, ancien président de la Protection civile française, Yannick Chenevard dit : “Ces escouades sont d’une inspiration totalement française. Ce n’est vraiment pas l’objectif d’en faire des garde-côte façon US. Elles portent une philosophie intéressante y compris parce qu’elle vont permettre d’amener vers la Marine nationale des réservistes qui sont éloignés des ports militaires français. On aura un maillage territorial encore plus important. L’objectif c’est d’avoir 36 escouades de 70 marins en 2030, 30 en Métropole, pour couvrir nos trois façades maritime, et 6 en Outre-Mer.  Et ne pas en avoir dans nos ports militaires comme Toulon, Brest, Cherbourg, Lorient. L’idée est de les implanter où traditionnellement il n’y a pas de présence de la Marine nationale. C’est aussi une façon de diversifier la présence de la Marine sur le territoire où traditionnellement on voit d’autres gens comme la SNCM, par exemple.”

Des marins réservistes exclusivement par volontariat

Du 18 au 23 mai, une quinzaine de réservistes de la flottille de réserve côtière atlantique ont participé à l’exercice interarmées Bourrasque. Ph. Marine nationale, Défense.

Derrière le paravent de leurs missions, les escouades ont aussi pour but de “renforcer la présence de la Marine sur le littoral français et la résilience nationale au travers de la réserve : il y a un objectif de passer de 6 000 à 12 000 réservistes en 2030, confie Yannick Chenevard. Cela ne veut pas dire que l’on ne montera pas plus avec le service militaire volontaire. Dès 2026, on devrait avoir aussi 600 personnes dans la Marine au titre de la réserve militaire et à l’issue de leurs dix mois de service, elles seront versées dans la réserve opérationnelle à laquelle sont astreints tous les militaires d’active. Les escouades sont des émanations de flottilles. Il y a une flottille par façade et, à l’intérieur d’une flottille, il y a environ 10 escouades dont chacune réunit 70 marins recrutés uniquement par le volontariat, seul le commandement est assuré par des officiers de Marine qui peuvent être aussi des réservistes”.

La montée en puissance plus généralement des réserves s’inscrit naturellement dans le contexte guerrier actuel”

Yannick Chenevard, rapporteur du budget de la Marine
Sémaphore de Leucate face à la Méditerranée.
Un guetteur observe l’horizon à l’aide de jumelles. Ph. François Bogaert, Marine Nationale, Défense

Les missions de ces escouades pourront-elles évoluer vers des tâches davantage répressives ou plus poussées ? Le député du Var répond : “Qui peut dire que les missions n’évolueront pas au fil des années ? Qui pouvait prédire que nous serions dans une situation de guerre en Europe il y a encore trois ans ?”

Les escouades ont-elles été pensées dans ce contexte guerrier actuel ? “En tout cas, la montée en puissance plus généralement des réserves s’inscrit naturellement dans ce contexte. C’est important de le rappeler, souligne le rapporteur du budget de la Marine. L’objectif, c’est d’avoir un réserviste pour deux militaires professionnels. En 2035, l’objectif c’est 105 000 réservistes dans l’ensemble des forces françaises. Il faut y ajouter l’objectif de 50 000 militaires au titre du service militaire volontaire. Pour une armée à 210 000 militaires d’active. Et on monte en puissance. La nation a besoin de reconstruire de la masse. Etre réserviste, c’est aussi de porter dans sa vie personnelle civile l’esprit de défense et même montrer l’exemple autour de soi. Et augmenter la capacité de résilience du pays », défend Yannick Chenevard qui, interrogé, explique “qu’il n’est pas possible d’isoler et de donner le montant de l’enveloppe financière” dédiée aux escouades.

Les appels à volontaires “marchent très fort”

Lundi 28 avril 2025, le centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage Jobourg pilote un exercice de recherche et de sauvetage impliquant plusieurs kite-surfeurs en difficulté au large du Havre (Seine-Maritime).  Ph. Nicolas Fernandez, Marine Nationale/Défense

Pour lui, en tout cas, aucune inquiétude : l’appel à volontaires sera une formalité. “Cela marche très fort. Pourquoi ? Il y a une responsabilité des citoyens qu’une partie des analystes ne mesurent pas. Parce que leur avis est très partisan. La réalité, c’est que ceux qui frappent à la porte pour s’engager dans les armées sont nombreux et le nombre de réservistes qui frappent aussi à la porte est plus important que les armées veulent en prendre. Ce sont des signes qui ne trompent pas. Les sondages sur la volonté de la jeunesse française de participer à l’effort et de défendre leur pays sont très positifs.”

À terme, il pourra y avoir peut-être des échanges intra-européens sur ce sujet des escouades, version française. Grèce, Italie, Portugal, Espagne ne disposent pas de ce genre de ce genre de patrouilles maritimes. Qui pourront, peut-être, à l’avenir être autorisées à prendre des initiatives, comme celle de faire des prélèvements en cas de pollution ou de dire à un plaisancier de ne pas jeter l’ancre dans un herbier de Posidonies.

Olivier SCHLAMA

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