Tourisme : En Ariège, on concilie performance et management bienveillant

Pas de place à la gnangnatisation qui colonise toute la société. À l’agence de développement touristique, la nouvelle directrice a initié un travail de fond : ateliers, synergie, écoute, yoga… Et même la prise en compte projets proposés par des salariés. Cette nouvelle stratégie managériale “apporte avant tout du confort. Et de la performance. Il y a davantage d’investissement des agents et des initiatives…” confie Justine Garcia, arrivée il y a un an. Un exemple.

Selon une étude menée, en juillet dernier, par Appinio, agence spécialisée dans les études de marché, 84 % des Français font semblant d’être heureux, y compris au travail. Pas à l’agence de développement touristique de l’Ariège, assure sa directrice depuis un an, Justine Garcia. “Je comprends cette statistique. C’est facile effectivement de dire “tout va bien”. Il faut être à l’écoute, observer. Cela apporte avant tout du confort. Et de la performance. Il y a davantage d’investissement des agents et des initiatives. Nous sommes davantage reconnus comme une institution légitime.”

“Mobilisation d’émotions positives”

Justine Garcia, directrice agence de développement touristique de l’Ariège. Ph. Hélène Dagures.

Une démarche de fond sans marketing social. “Quelqu’un qui va mal va en parler à plein de personnes autour de luiLe fait qu’il y ait des agents qui aillent bien, eh bien ceux-ci vont aussi en parler ; ce renouveau au sein de l’équipe, cela va se voir et on bénéficie d’une très bonne image. C’est la mobilisation d’émotions positives.” Elle dit encore : “Ici, ce management fait résonner. Ça les réconforte de voir que la destination bien-être que l’on promeut commence par l’exemple et un management bienveillant.”

Sur les traces de la Chine, “seul pays épargné par la crise managériale”

Bienveillant ne veut pas dire nunuche ni injonction irritante niant les difficultés. “Je suis spécialisée dans les sciences du management. J’ai fait des études, notamment, en Asie, et plus spécifiquement en science du management chinois”, dit Justine Garcia, directrice générale de l’Agence de développement touristique de l’Ariège, qui a impulsé de nouvelles pratiques, qui bouleversent les mœurs ariégeoises : “La Chine, seul pays aujourd’hui épargné par la crise managériale, selon le BCG et Ipsos, engage un système d’individualisation des besoins en entreprise, en privilégiant le confort des agents, par la considération de l’être et de ses hobbies au cœur des missions. “Nous faisons la promotion de l’Ariège comme destination bien-être par excellence, pour ses résidents comme ses visiteurs, ça commence par son intégration au sein des entreprises !

La Chine, pays totalitaire, où le management est bienveillant ? Cela fait a priori dissonant… “Il y règne, en effet, un système complexe, patricarcal, etc. Mais d’un autre côté, il y a aussi une vraie synergie des actions transversales au sein de chaque entreprise. Chacune font par exemple une action de bien-être pour leurs employés. Dans les rues, devant chaque commerce, il font du taï chi, par exemple. Et c’est… obligatoire ! Les deux peuvent donc cohabiter…” Ah, l’obligation d’être heureux…

Les salariés étaient livrés à eux-mêmes

Justine Garcia dit encore : “Quand j’arrive dans une entreprise, je passe les six premiers mois à observer, à analyser les besoins. À être à l’écoute pour prendre la température et adopter un style managérial qui corresponde aux attentes et aux besoins. Là, je suis arrivée à la tête de l’agence qui n’avait plus de direction depuis trois ans : il y avait de très gros besoins. D’écoute. De soutien, avant tout. Et aussi quelqu’un qui fasse le tampon avec l’extérieur. Notamment avec les politiques.” Les vingt salariés étaient livrés à eux-mêmes. “Il y avait beaucoup trop d’autonomie dans le mauvais sens du terme…”

Atelier “mensuel”, où chaque personne prend la parole et explique les actions qu’elle mène sur tout le mois à venir et interagit avec d’autres agents ; certains, sur la base du volontariat, participent à ce projet”

Il faut savoir faire avec des caractères et des tempéraments différents. “Là, il y avait besoin d’être en synergie, en collaboration avec les autres services. Avant, chacun s’enfermait dans son propre bureau… J’ai créé des ateliers. Comme le “mensuel”, donc une fois par mois où chaque personne prend la parole et explique les actions qu’elle mène sur tout le mois à venir et interagit avec d’autres agents et, certains, sur la base du volontariat, participent à ce projet.” C’est le mode dit projet. “On a aussi mis en place un “café des tendances” ; c’est là aussi un atelier obligatoire pour tous : tout le monde vient en ayant fait de la veille médiatique et on débat sur ce qui se passe au niveau national ou européen. Sur l’économie et, évidemment, le tourisme.”

Séances de yoga pour mieux gérer le stress

Justine Garcia a aussi mis en place “des temps d’écoute où chaque personne parle librement. Sur des problèmes que les agents peuvent rencontrer. Et on essaie d’adapter les plannings ; d’alléger certaines tâches…”

La directrice ajoute que, jusque-là, “on dans un système beaucoup trop hiérarchique.” Pyramidal. “Et essentiellement descendant. Désormais, on s’inspire des idées des agents pour dessiner une stratégie.” Y a-t-il un projet ou une idée qui a pu émerger ? “Beaucoup ! En interne, j’ai créé une boîte à ressentis. Je me suis rendu compte que 90 % des salariés avaient des problèmes de gestion du stress. On a donc fait une concertation et comme je suis aussi professeur de yoga, à l’unanimité les agents m’ont demandé de leur faire des séances de yoga et de méditation, à raison d’une demi-journée tous les quinze jours pour mieux gérer le stress.”

Vélos électriques

En externe, aussi : “plusieurs personnes ici sont sensibles à des valeurs éco-responsables. Au point de nous demander d’être exemplaires vis-à-vis aussi de l’extérieur. On a donc arrêté de circuler avec des voitures à essence et on a acheté des vélos électriques et une borne. Et on se positionne aussi dans des salons éco-responsables ; sur l’éco-tourisme et les vélos. Avec des projets de micro-aventures sur notre territoire. On a banni la voiture.”

Bonne humeur, esprit d’équipe, enthousiasme, confiance sont les bénéfices de ce changement. En un an, on est passé d’une structure “malade” à la voie du nirvana… La directrice résume : “On constate beaucoup plus d’investissement. Davantage de lâcher prise. D’épanouissement au travail. Et beaucoup moins d’arrêt maladie, par exemple. Beaucoup plus d’initiative et du lien entre les agents. C’était primordial.”

Je les aide à mieux gérer leurs émotions, à parler en public, à limiter leur stress. Et à développer des coopérations transversales beaucoup plus solidaires. Cela amène un bien-être intérieur qui se voit aussi à l’extérieur

La bonté, l’indulgence, la bienveillance apparaissent un peu partout dans la société. Galvaudés. dans la société, il y a des gens qui vivent surtout des situation de sur-travail, des burnout voire des bore-out ; et de l’autre, la gnangnantisation se généralise dans les rapports notamment avec les millenials, nés en 2000.

“Il y a quand même une hiérarchie dans l’agence, défend Justine Garcia. Mais le fait d’être disponible et à l’écoute des agents, cela change tout. Je les aide à évoluer dans leurs pratiques personnelles. À mieux gérer leurs émotions, à parler en public, à limiter leurs sources de stress. Et à développer des coopérations transversales beaucoup plus solidaires. Cela apaise les relations sociales et cela amène un bien-être intérieur qui se voit aussi à l’extérieur.”

“Je lui ai dit de partir tout de suite du boulot ; de prendre une demi-journée de détente pout aller dans un bain”

Comment faire pour ne pas aller jusqu’à l’infantilisation ? “Il y a quand même des limites et de la distance à avoir. Je suis proche sans être proche des agents : je ne suis pas leur copine. J’ai, parfois, fait appel à une psychologue pour en accompagner certains. Exemple : un agent qui était “au bout du bout. Elle me confie qu’elle a beaucoup de choses à gérer dans sa vie personnelle ; beaucoup de travail et qu’elle n’a aucun moment à elle. Eh bien je lui ai dit de partir tout de suite du boulot ; de prendre une demi-journée de détente pout aller dans un bain. Elle ne voulait pas mais du fait que ça vienne de sa hiérarchie elle a accepté.”

Juste milieu entre liberté personnelle et fierté d’appartenance

Cela peut aller jusqu’où ? La semaine de quatre jours, les 32 heures hebdo, la retraite progressive… ? “On est dans un secteur relativement facile, le tourisme ; on n’est pas dans le dur d’une plate-forme pétrolière… Ce qui est très important c’est de trouver le juste milieu entre la liberté personnelle et la fierté d’appartenance à l’entreprise. C’est là que l’on place certaines limites. L’épanouissement professionnel, oui mais…”

On détient le record du nombre d’artisans et il n’y a pas un village ariégeois qui n’ait pas une profession de bien-être : yoga, méditation…”

Ce management colle à l’image de l’Ariège avec “son développement raisonné de la destination qui nous laisse ouvert le champ des possibles mais aussi le sentiment de bien-être quand on arrive dans ce département avec des espaces préservés ; où l’on n’est pas assujettis à la sur-fréquentation touristique… Il y a aussi un militantisme pour préserver le milieu naturel. Et qui invite tous les visiteurs à la contemplation, analyse Justine Garcia. C’est aussi une destination alternative qui plait évidemment aux nombreux “alternatifs” : on détient le record du nombre d’artisans et il n’y a pas un village ariégeois qui n’ait pas une profession de bien-être : yoga, méditation… J’ai créé un poste en septembre dernier pour recenser toutes les auto-entreprises de bien-être. Eh bien nous sommes parmi les premiers à en avoir autant. Idem pour l’agriculture bio : la Région Occitanie est la première région bio de France et l’Ariège y est pour quelque chose…”

Olivier SCHLAMA