Stade Louis-Nicollin : Montpellier joue une partie à 200 millions d’euros

Photo : Mathieu Bertrand.

Comme tout projet d’envergure, le futur stade de foot Louis-Nicollin se prépare en secret. Philippe Saurel comme le clan Nicollin ne dévoilent pas encore quelles en seront les sources de financement. Ni quel retour sur investissement on pourra en attendre. L’opposition dénonce un projet à marche forcée et un manque de consultation. Dis-Leur ! a enquêté sur l’opportunité d’un tel équipement, notamment en allant voir ailleurs. Combien ont coûté les stades construits ces dernières années en France ? Comment fonctionnent-ils ? Sont-ils une réponse pertinente à l’évolution de ce sport ? Le stade de la Mosson ne va-t-il pas perdre son âme et donc des fans en déménageant entre deux autoroutes ?

D’un serment testamentaire à une naissance sous tutelle. En tenant sa promesse, faite à feu Louis Nicollin, l’emblématique Loulou, de construire un nouveau stade pour le MHSC, le club de foot de Montpellier, Philippe Saurel soutient opportunément la création du nouveau quartier Cambacérès. Poursuivant par la même occasion le vieux rêve de son mentor politique, Georges Frêche, d’une Montpellier-sur-Mer. La première pierre de la nouvelle arène pailladine, en exil, doit être posée au mois de juin, à l’occasion de la Coupe du monde féminine de foot, pour laquelle Montpellier fait partie des villes hôtes. Coût estimé : 150 millions pour le stade. Et 50 millions de plus pour l’ensemble du complexe, qui comprendra une salle couverte, pour accueillir le MHB notamment. Mais pas seulement.

Mythique Mosson… Photo : Mathieu Bertrand.

A moins de trois mois de son lancement, c’est à peu près tout ce que l’on sait du projet, tant depuis la conférence de presse commune du mois de juillet dernier, les pouvoirs publics comme le club verrouillent la communication. “Nous avons fait beaucoup de réunions et il commence à y avoir du concret, assurait sans plus de détails Laurent Nicollin, début mars, alors que le club a refusé de répondre à nos sollicitations.

Première pierre posée le 26 juin

Philippe Saurel, lui, a reçu Dis-Leur ! en tête-à-tête. Il a consenti à confier : “La première pierre du futur stade Louis-Nicollin sera posée le 26 juin prochain en présence du maire de Lyon, Gérard Collomb. J’irai ensuite à Lyon pour un hommage de sa ville de coeur de Louis Nicollin. Le stade aura une jauge de 25 000 à 30 000 places. Et dans le montage financier, la Ville de Montpellier aura une minorité de blocage.”

Mais ce stade, exilé aux confins de Montpellier, gardé par deux autoroutes, ne va-t-il pas y perdre son âme ? Saurel balaie tout cela d’un revers de la main et dit : “Dans quelques années, il y aura 50 TGV et une ligne de tramway le desservira.” Pas de réponse en revanche sur le plan de financement des infrastructures d’accès au stade et par qui ? Ni sur le nombre d’événements hors foot que pourrait accueillir cette nouvelle arène. Bouche cousue, enfin, également, sur le fait que le club, MHSC, bénéficie ou nom de terrains pour développer des opérations immobilières et rentabiliser son investissement.

L’avenir du site historique de la Mosson est totalement lié à ce futur stade.”

Une source proche du dossier confie, toutefois : “L’avenir du site historique de la Mosson est totalement lié à ce futur stade. A la Mosson, nous allons végétaliser tout le rez-de-chaussée du stade, inondable, pour y faire des aires de jeux pour enfants et des espaces verts. Nous garderons les pylônes. Et, au premier étage, nous aménagerons des espaces pour des entreprises, un peu comme le stade de Highbury en Angleterre.” L’idée, c’est “d’apporter de l’emploi dans ce quartier labellisé zone franche”.

Certains ont demandé à Philippe Saurel d’organiser sur le sujet un RIC, référendum d’initiative citoyenne, popularisé par les Gilets jaunes. Selon nos informations, il n’accèderait pas à cette demande. Peut-être parce que pour construire un tel équipement, la loi réclame une procédure d’enquête publique au cours de laquelle tout le monde peut s’exprimer.

Des élus votent 10 millions, dont certains l’ont fait deux fois, en ne sachant rien sur le projet en question”

Hervé Martin, élu PCF à la ville et à la Métropole.
Photo : A.S.

Mais les élus métropolitains, eux, veulent en savoir davantage. Normal, ils ont juste découvert dans le dernier budget soumis au vote une ligne dédiée à la construction du stade. Une subvention de 10 millions d’euros. Une enveloppe de la même somme est réservée par la Métropole. Sans plus d’explication. Alors même qu’ils n’ont jamais pu consulter les études de faisabilité. “Un passage en force”, pour René Revol, maire La France insoumise de Grabels, jamais avare de critiques envers Saurel. Plusieurs opposants de gauche comme de droite lui emboîtent le pas. Hervé Martin, élu PCF à la ville et à la Métropole, se demande comment “des élus votent 10 millions, dont certains l’ont fait deux fois, en ne sachant rien sur le projet en question”.

Le stade doit en tout cas venir soutenir le projet de nouveau quartier Cambacérès, pour lequel Saurel avait fait campagne, quand il s’appelait encore Oz, avant de se raviser. L’installation de la gare de la Mogère, basée sur des estimations de trafic optimistes, et qui peine aujourd’hui à justifier son utilité, alors qu’elle n’est même pas encore reliée au tramway, devait être la pierre angulaire de ce nouveau quartier, près du centre commercial Odysséum. Avec la possibilité de voir une partie du campus de l’université Paul-Valéry aménager à proximité et celle, déjà lancée de l’école de commerce de Montpellier.

Casino, Frenchtech, Mogère…

“Attention, confirme notre source, ce quartier est un quartier d’avenir, dit-elle en substance. Il y est prévu un casino et d’y déménager l’immeuble de la French Tech qui occupe actuellement provisoirement les locaux de l’ancienne mairie, près du Polygone. On se rapprochera ainsi de nos pépinières de Clapiers et du Millénaire. Les jeunes pousses qui s’installeront dans cet immeuble de la French-tech, notamment tournées vers l’international, encore fragiles, pourront justement y trouver un cadre favorisant leur consolidation.”

Un “montage financier unique”

Ph. A.S.

Dans des termes très macroniens, Philippe Saurel avait annoncé le 6 juillet 2018 “une collaboration inédite entre public et privé pour un financement maitrisé”, en présence de Chrisophe Pérez président de la Société d’équipement de la région de Montpellier (Serm). “Le stade sera exploité par une société anonyme et le capital du stade composé de deux actionnaires principaux”, avait précisé Philippe Saurel. D’un côté le groupe Nicollin et ses partenaires, de l’autre la Ville et la Métropole, regroupées au sein d’une société d’économie mixte (Sem), qui piloteront le projet.

Ce “montage unique” ne ressemblerait pas aux décriés PPP (partenariats public-privé), considérés comme des “gouffres financiers”. Philippe Saurel l’avait d’ailleurs réfuté : “La collectivité demeure prépondérante mais non majoritaire”. Pas plus d’explications sur l’énigmatique “minorité de blocage” que conserverait la puissance publique, pourtant minoritaire au capital de la société d’exploitation. Une société publique-privée “qui va construire et exploiter le stade et 20 000 mètres carrés d’espace dédiés aux champs économique et commercial”, selon Saurel. “Elle touchera des recettes, pour couvrir l’investissement, à travers les loyers versés par ceux qui vont exploiter équipements”.

Quant à la question du naming, laissée en suspens, qui mettrait un sacré coup à la promesse faite à Loulou si un nom de marque était accolé à celui du fondateur du club. Il faudra aussi discuter de la desserte du stade, via l’autoroute avec les ASF. Avec un nouveau poste de dépense à la clé. De manière générale, le montant de 200 millions d’euros tout compris paraît sous-évalué. La construction du seul stade du Parc OL à Lyon, plus grand il est vrai, mais dans une configuration urbaine similaire avait couté 450 millions d’euros.

Ces très chers stades…

Photo : O.SC.

Si Philippe Saurel évite le terme de PPP, c’est qu’il est devenu tabou depuis les coûteuses constructions d’enceintes à Lille, Bordeaux ou Nice pour l’Euro 2016. La ville de Marseille avait opté pour ce montage sur la rénovation de son stade Vélodrome pour 273 millions d’euros. Mais le recours à un opérateur privé, Arema, pour avancer les 103 millions qui lui manquait équivaut à un emprunt à 8,25 %, en prenant en compte la rémunération des actionnaires notamment. Contre 4,37 % pour un emprunt classique, selon la chambre régionale des comptes de Paca.

Sans compter que c’est Arema qui gère et entretient l’ouvrage pendant 31 ans selon les termes du contrat. Si la société s’engage à reverser 500 millions d’euros sur les recettes à la ville, la municipalité verse tous les ans un loyer de 18 millions d’euros alors que l’OM le lui loue pour 4 millions. Soit une perte annuelle de 14 millions sur 30 ans. Dans la cité phocéenne aussi l’information au conseil municipal a été “lacunaire”, toujours selon la chambre régionale des comptes.

Le foot, féminin et masculin, une vieille histoire pour Montpellier qui s’affiche en grand sur l’hôtel de ville. Photo : Olivier SCHLAMA

Les stades de Lille, Nice et Bordeaux font partie de la vague d’infrastructures construites en PPP pour accueillir l’Euro 2016 de football. Dans la ville girondine, l’avance du privé équivaut à un emprunt à 15 %, pour les mêmes raisons qu’à Marseille. A Nice, ce montage coutera 400 millions d’euros à la municipalité. Pour un stade qui en a demandé 217 millions d’euros à la construction. A l’inverse, sur l’ile du Ramier, à Toulouse, le Stadium a été rénové en grande partie par le public pour l’Euro, pour 60 millions d’euros, en faisant le choix de légèrement réduire sa capacité, à 31 000 places. A Saint-Etienne la capacité a été porté de 35 000 à 42 000 pour 70 millions d’euros de travaux là-aussi majoritairement pris en charge par le public. Il s’agit de deux stades municipaux, pour l’exploitation desquels, les clubs paient des redevances.

Les infrastructures d’accès, le nerf de la guerre

L’intérêt pour les présidents de club de bénéficier d’un stade à eux ou, du moins, dont ils ont l’exploitation, à Montpellier comme ailleurs, est financier. Ce n’est pas par hasard que la nouvelle direction de l’OM ferraille avec la ville à ce sujet. Outre la manne de la billetterie, cela permet de développer toute une série d’activités annexes dont les recettes tombent directement dans l’escarcelle du club. Mais cela prend du temps, même quand la puissance publique se montre conciliante. A Lyon, Jean-Michel Aulas a inauguré son “formidable outil” en janvier 2016, qui devait lui permettre d’entrer dans la cour des grands clubs européens.

Problème, même avec un stade plutôt bien rempli et quelques concerts, le club ne parvient à en faire l’atout escompté. Certes, pour son premier exercice dans son nouveau stade l’OL a enregistré 44 millions de recettes de billetterie, pour une progression de 16 %, mais 13,6 millions ont été obtenus en Coupe d’Europe, compétions à laquelle la participation n’est pas assurée. Si les recettes progressent, c’est plus grâce à l’augmentation des droits télévisuels, plus qu’à celle de la billetterie. Surtout, Lyon doit continuer à vendre au moins l’un de ses meilleurs éléments chaque année pour engranger quelques dizaines de millions d’euros nécéssaires à l’équilibre des comptes. Cela alors même que la Métropole dirigée par Gérard Collomb a injecté 200 millions d’euros en prenant à sa charge les accès, et notamment le prolongement du tramway.

Les infrastructures d’accès, c’est d’ailleurs le nerf de la guerre pour ces stades reconstruits en périphérie. Elles ont couté 170 millions d’euros à Lille, 90 millions à Bordeaux, et 65 millions à Nice. Quid à Montpellier, où le prolongement du Tram 1, évoqué depuis une décennie a pris des allures de serpent de mer ?

Nîmes : un projet à 230 millions d’euros !

Photo d’illustration. DR.

Quelques kilomètres à l’est de la Paillade, le rival nîmois, fort de sa belle première saison dans l’élite depuis 25 ans envisage aussi d’ériger un stade, à l’horizon 2023. Sur l’emplacement de l’ancien, des Costières, en rachetant le terrain, démolissant et reconstruisant. Là aussi, le stade serait construit en bordure d’autoroute, loin des recommandations de la FFF. Un projet évalué à 230 millions d’euros, qui paraît pour le moins dangereux car les Crocos ont beau avoir une assise populaire forte, sûr de vivre au moins une seconde saison d’affilée en Ligue 1, il n’a pas d’autres clubs dans d’autres disciplines pour habiter l’enceinte. On l’a vu avec la rétrogadation du Mans, malgré un stade rutilant, où c’est le public qui paie les pots cassés.

Sans compter que la préfecture du Gard pourrait avoir du mal à attirer des évènements extra-sportifs d’envergure. L’économie des concerts n’est pas forcément chose aisée pour les stades qui n’accueillent qu’une poignée d’évènements par an. Cette année il y aura les rappeurs locaux Big Flo et Oli au Stadium municipal de Toulouse, Jul, Soprano et Muse au Vélodrome et Elton John à Lille. Le caractère modulable du stade Pierre Mauroy lui permet d’accueillir de nombreuses manifestations, comme la finale de la coupe Davis en 2018 ou l’Euro de basket en 2015 qu’elle partageait avec Bercy et… l’Arena de Montpellier.

La lubie des événements internationaux

Sur ce point c’est encore le stade lyonnais, qui s’en tire le mieux, même si les annonces qui ont présidé à sa construction étaient plus ambitieuses. Le Parc OL, qui avait reçu Rihanna l’année de son ouverture, accueillera cette année quatre concerts des stars internationales Ed Sheran et Phil Collins.

Pour son premier exercice dans son nouvel écrin, entre la venue de la star américaine, celle de Coldplay et la réception de la finale de la Coupe de la Ligue, l’OL avait glané 9,2 millions d’euros. Côté événements sportifs, le Groupama stadium, son nom officiel depuis le naming, qui rapporte 5 millions d’euros à 7 millions d’euros par an contre 2,45 millions pour à Marseille avec Orange, accueillera la Coupe du Monde féminine, après la finale de l’Europa League et les demies du Top 14 l’an passé. Jean-Michel Aulas est par ailleurs en discussion avec Tony Parker, président du club de basket local, pour faire jouer l’Asvel, sur les terrains attenants au grand stade, où il construirait une salle.

Le patron de l’OL souhaite aussi développer une desserte permanente en tramway alors que la ligne menant au stade n’est ouverte que pour les matchs. Tout cela plus de trois ans après l’inauguration. Le projet montpelliérain dans sa présentation actuelle paraît ainsi quelque peu optimiste. D’autant que le stade ne sera pas modulable, Montpellier optant pour une arène collée au stade.

Avec 30 000 places le stade de Montpellier pourra-t-il rivaliser avec Marseille ou Lyon pour la réception de grandes compétitions internationales ?

Ce stade d’une capacité “voisine de 30 000 places” selon la formule de Philippe Saurel, ne permettra pas un gros gain en capacité. Le stade de la Mosson présentait initialement une capacité de 35 000 places, ramenée à 32 000 pour la Coupe du Monde de rugby, puis à 27 000 et finalement 22 000 réclamées par le club en début de saison dernière. Oui, mais voilà, avec une affluence moyenne de 12 000 spectateurs, le stade Nicollin, à l’inverse de la gouaille du fondateur du MHSC, risque de sonner creux, et de coûter cher à son locataire. Avec sa capacité de 30 000 places, ce nouveau stade permettra-t-il de rivaliser avec Marseille ou Lyon pour la réception de grandes compétitions internationales ?

Alors même que Philippe Saurel soulignait, lors de sa conférence de presse de début juillet la veste mise à Montpellier par le comité d’organisation de la Coupe du Monde de rugby, qui avait retoqué la candidature de la Mosson. Le stade de la Mosson est aussi passé à côté de l’Euro de football, alors que Jean-Pierre Moure, ex-président de l’agglo de Montpellier et candidat malheureux aux dernières municipales à Montpellier, avait proposé des travaux de modernisation de la Mosson, à hauteur de 50 millions d’euros. Projet abandonné par Saurel en 2014, au profit de celui de nouveau stade. Ce qui met les supporters en joie.

S’il n’y a pas de nouveau stade, le MHSC vivotera, même si l’ADN de Montpellier c’est de naviguer entre la 5e et 15e place…”

Mathieu Bertrand, cofondateur de AllezPaillade.com
Photo : Mathieu Betrand.

Mathieu Bertrand est rédacteur pour un site de fans, AllezPaillade.com forts de 8 000 à 10 000 connections revendiquées chaque jour en moyenne. Il dit : “La Mosson est très difficile d’accès ; il y a très peu de parkings. Il faut être un supporter chevronné pour y aller. Pas de bodéga ou d’espace commun ; les tribunes et les toilettes sont obsolètes… Et puis, question sécurité, ça craint. Y a pas mal de vols dans les voitures…” Il voit dans le futur stade, calé entre deux autoroutes, un bol d’air avec “bientôt le tram, des parkings gardés et davantage de monde dans les tribunes”. Bertrand Mathieu pose la question centrale : Peut-être qu’avec ce nouveau stade, les dirigeants vont se sentir obligés de bâtir une grande équipe ? Et s’il n’y a pas de nouveau stade, le MHSC vivotera, même si l’ADN de Montpellier c’est de naviguer entre la 5e et 15e place. Selon le président du club, qui ne veut pas un grand stade, le projet serait de 180 millions d’euros, financés pour les deux-tiers par le privé et le reste par le public. C’est une équation qui nous plait.” Il avoue une crainte, “qu’à l’image de Bordeaux, très grand, qu’il soit vide”. Et sans âme.

Certains évoquent, enfin, une angoisse de taille. Le secteur de la Mogère se trouverait en zone rouge du PPRI, c’est à dire… inondable, comme la Mosson. “Pas du tout !”, coupe un fin connaisseur du projet. Sollicitée, la préfecture de l’Hérault n’a pas réagi. “Frêche voulait allait vers la mer ; Saurel rééquilibre la ville”, confie un proche. Et il compte foncer.

Olivier SCHLAMA, Antoine SILLIERES