Sciences : Le voyage du “paresseux géant”, de la Guyane à un labo de Montpellier

Dans la forêt amazonienne de Guyane, une expédition pour retrouver les traces du "paresseux géant" qui vivait là voici 12.000 ans ! Photo Pierre-Olivier Antoine

L’histoire a tout d’un excellent début de scénario. En octobre dernier, Le chercheur Pierre-Olivier Antoine a dirigé une expédition au coeur du Parc national amazonien de Guyane, sur les traces d’un fossile mis au jour par des “garimpeiros” (*) qui en ont révélé l’existence aux agents du parc. Pierre-Olivier Antoine s’est donc rendu sur place avec une équipe multidisciplinaire et a identifié les restes d’Eremotherium laurillardi (communément appelé “paresseux géant”), une espèce éteinte depuis 12 000 ans.

Sur le terrain, au coeur de la forête amazonienne de Guyane. photo L. MARIVAUX

“’C’était un animal terrestre et non pas arboricole, mais avec des dimensions proches d’un éléphant ! C’est le premier reste de cette mégafaune éteinte retrouvé en Guyane et le premier de ce type trouvé en France, nous allons travailler sur une page vierge”, expliquait au moment de la découverte le paléontologue Pierre-Olivier Antoine.

Une expédition accompagnée par des militaires et des gendarmes

Les premiers à avoir compris que les ossements qu’ils venaient de déterrer n’étaient pas anodins, ce sont les garimpeiros du site d’Atouka, au sud de Maripa-Soula. Par le biais d’intermédiaires, l’information est remontée au Parc amazonien et à son référent archéologie. Ce dernier a mobilisé les experts de l’Institut des sciences de l’évolution de l’Université de Montpellier, notamment le paléontologue Pierre-Olivier Antoine.

Une mission de terrain a été montée grâce au soutien financier du laboratoire d’excellence CEBA (Centre d’étude de la biodiversité amazonienne), avec l’appui logistique du Parc amazonien. Deux agents du Parc amazonien ont accompagné les chercheurs sur le site avec des hommes des Forces armées et de la gendarmerie. Et les résultats des fouilles ont été à la hauteur des espérances.

L’acidité des sols détruit la plupart des ossements

Une partie des ossements découverts, aujourd’hui étudiés à Montpellier. Photo P.-O. ANTOINE

“Il est probable que le squelette était entier”, nous précise Pierre-Olivier Antoine, “mais compte tenu de la nature du terrain, l’acidité des sols (…) rend la découverte de fossiles très difficile. Et ceux que l’on trouve se dégradent très rapidement…” Les scientifiques ont néammoins pu récupérer des éléments de la mâchoire (maxilaire gauche), du crâne, un radius, une vertèbre et une côte.

Bien assez pour déterminer avec précision de quelle espèce il s’agit et même les particularités du spécimen : “Il s’agissait d’un individu juvénile, d’une plus petite taille que ses congénères d’âge adulte. Il devait mesurer environ 3 mètres et peser 2 tonnes; Quand un individu adulte pouvait atteindre 4 m et 3,5 tonnes…” précise le chercheur de Montpellier.

La visite du “spécialiste mondial du paresseux géant”

Source Parc amazonien de Guyane.

Les ossements sont actuellement en cours d’analyses à Montpellier et seront renvoyés en Guyane à l’issue des travaux qu’il effectue en collaboration avec les meilleurs spécialistes. En particulier le paléontologue François Pujos, du Conseil national argentin de la recherche, est venu en décembre dernier en Occitanie. Il est, souligne P.-O. Antoine, “le spécialiste mondial des paresseux géants.”

Il faudra encore quelques semaines pour déterminer les premiers résultats, poursuit le chercheur de Montpellier, qui tient à souligner que la collaboration et la coopération mises en place entre le Parc amazonien, le CEBA et l’Université de Montpellier ont permis d’agir avec rapidité et efficacité.

Un réchauffement qui pourrait expliquer la disparition des “géants”

Il reste aussi, précise Pierre-Olivier Antoine, “à confirmer l’environnement dans lequel évoluait et animal. Il faut dater les éléments du squelette et les roches qui l’entouraient (…) essayer de décrypter des sequences d’ADN…” Il est possible que la région ait alors été une savane que des bouleversements climatiques ont fait évoluer vers la forêt tropicale d’aujourd’hui.

L’environnement dans lequel ont été découverts les restes du “paresseux géant”, peu favorable à la conservation des fossiles… Photo L. MARIVAUX

“L’une des explications plausibles de la disparition de cette mégafaune peut-être un changement de l’environnement (…) il en va de même pour les mammouths, les rhinocéros laineux, les ours des cavernes… Un réchauffement, faisant suite à une période glaciaire est un possible responsable de leur disparition, car ils n’étaient plus adaptés.”

Car, souligne P.-O. Antoine “tout changement d’environnement est dommageable pour les organismes.” Ce qui, inévitablement amène à s’interroger sur le devenir des géants de la faune actuelle, éléphants, rhinocéros, etc dont l’existence ne tient guère plus qu’à un fil. “Cela fait naturellement écho avec ce qui se passe aujourd’hui, le phénomène du réchauffement et les causes sont assez similaires, à une différence près, la présence de l’homme…”

Philippe MOURET

(*) En Guyane française, les orpailleurs contemporains sont, dans leur écrasante majorité, des clandestins brésiliens dotés de quads, de jets à pression, et de pompes motorisées. On les appelle les garimpeiros (…) Ces chercheurs d’or sont venus trouver, dans ce département français recouvert de forêt amazonienne, un revenu représentant jusqu’à 15 fois le salaire minimum au Brésil. Au prix, toutefois, d’une pollution désastreuse. Pour extraire le précieux métal (…) ils rasent les arbres de la forêt amazonienne. Et utilisent, chaque année, environ 13 tonnes de mercure – métal lourd pourtant interdit en France depuis 2006 – qui finissent dans les cours d’eau (…) L’activité est sévèrement réprimée. En soutien de la gendarmerie et de la police, les forces armées de Guyane traquent et détruisent sans relâche leur matériel. Lire l’article du National Géographic.

Une biographie…

Pierre-Olivier Antoine est né à L’Union (banlieue toulousaine) en 1972. Il a d’abord obtenu une Maîtrise de Géologie à l’Université Paul-Sabatier de Toulouse, puis un diplôme d’Études Approfondies “Paléontologie et Sédimentologie”, Lyon-Dijon-Marseille-Toulouse,

En 1997. première participation à une expédition paléontologique, au Balouchistan (Pakistan), avec Jean-Loup Welcomme et le Pr. Léonard GinsburgDe 1997 à 2000 : Doctorat en paléontologie des vertébrés, Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris : “Origine et différenciation des Elasmotheriina parmi les Rhinocerotidae (Mammalia, Perissodactyla) : Analyse cladistique et implications biostratigraphiques et paléobiogéographiques.”

Il s’est ensuite spécialisé dans l’étude de l’évolution des grands mammifères cénozoïques d’Eurasie au sein de l’Institut des Sciences de l’Évolution (Isem) de Montpellier. En 2010, professeur à l’Université Montpellier 2 : intègre l’Institut des Sciences de l’Evolution. Il a mené un grand nombre d’expéditions en Amérique du Sud,

Sur le site de l’Isem, il explique : “Je coordonne une équipe internationale et multidisciplinaire (paléontologues, géologues et biologistes) en Amazonie depuis 2004, dans les Andes depuis 2011 et dans les Caraïbes depuis 2018 (ANR GAARAnti), tout en continuant à valoriser mon expertise sur les rhinocéros fossiles et actuels. Depuis mes débuts, les spécimens fossiles que j’étudie proviennent pour l’essentiel des missions de terrain auxquelles je participe.”

Préhistoire :