Psychologues en grève : “On est présents pour les autres mais personne ne l’est pour nous…”

Non invités au Ségur de la santé, les psychologues, en colère, manifesteront le 10 juin. Comme nous l’explique Hélène Brocq, psychologue reconnue, la crise a révélé des archaïsmes : un nombre insuffisant de postes en institutions ; des consultations sous payées qui se profilent, inféodées à une prescription médicale ; des quidams, sans formation, qui ont le droit de s’installer comme psychothérapeutes, etc. Les psychologues demandent à être reconnus professionnels de santé sans se voir imposer des méthodes comme les TCC.

La grève, c’est une première pour les psychologues. La goutte d’eau, c’est le plan Ségur et les revalorisations des métiers de la santé, dont les psychologues ont été écartés ?

Je n’ai jamais fait grève. Cela fait 30 ans que je bosse, actuellement au CHU de Nice. Je n’ai pas souvenir d’une grève. Oui, le plan Ségur. C’est, au-delà, l’absence totale d’existence pour ce gouvernement pour les psychologues. Nous n’avons pas été invités. Nous n’existons pas. J’habite Nice. On a quand même été présents pour l’attentat de Nice ; on s’est mobilisés, très nombreux, spontanément. Pareil pour la tempête Alex, etc. On est présents pour les autres et personne n’est présent pour nous. Aucune reconnaissance de notre travail. Tout se décide, concernant notre profession, avec d’autres professions, principalement les psychiatres. Nous ne sommes pas entendus en tant que profession à part entière.

Vous avez des syndicats représentatifs…?

Oui, ils sont à la table des négociations, comme le Syndicat national des psychologues ou la Fédération française de psychologie aussi. Mais on nomme des experts et ce sont eux qui ont tout pouvoir. Comme les experts sont systématiquement des psychiatres, ce sont eux qui organisent tout…

Quel est le problème de fond ?

Il n’y a pas de reconnaissance simplement de la problématique psychologique. On tombe directement dans la psychiatrie. Or, il y a tout un pan, de l’ordre du psychologique, et qui relève principalement de la normalité – quand on est triste, que l’on a perdu quelqu’un ; quand on a vécu un attentat, etc.- où il est normal de faire appel à un(e) psychologue. On n’a pas une maladie mentale parce que l’on est victime d’un attentat. Il faut faire la part des choses entre ce qui est normal et ce qui relève de la pathologie.

Le “normal” revient au psychologue – même s’il pose aussi des diagnostics – comme une sage-femme peut intervenir dans ce qui n’est pas pathologique dans son domaine et être remboursée de ses actes, sans prescription médicale. En revanche, dès qu’il s’agit d’une maladie, là elle intervient sur prescription. Or, pour la psyché, tout ce qui n’est pas pathologique, je pense que cela doit relever des psychologues. Or, cela n’a pas été posé en tant que tel dans ce pays.

Vous buttez sur des archaïsmes ?

En fait, tout est médicalisé. D’ailleurs, en France on est les champions des antidépresseurs ; pareil pour les stupéfiants… Quand on a un problème, le réflexe c’est une prescription. C’est dommage. Ça vaut aussi pour certains problèmes psychologiques qui pourraient être davantage pris en charge par les psychologues.

Il y a aussi une problématique aussi qui me met en colère. Les psychologues cliniciens, qui ont leur diplôme de psychologie clinique et psycho-pathologie, dès qu’ils ont ce diplôme, sont automatiquement considérés comme psychothérapeutes. Certains de leurs actes sont équivalents à  ceux des psychiatres : ils sont capables de poser un diagnostic et des indications avec les outils et les méthodes qu’ils décident eux-mêmes d’utiliser. Ceux qui ne sont pas cliniciens peuvent devenir psychothérapeutes mais en passant un diplôme complémentaire. Il y a aussi des neuro-psychologues.

Face à notre profession il y a la grande masse des “psychothérapeutes”. N’importe qui peut s’installer comme psychothérapeute ! Certains n’ont aucune formation mais les gens ne le savent pas ! Personne n’est foutu d’expliquer cela au niveau du gouvernement. Tout le monde joue sur l’ambiguïté pour entretenir la confusion dans l’esprit du public.

C’est quand même l’ère des TTC, thérapies comportementales…?

C’est le second scandale. La seconde goutte d’eau. Les psychologues qui seront remboursés sont ceux qui montreront patte blanche : ceux formés aux TTC. Dans leur esprit, le psychologue c’est quelqu’un qui pourrait être proche d’une dérive sectaire sauf s’il fait appel aux outils officiels.

Pourquoi l’Etat ne s’appuie-t-il pas sur le diplôme de psychologie clinique ?

Justement, c’est la grande question. Même chez certains psychiatres, on ne sait pas forcément que notre diplôme est équivalent aux leurs. Comme ils ont estimé que l’on n’est pas capables d’évaluer les situations, les choses ont été organisées, troisième goutte d’eau, de telle sorte que le patient voie d’abord son généraliste, avant que le psychologue fasse son évaluation ; ensuite à nouveau c’est le généraliste qui déciderait s’il prescrit ou pas des séances avec le psychologue… C’est le parcours qui est prévu à l’avenir dans le cadre des remboursements éventuels.

C’est d’ailleurs le parcours du combattant, ce remboursement, testé dans plusieurs départements. La séance avait été fixée à 22 € puis 32 € avec deux fois dix séances possibles. En fonction des villes et du prix des loyers, c’est, de plus, impossible pour un psychologue de vivre avec ces tarifs-là. A Nice, une consultation de psychologue est de 60 €. Et on ne peut pas prendre trois patients en même temps comme les kinés ; on ne peut pas non plus garder les gens dix minutes. La séance va de 45 minutes à  une heure.

Le gouvernement a-t-il promis des choses aux Français qui souffrent de la crise du covid, sans y mettre les moyens, sur le dos des psychologues…?

C’est à bas coûts se faire de la pub. Créer des chèques-psy pour les étudiants qui font des tentatives de suicide ; des chèques-psy pour votre enfant qui a des problèmes… En fait, rien n’a été construit avec les psychologues.

Que faudrait-il changer pour que votre place soit reconnue ?

Notre place, sur le terrain, nous l’avons. Cela fait 50 ans que des psychologues prennent en charge des patients dans les hôpitaux. Il y a aussi des psychologues en libéral. Des réseaux de santé. Tout cela fonctionne. Personnellement, j’ai travaillé avec des collègues libéraux.

Il y a quand même des rapports, notamment de la Cour des comptes, qui mettent votre profession à mal ; pour la faire disparaître ?

Pas forcément : déjà qu’il n’y a presque plus de psychiatres, on ne va pas aller jusque-là. On veut surtout en faire des prolongements de psychiatres à bas prix. Comme on le fait quand on prescrit des actes d’infirmières dans les “pratiques avancées”. Elles sont au service des médecins, organisent des choses pour eux. Nous serions prescrits pour faire des thérapies que les médecins ne peuvent pas faire. Or, nous avons une autonomie professionnelle qui a été pensée par le biais de notre code de déontologie, par rapport à notre statut. Notre profession est réglementée.

Ce n’est pas pour rien si nous ne sommes pas rattachés au pôle médical mais à la direction des ressources humaines. Ce qui se passe c’est une instrumentalisation de la profession pour pallier les manques. La stratégie est simple : on ne recrute pas à l’hôpital public, voire on supprime des postes. Pourquoi ? Depuis la tarification à l’activité (T2A), quand un psychologue hospitalier voit un malade, il ne rapporte rien à l’hôpital. Les pouvoirs publics ne voient donc pas d’intérêt comptable à recruter.

L’idée, c’est donc d’avoir des relais, des psychologues, dans les maisons de santé. De les salarier. Qu’ils répondent aux critères décidés par l’Etat, comme les TTC. La maison de santé percevra les fameux 32 € la consultation.

Les psychologues sont-ils très mobilisés ?

Oui. En Paca, en tout cas, c’est sûr. Ils savent que ce qui se met en place là va conditionner leur avenir à long terme. Au début, ils n’ont pas été suffisamment méfiants par rapport à l’expérimentation et aujourd’hui le gouvernement la considère comme acquise et on s’en sert pour faire des lois. La profession a des torts. Notre profession, aux yeux des médecins, pas de tous, fort heureusement, au niveau des décideurs, n’a aucune légitimité. Pour eux, il faudrait être inscrit au code de la santé publique et avoir un conseil de l’ordre.

Justement, y a-t-il eu une tentative dans ce sens ?

Il y a des députés LR qui ont récemment eux aussi tenté une action avec quelques psychologues. En fait, il y a des psychologues comme moi, fiers et heureux d’avoir fait des études à la faculté de sciences humaines. Pour rien au monde, je ne voudrais que l’on change cette formation. Il y a aussi des gens qui auraient voulu être médecins qui n’ont pas pu et se retrouvent dans un positionnement à vouloir soigner. Ce sont souvent des hommes. Ils font de l’hypnose, de l’EMDR (que la Mivilude l’a cité comme dérive sectaire), des TCC… Ils sont dans l’identification aux médecins.

Je défends ma formation de base de psychologie clinique. Un psychologue, quand il sort de la fac, sait faire un entretien clinique de qualité et des bilans projectifs pour poser des diagnostics. Avec ça, on peut travailler. Cela dure depuis 30 ans pour moi. Je publie même des bouquins… (1) Je souhaite en outre que l’enseignement des concepts psychanalytiques perdurent à l’université. C’est très important. Pour la culture, aussi. C’est un fondement de la culture du psychologue clinicien.

Propos recueillis par Olivier SCHLAMA

  • (1) Spécialisée dans l’angoisse et la douleur, Hélène Brocq dit : “J’ai beaucoup publié aux éditions Masson dans une collection Psychosomatique, santé, douleur ; j’ai participé à 12 bouquins. J’ai aussi participé au traité de bioéthique de Manuel Hirsch ; à un bouquin chez Dunod sur la clinique de l’incertitude, au dernier manuel de soins palliatifs ; j’ai été pendant six ans au conseil scientifique de la société française d’accompagnement et de soins palliatifs.” Par ailleurs, Hélène Brocq a monté, en 2003, le diplôme universitaire de psychologie expertale et criminelle à la faculté de médecine de Nice avec un professeur de médecine légale, M. Quatrehomme. “C’est toujours le premier diplôme en France pour de formation des experts psychologues.”
  • Cette mobilisation des psychologues s’inscrit dans une démarche revendicative plus large, entreprises par de nombreuses professions du secteur de la santé. Ce mardi, les employés des services de réanimation et de soins intensifs, soumis à rude épreuve depuis la crise du Covid-19, sont invités à faire grève en vue d’obtenir une revalorisation salariale, mais aussi “des effectifs suffisants et sous statut pérenne”, ou encore “une vraie reconnaissance de la pénibilité” de leurs métiers.