Politique : Les “Dix leçons sur les sondages” d’Alexandre Dézé

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“Jamais les sondages n’ont été aussi omniprésents dans la vie politique, et pourtant jamais les instituts ne semblent s’être autant trompés dans leurs prévisions. Comment l’expliquer ? C’est la question qui est au cœur de ce livre”, ainsi débute l’introduction du nouveau livre d’Alexandre Dézé : 10 Leçons sur les sondages politiques” aux Editions de Boeck Supérieur.

Alexandre Dézé est maître de conférences en Science politique à l’Université de Montpellier, chercheur au Cepel (Centre d’études Politiques Et SociaLes) et enseignant à Sciences Po Paris. Il a récemment publié : Au nom du peuple ? Idées reçues sur le populisme, (Le Cavalier bleu, 2021, avec Emmanuelle Reungoat et Humberto Cucchetti) et Comprendre le Front national (Bréal, 2017).

Des prévisions qui “ne sont correctes que dans un cas sur huit !”

Un livre salutaire, à quelques semaines de l’élection présidentielle.

Ils sont au cœur de l’actualité, donnent lieu à d’incessants commentaires, sont devenus indispensables pour les acteurs politiques et participent même à la sélection des candidats pour la présidentielle de 2022…

Pourtant, jamais les instituts ne semblent s’être autant trompés. On pense bien sûr au Brexit ou à Trump en 2016. Mais en France, la fiabilité des sondages politiques s’avère également problématique : À six mois d’une élection présidentielle (au moment de l’écriture du livre), leurs prévisions ne sont correctes que dans un cas sur huit ! . À trois mois, dans un cas sur trois. Toutes consultations électorales confondues, même les dernières estimations se révèlent approximatives ou erronées dans environ un scrutin sur deux.

Le cas particulier des enquêtes politiques

Pour saisir les raisons de cet écart entre réalités sondagière et politique, nous dit l’auteur il faut “ouvrir la boîte noire des enquêtes et s’intéresser à la manière dont elles sont fabriquées, depuis l’échantillonnage jusqu’à la formulation des questions.” Ces dix leçons constituent ainsi un guide précieux pour mieux décoder les sondages et appréhender avec prudence les résultats des enquêtes pour les élections à venir.

Noter tout de même, comme le précise d’ailleurs l’auteur, que “ce livre n’est pas un livre contre les sondages ni contre les instituts qui les réalisent. Les enquêtes politiques ne constituent qu’une part infime de leur production. Partenaires stratégiques de nombreuses instances et entreprises, les instituts réalisent chaque année un nombre important d’études quantitatives et qualitatives qui donnent entière satisfaction à leurs clients. Ce n’est donc pas leur activité en général qui est en question ici, mais seulement leurs enquêtes politiques…”

“Seulement”, certes, mais bien assez cependant pour en faire un livre qui s’avère non seulement judicieux, mais peut-être nécessaire, à quelques mois seulement de l’élection présidentielle (1er tour le 10 avril prochain). Car comme le souligne Alexandre Dézé : “La qualité des sondages politiques réalisés par les instituts semble avoir diminué au cours de ces dernières années. Au moment même où leur publication se multiplie (…) il n’est donc peut-être pas inutile de rappeler à quel point leurs résultats peuvent être fragiles et doivent être interprétés avec prudence.”

Des français interrogés “sur presque tout et n’importe quoi”

L’auteur propose donc “10 leçons” pour mieux comprendre ce phénomène particulièrement présent en France et en constante inflation. Ainsi on découvre au fil de l’ouvrage que “pour la campagne présidentielle de 1965, quatorze sondages d’intentions de vote vont être réalisés. Pour celle de 1981, il y en aura huit fois plus (110). Et pour celle de 2017, quarante fois plus (560). Or il ne s’agit là que d’une partie infime de la production…”

À tel point que, comme le souligne Alexandre Dézé “à force de devenir pléthoriques, les sondages politiques ont fini par porter sur presque tout et n’importe quoi. En avril 2012, l’institut OpinionWay réalise pour le compte du site voyagermoinscher.com un sondage (relayé par de nombreux médias) sur les candidats à la présidentielle avec lesquels les Français souhaiteraient partir en vacances. . Réponse : François Bayrou (19 %) et Jean-Luc Mélenchon (17 %) !”

Juste un autre exemple : Toujours en avril 2012, “l’institut Mediaprism demande à un échantillon de femmes à quel candidat elles feraient appel pour les aider dans leurs «tâches ménagères» : Résultat : Nathalie Arthaud (20 %), Éva Joly (16 %) et Philippe Poutou (12 %)…”

Dix “leçons” pour faire le point

Alexandre Dézé @Ludovic Sposito (CEPEL)

On ne va pas ici déflorer ce passionnant ouvrage, aussi savant et éclairant et même parfois (souvent)… divertissant. Citons juste les dix “leçons” ici proposées :

Leçon N° 1 : Pourquoi les sondages politiques sont‑ils devenus omniprésents ? Leçon N° 2 : Les sondages politiques se trompent‑ils souvent ? Leçon N° 3 : Une “photographie de l’opinion” ? Leçon N° 4 : Méthode aléatoire, méthode des quotas, marges d’erreur : qu’est-ce que c’est et à quoi ça sert ? Leçon N° 5 : Les échantillons sont-ils représentatifs ? Leçon N° 6 : En quoi les opérations de redressement sont-elles problématiques ? Leçon N° 7 : Les questions de sondages ont-elles un sens et influencent-elles les réponses ? Leçon N° 8 : Des sondages insuffisamment contrôlés ? Leçon N° 9 : Les sondages ont-ils des effets ? Leçon N° 10 : Comment apprendre à reconnaître un mirage sondagier? Le cas du FN/RN.

On aimerait “au moins une certaine retenue dans l’interprétation des résultats”

Au terme de ce livre, le lecteur aura sans doute quelque peu changé de point de vue sur les sondages. Cependant, Alexandre Dézé constate : “… L’intérêt qui leur est porté, que ce soit par les entreprises médiatiques ou par les acteurs politiques, semble toujours devoir l’emporter, ce qui fait que l’industrie sondagière s’est toujours plutôt bien remise de ses échecs. Pourtant, souligne-t-il : Aujourd’hui, ces multiples imprécisions devraient au moins conduire à une certaine retenue dans l’interprétation des résultats des enquêtes…”

Et de s’interroger : “Ne gagnerait-on pas à ramener un peu de raison dans la production et l’utilisation des sondages ? Ainsi, on peut douter de l’intérêt de réaliser plus de 500 enquêtes d’intentions de vote pendant une campagne présidentielle, comme ce fut le cas en 2017 et comme ce sera sans doute le cas en 2022…”

Hélas ! Les dernières semaines de 2021 n’ont pas manqué de se laisser emporter par la frénésie sondagière. Avec son lot d’approximations et de conclusions contestables, que se sont empressés de commenter des médias en mal de remplissage entre deux variants du Covid. Et 2022 s’annonce déjà pire !

Alors votre regard sera-t-il différent, désormais, sur ces courbes chiffrées et ces pourcentages fluctuants ? Oui, réponse A, Non, réponse B… Oups ! Décidément, on n’y échappe pas !

Philippe MOURET

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