Dans l’Hérault, département très actif, on dénombre déjà 123 commerces fermés administrativement depuis le début de l’année dont trois dans le cadre de la nouvelle loi contre les narcotrafics. Et aussi bannir les trafiquants autour d’un point de deal ; geler temporairement les avoirs, et expulser plus facilement les locataires.
Toutes raisons confondues, quelque 150 commerces – bars et épiceries de nuit notamment – avaient été fermés en 2024 sur décision préfectorale. “Nous en sommes déjà, à ce jour, à 123 fermetures débits de boissons, bars à chichas, épiceries de nuit”, confie Thibault Félix, directeur de cabinet du préfet. Les deux derniers établissements ont été fermés, le 4 septembre, pour six mois par le préfet de l’Hérault en application des dispositions de la nouvelle loi de lutte contre le narcotrafic (1). C’est l’un des nouveaux outils à sa disposition. « Le narcotrafic est derrière plein d’autres cas de fermeture mais on n’a pas pu le prouver…», souligne un policier.
Déjà 14 interdictions de paraître dans l’Hérault

Comme l’explique la préfecture de l’Hérault, “la lutte contre le narcotrafic est une priorité de l’Etat. La loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic confère de nouveaux pouvoirs aux préfets pour lutter contre la criminalité organisée : fermer des lieux liés au trafic, geler temporairement les avoirs, et expulser plus facilement les locataires impliqués dans le trafic”. Ainsi que bannir les trafiquants des points de deal, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Dans l’Hérault, la nouvelle loi produit des effets concrets puisque 14 interdictions administratives de paraître sur les points de deal ont déjà notifiées.
À Montpellier, Béziers ou Sète, au fur et à mesure que le narcotrafic a pris de l’importance, on a vu se multiplier ces épiceries de nuit dont on sait que certaines sont la vitrine légale du narcotrafic”

“On ne sait pas combien il y a d’épiceries de nuit, fait observer Thibault Félix. C’est la loi du libre marché qui prévaut : si vous achetez un local et que si le Plu (plan local d’urbanisme) donne la possibilité d’y installer un commerce.” Même s’il faut une décision municipale ou préfectorale pour rester ouvert jusqu’à 3 heures ou 5 heures du matin.
Thibault Félix l’assure : “Ce que l’on observe, en revanche, à Montpellier, Béziers ou Sète, c’est que, au fur et à mesure que le narcotrafic a pris de l’importance, on a vu se multiplier ces épiceries de nuit dont on sait en réalité que certaines sont la vitrine légale du narcotrafic ; qu’elles sont utilisées dans l’organisation des trafics soit pour stocker soit pour contribuer à écouler des “marchandises” et qu’elles sont utilisées pour blanchir l’argent de la vente de stupéfiants et c’est pour cela que nous avons une réaction très forte.
“Nous avons tellement d’affaires de stups où l’on a relevé des liens entre un point de deal et une épicerie de nuit…”
Comment ? Le directeur de cabinet du préfet, Thibault Félix revendique : “On utilise tous les motifs qui peuvent être invoqués. Et puis, nous avons tellement d’affaires de stups où l’on a relevé des liens entre un point de deal et une épicerie de nuit… Regardez les grands points de deal à Montpellier, à Saint-Martin ; à Montasinos, il y a des épiceries juste à côté de là où sont marqués les prix des stupéfiants en vente. Soit il y a eu des affaires pénales qui nous ont conduit à ces épiceries soit nous avons eu de forts soupçons sur une activité pas entièrement régulière de ce commerce.”

Comment fait la police pour savoir que telle épicerie ou bar est une “vitrine” du narcotrafic ? “Il y a un volet judiciaire à la main du procureur pas à la nôtre, énonce-t-il encore. Mais sur un certain nombre d’enquêtes pénales autour des points de deal, on se rend compte que cela passe par une épicerie de nuit et là il y a une action pénale qui peut même aller chercher de lourdes peines comme l’interdiction de gérer un commerce pendant 15 ans ; c’est ce que l’on a eu sur des épiceries qui vendaient du protoxyde d’azote à la Tour Saint-Martin. Là on est à même d’établir le blanchiment ; après, en préfecture, on se sert des horaires de fermeture non respectées ; la vente de tabac interdite aux épiceries (il y a un gros travail des douanes à ce sujet) ; des stup (et là c’est fermeture immédiate) ; troubles à l’ordre public comme des rixes, par exemple.”
“De nouveaux motifs pour fermer des établissements”
“Pour les deux derniers établissements que nous avons fait fermer, à Béziers – le salon de thé, 19 avenue Gambetta, et le bar O’ty Wann, place Émile Zola – pour stupéfiants nous avons bénéficié de la nouvelle base légale liée à la nouvelle loi de lutte contre les narcotrafics. Il y a aussi le bar le Cristal, à Sète, qui sera fermé trois mois en lien avec un trafic de stups sur sa terrasse, confie encore Thibault Félix. Des fermetures, on en fait depuis longtemps, mais là, on peut en augmenter leur nombre. La loi narcotrafic nous a donné une nouvelle base légale, de nouveaux motifs pour fermer des établissements, en particulier lorsqu’il y a des stupéfiants impliqués ou lorsqu’il y a des soupçons de blanchiment.” Par exemple, une épicerie qui ne produit qu’un chiffre d’affaires marginal et qui arrive quand même à tourner. “Oui, valide-t-il. Pour établir cela on peut trouver des stups directement dans l’établissement et/ou l’on peut regarder la comptabilité.”
“La situation du narcotrafic est suffisamment grave pour que nous utilisions tous les leviers pour le stopper”

Fermer un commerce pour lequel on soupçonne du blanchiment de trafic de stupéfiants pour six mois est-ce efficace ? “On peut se poser légitimement la question. Mais, réaffirme Thibault Félix, déjà certains de ces commerces ferment complètement boutique suite à une fermeture préfectorale ; c’est la cas d’une épicerie dans le quartier Saint-Martin, à Montpellier ; et puis, la situation du narcotrafic est suffisamment grave pour que nous utilisions tous les leviers d’action que l’on a pour essayer de le stopper. Peut-être cela ne se suffit pas seul de fermer des commerces ; peut-être que cet outil aura une action limitée mais on peut se dire que l’on connaît l’un des symptôme du narcotrafic et que l’on peut le “taper” partout en utilisant de façon maximale la fermeture administrative”.
Olivier SCHLAMA