“Un outil de réflexion pour éclairer le présent” : voilà le but de Objets de mémoire, expo qui marque les dix ans d’existence du Mémorial de Rivesaltes et qui a été façonnée par dix volontaires au travers de dix ateliers avec une quarantaine d’objets des collections. Dix sur dix !
“C’était très émouvant…” Le processus s’est étalé sur plusieurs mois. C’était le prix d’une émotion intacte. C’est ce que rapporte, encore portée, Anna Alouani, qui a fait partie des dix “élus” qui ont élaboré ensemble une exposition unique, participative, du Mémorial de Rivesaltes qui vient d’être inaugurée. Étudiante aux Beaux-Arts, à Nîmes, vivant à Céret (P.-O.), Anna avait de bonnes raisons d’être sélectionnée parmi les quelques dizaines de personnes intéressées par ce projet collectif, ayant “grandi dans ce département” et cherchant à approfondir ses connaissances sur l’histoire du camp “Joffre”, l’ancien nom du Mémorial où furent internés réfugiés espagnols, Juifs et Tsiganes, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI.
Cagoule, henné, jeu d’enfant…

Durant plusieurs mois, il y eut pour tous la période d’immersion, des ateliers d’écriture ; scénographie ; et le choix des objets à présenter au public. Une quarantaine au total. Ceux d’Anna ? “Des objets de ce que l’on désigne sous l’appellation d’archéologie de surface : cagoule (dont on ne sait pas exactement la provenance, le site ayant servi à accueillir des populations harkis mais aussi des squatteurs en tous genres), du henné ou ce jeu où l’enfant qui le manipule doit remettre les numéros dans l’ordre.”
Accompagnés de récits des participants, les quarante objets, issus des réserves du Mémorial de Rivesaltes, sont désormais mis en scène pour en comprendre la portée historique et l’émotion qui s’en dégage. “Portés par l’émotion, tous ont voulu que l’exposition témoigne de l’histoire du camp et devienne un outil de réflexion pour éclairer le présent, persuadés que l’émotion n’est que la première étape vers l’action et l’engagement”, explique-t-on.
Céline Sala-Pons, directrice du Mémorial de Rivesaltes, souligne : “À partir des objets récoltés sur le site ou donnés par des familles et des associations mémorielles reliées à l’histoire du camp, à partir des œuvres acquises ou léguées au Mémorial depuis sa création, chacune et chacun a ainsi participé à une aventure collective de production et d’animation de cette grande exposition des dix ans.” Visible jusqu’au 20 février 2026.
“Matérialiser des faits historiques”

Joan Chillon est étudiant en histoire à l’université de Perpignan. Pour lui, participer à cette expo collective, c’était l’occasion de “matérialiser des faits historiques” que l’on apprend le plus souvent couchés dans les livres. Il a pu consulter, comme les autres participants, depuis une clef USB, les milliers d’objets du Mémorial parmi lesquels il a choisi “ses” objets-témoins, “des objets administratifs, c’est ma spécificité”. Plutôt que des dessins, poèmes et des objets du quotidien, il leur a préféré “des attestations de naissance, des témoignages”, recueillis auprès de personnes ayant vécu dans le camp Joffre, six au total.
“Une façon de rendre ce que la société et le milieu associatif m’ont donné et être en phase avec l’actualité, notamment celle, difficile, des migrants”
C’était aussi l’occasion “d’en savoir davantage” sur l’histoire du lieu et des personnes qui y ont souffert. “En dix séances, sur une longue période, de septembre à mars, rapporte le jeune homme de 19 ans, on a aussi appris tous les points-clés de l’organisation d’une exposition ou d’une d’une scénographie…” Il y a aussi Laurence Bazan, de Thuir, enseignante jusqu’à il y a un an en maternelle avant la retraite. Elle dit : “Participer à cette expo collective au Mémorial que je ne connaissais pas, c’est aussi une façon de rendre ce que la société et le milieu associatif m’ont donné. J’ai bien profité de ce milieu tant dans des associations sportives ; dans les médiathèques que j’ai fréquentés, la chorale…” L’une de ses raisons profondes consistait à être aussi “en phase avec l’actualité, notamment celle, difficile, des migrants”.
“Les participants ont cherché la lumière dans l’ombre”

Commissaire d’exposition, Claire Muchir, par ailleurs conservatrice du musée d’art moderne de Collioure, “à travers l’histoire du Mémorial, ses collections, ils ont choisi des objets assez variés ; objets du quotidien ; oeuvres d’art réalisées dans les conditions difficiles de l’internement. Il y a eu ce besoin d’humanité : beaucoup des participants ont cherché la lumière dans l’ombre : ce sont des gestes de solidarité ; les moments d’entraide ont été mis en valeur, notamment autour de la personnalité de Friedel Bohny-Reiter”, infirmière du Secours Suisse, internée volontaire qui raconta la vie quotidienne dans ce qui fut un camp dans lequel furent placés des réfugiés espagnols, Juifs, Tsiganes. “Et tout ce qu’elle a amené comme soins aux enfants.”
Claire Muchir poursuit : “Il y eu aussi la volonté, à travers ces objets choisis, de rendre compte de la dureté, de la guerre, de la déportation…” Les dix participants à cette collection ont réagi “avec beaucoup d’humilité en se disant : c’est une responsabilité qui nous est offerte de porter un regard sur les camps, les conditions de vie, d’oser sélectionner des objets, cela commande le sérieux et le respect de la démarche. Cela a été très fort chez tous les participants.”
En amont de ce travail, il y eut collecte et assemblage des objets par Nicole Bergé, artiste plasticienne

Comment ont-ils été choisis, ces citoyens ? “Il y a eu, il y a un an, un appel à projets lancés par le Mémorial. Ce qui nous a enthousiasmé, c’est que le groupe allait de 19 ans à 70 ans. La sélection, qui n’a concerné que quelques dizaines de volontaires, n’a pas été compliquée : on leur demandait qu’ils soient présents à tous les ateliers, pour découvrir l’histoire du camp, l’écriture, la découverte de la scénographie, la sensibilisation au graphisme, du montage de l’exposition également. C’était un vrai engagement où ils ont été associés à toutes les étapes.”
En amont de ce travail, il y eut collecte et assemblage des objets par Nicole Bergé, artiste plasticienne. Présente dès l’origine du projet de Mémorial, Nicole Bergé arpente depuis 25 ans ces étendues désolées ramassant sous ses pas les “déchets” rejetés par l’histoire du camp qu’elle trie et met en scène dans des installations d’une grande force d’évocation.

Charnières de portes, fils barbelés, culs de bouteilles, débris de vaisselle, lambeaux de chaussures, vestiges de jouets abandonnés... peuplent de leur multitude les espaces aujourd’hui désertiques du camp et nous font entendre les foules qui ont vécu la violence quotidienne de l’internement.
“Une aventure émouvante, où les regards et les récits s’entremêlent”
La présidente de région, Carole Delga, présidente de l’EPCC, s’est exprimée au sujet de cette expo : “Avec Objets de mémoires, le Mémorial démontre qu’il est un lieu ouvert sur le monde. En donnant la possibilité à dix citoyens de créer cette exposition, c’est une invitation à s’approprier l’histoire du site qui est offerte. En sélectionnant et mettant en scène près de 40 objets trouvés ou en relation avec le camp, chacun d’eux a eu l’occasion de plonger dans les réalités douloureuses de ceux qui ont vécu ici. La Région Occitanie adhère à ces valeurs de partage et de co-construction. Une aventure émouvante, où les regards et les récits s’entremêlent. Les visiteurs auront l’occasion de vivre une rencontre intime et humanisante avec l’Histoire, un moment à ne pas manquer.”
Olivier SCHLAMA
À lire également sur Dis-Leur !
Expo-événement : Les gens du voyage prennent leurs quartiers au Mémorial de Rivesaltes
P.-O./Catalogne : Mémorial de Rivesaltes, “navire amiral” d’un tourisme de mémoire