Historien et romancier, Daniel Crozes est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, tous publiés aux Éditions du Rouergue. Profondément attaché à son Aveyron natal, il s’en est fait tour à tour le chroniqueur et le conteur. L’écrivain du terroir aveyronnais explore l’histoire d’une région, qu’il retrace à travers différents genres, avec une égale rigueur. À partir d’archives inédites, de témoignages, il effectue depuis plus de trente ans un patient travail de mémoire.
Août 1914. Alors que l’armée allemande envahit la Belgique pour attaquer la France, Marianne Cancelier rallie Bruxelles afin de servir comme infirmière. Journaliste et féministe, militante révolutionnaire, meneuse de grèves en France et à travers l’Europe, elle combat depuis sa jeunesse les revers du capitalisme et l’injustice sociale.
Une héroïne qui exaspère les uns et fascine les autres
Et elle connaît bien la future capitale européenne pour y avoir vécu lorsqu’elle écrivait pour La Petite République, le quotidien des socialistes. C’est dans cette ville où affluent les blessés qu’elle apprend le décès de Clément Broussoux, l’homme de sa vie. Revenue à Paris pour organiser les obsèques et disperser les affaires de Clément, Marianne doit rapidement prendre une décision à l’approche des Allemands.
Elle décide de se replier en Aveyron, dans le domaine où son père et son grand-père, adeptes des idées de Charles Fourier, ont en leur temps rêvé de créer un phalanstère. C’est là qu’un journaliste, Vincent Chaumes, va l’interroger sur sa vie hors du commun et l’étonnante trajectoire de sa famille, de bourgeoise devenue révolutionnaire…
Comme à chacun de ses romans (lire plus bas), Daniel Crozes éclaire le destin d’un personnage issu de sa terre du Rouergue. Traversant avec aisance les époques et les milieux, l’auteur (nommé chevalier dans l’ordre des Arts et Lettres, en 2013) s’est ainsi imposé comme LE chroniqueur de sa terre natale. Au fil de ses ouvrages, on passe d’un rebouteux à un couple d’instituteurs dans les années 60, d’un adolescent amoureux à cette militante passionnée qui habite son dernier livre : “La femme du Diable.”
Inspirée d’une Grande Dame oubliée
La Marianne Cancelier de l’écrivain emprunte ses passions et ses engagements à la fascinante Antoinette Durand de Gros (1864-1924), née à Paris dans une famille d’origine aveyronnaise. C’est en 1870 (elle a donc 6 ans) que ses parents reviennent s’installer au domaine d’Arsac, à quelques kilomètres de Rodez.
Elle n’ira jamais à l’école, “mais sa famille engagea une institutrice anglaise pour son éducation, dont son père assuma l’enseignement de la langue française et ders sciences”, précise Daniel Crozes. Après s’être mariée, contre l’avis de son père, elle quitte la France pour l’Argentine avec l’intention d’y créer un phalanstère. L’expérience est un échec.
Elle revient en Aveyron, puis se partage entre Arsac, Paris et Bruxelles. A Bruxelles, elle collabore d’abord au Journal des Débats, qui lui reprochera des positions “trop socialistes”, puis devient correspondante de La Petite République. Elle consacre des chroniques au féminisme, aux “bagnes féminins”, aux sujets de société (Union libre, journée de huit heures…), ainsi qu’à l’Affaire Dreyfus, au pacifisme et à la guerre…
L’hommage de la presse britannique
“Adhérente du Parti socialiste révolutionnaire, Antoinette Durand de Gros représente l’Aveyron dans différents congrès et participe activement aux conflits sociaux qui éclatent à Decazeville, à Roquefort en 1907, mais aussi à Lens et à Parme (Italie) lors de la “grève du parmesan” contre les grands propriétaires terriens…” explique Daniel Crozes.
Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, “elle abandonne cependant le militantisme politique et syndical, exprimant notamment en 1921 sa profonde déception et ses désillusions devant les espoirs que la Révolution d’Octobre avait engendrés.” Elle meurt à 60 ans le 7 février 1924 dans une chambre d’hôtel à Londres. La presse britannique, qui l’avait désignée comme “la femme la plus dangereuse d’Europe” rendit cependant hommage à cette femme dont les robes étaient ceintes d’un rouge qui symbolisait “ses opinions et son tempérament volcanique !”
Philippe MOURET
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