Itinéraire : Alain Rollat, mémoire du centre du monde, entre Sète et Coustouges…

Alain Rollat avec son éditeur, à Escale à Sète. Ph.DR.

Sétois et catalan à la fois, Alain Rollat vient de publier Mémoires du Centre du Monde. Plume élégante, jalonnée d’humour et d’érudition, le journaliste est un entomologiste du microcosme politique (il a même mis le pied à étrier à un certain François Hollande !), doublé d’un humaniste qui distille ses réflexions sur la démocratie, sur les “vrais Sétois”… Il fut même pressenti pour emmener une liste aux élections municipales !

Le front plissé laisse soudain place à un sourire satisfait. On ne sait la teneur de l’échange mais ce contentement est apparu après qu’il a allumé la cigarette maïs avec cet ouvrier du Livre, ex-rouage tout-puissant des imprimeries de journaux, capables, jadis, de mettre un quotidien à genoux, en cas de conflit avec la direction. Pour Alain Rollat, il n’y a pas les importants et “la masse des autres”. C’est un journaliste habité, soucieux de comprendre l’autre. Du matin au soir. L’altérité l’attire. Les ressorts humains, c’est son chemin. L’empathie le rend sympathique. Et la puissance de ses analyses n’en est pas moins redoutable. C’est une butte-témoin d’une histoire médiatique où travailler au journal Le Monde impliquait des devoirs au moins aussi grands que ses droits.

Passe-muraille, observateur hors pair

Chaque personne est un monde. Passe-muraille, observateur hors pair, portant étique et déontologie en bandoulière, le séto-coustougien n’a pas son pareil en entomologie humaine. La cigarette maïs, c’était justement dans les coulisses obombrées du grand Quotidien du Soir, à l’époque des “événements” de la fameuse grotte d’Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie, au printemps 1988, qui déboucha sur un référendum dans un contexte politique très tendu. Pas besoin de référendum autour de soi : Alain Rollat, qui nous livre chaque mois, une chronique littéraire humaine, sincère, charpenté et lumineuse, faisant l’unanimité. Même les livres édités à compte d’auteurs y ont droit de cité.

Réflexions sur la démocratie

Alain Rollat, à Coustouges. DR.

Chaque maison est un monde. Entomologiste du microcosme politique comme, entre autres, plume au Monde (1977-2001), Alain Rollat ne s’est jamais laissé emporter par ses émotions. Sa lutte fut inlassable contre le Front national – lire l’affaire Lambert ! C’est une âme profonde qui sut faire accoucher des gorges profondes. Superbement écrits, Les Mémoires du Monde, son dernier ouvrage, matérialisent ses “bittes d’amarrage” : Sète et Coustouges dessinant une géographie à la fois personnelle et universelle, qui parle à tous. Il faut lire ses réflexions sur la démocratie. Rollat, c’est l’anti-paraître.

Le pied à l’étrier à François Hollande…!

Chaque village est un monde. À Coustouges, dans les P.-O., où, dit-il, “je me suis toujours senti en osmose avec ces rouisseurs qui s’acharnaient à séparer le bon grain de l’ivraie”, allégorie de son métier de journaliste “diseur de vérités”, c’est son point d’ancrage à la réalité du terrain. Tout en étant “faiseur” de rois. N’a-t-il pas mis le pied à l’étrier à François Hollande…?! Quand il décoche ses flèches, c’est toujours avec élégance, comme avec Edwy Plénel, le créateur de Médiapart, et avec lequel il eut écrit des livres : “Je regrette, en revanche, que ce cher Edwy ait succombé à la tentation de devenir un acteur politique au lieu de continuer dans son sillon de journaliste d’investigation”…

D’observateur de la politique nationale à élu de village

Dans le même temps qu’il côtoie l’acmé des entrelacs de la politique nationale, si florentine, il dévoile ses réflexions les plus intimes, son parcours de vie et son expérience professionnelle si exaltante. Le tout, vu depuis son expérience de citoyen et même… d’élu ! Ses souvenirs professionnels forcent l’admiration. De la locale de Midi Libre de Perpignan où il fit, grâce à ses “papiers” indiscutables comme celui qui “rétablit” un marchand de fioul dans ses droits face à un concurrent malhonnête. De là, ce fut la promotion à l’agence parisienne du quotidien ; puis Le Monde.

“Je n’ai jamais été passionné par les débats à la mode sur les “questions identitaires”. Je les trouve dérisoires…”

Alain Rollat à Escale à Sète. Ph. DR.

Chaque communauté est un monde. Pendant ce temps, à Coustouges, dans le Vallespir, entre Canigò et Méditerranée, Alain Rollat fait l’apprentissage de la culture catalane avec ses “guides” pour connaître, au-delà des apparences, ce village d’où est originaire son épouse Josy. On y apprend foultitude de choses dans sa version palimpseste, révélatrice : on y capte tout l’envers du décor ! Certes, à l’époque, on respectait davantage les élus autant par gymnastique intellectuelle que par l’aura que conférait le suffrage universel. Le travail bien fait, la belle ouvrage, la ténacité contrebalançaient.

Jamais de sujets périphériques chez Rollat, même quand il évoque ses centres du monde. A Sète, patrie de Paul Valéry et d’autres sangs mêlés, y compris italiens et espagnols, les débats sur les “vrais sétois” agacent, courroucent, énervent le journaliste-écrivain. “Je n’ai jamais été passionné par les débats à la mode sur les “questions identitaires”. Je les trouve dérisoires…”, écrit-il. Ou comment fermer élégamment la porte de la polémique stérile.

Remugle palpitant d’une époque aux joies simples

“Mon identité est plurielle, polycuturelle, universelle ; elle ne se découpe ni en tranches géographiques, ni en tranches culturelles (…) Je suis un homme, donc je suis tous les hommes”, philosophe Alain Rollat, lui-même pluri-(dé)raciné au gré des nombreux voyages familiaux de son enfance, dus aux affectations de son père, militaire. “La nation française, citant encore Valéry dans le texte, fait songer à un arbre greffé plusieurs fois dont les fruits résultent d’une heureuse alliance de sucs et de sèves très divers concourant à une même et indivisible existence.”

Sète est un monde. L’Île Singulière, à l’instar du poète Paul Valéry, est pour lui une solide “bitte d’amarrage”. Rollat est né par “accident” à Montpellier, à cause de la Seconde Guerre mondiale et lui-même a fait le Prytanée militaire. Mais c’est un vrai Sétois, dussions-nous en appeler à toute sa famille côté maternel qui était établie dans une baraquette traditionnelle sur les premiers arpent du Mont Saint-Clair. Il faut lire ces si beaux passages sur la vie “authentique” à Sète à l’époque. Pas de souvenirs rancis comme beaucoup auraient pu mettre en avant ; pas de “c’était mieux avant”. Mais le remugle palpitant d’une époque aux joies simples.

Sète “miroir aux alouettes” pour touristes

Vue depuis la rampe des Arabes, à Sète.  Ph. Olivier SCHLAMA

Chaque ville attractive est un monde. Rollat, en “pur Sétois” sait aussi égratigner ce que la ville est devenue, celle qui a produit les par trop célèbres Brassens, Di Rosa (dont le cheminement vers la rétrospective à Beaubourg, actuellement, est une honte tellement elle est impossible à trouver), Vilar, Manita de Plata, Combas, etc. Devenue “miroir aux alouettes” pour touristes et autres “estrangers“. Leur présence de plus en plus forte renforce de facto le sentiment de supériorité des Sétois installés de plus longue date… Il définit aussi les drolatiques syndromes de l’arapède et du bernard-l’ermite…! Ou encore celui du gobi… Et souligne que le côté idyllique vanté par les feuilletons télé ne résiste pas à la réalité de la vie au quotidien.

Enfin, Alain Rollat – qui avait été démarché pour mener une liste aux municipales ! – débusque une vérité : “Je trouve regrettable que la ville de Sète se complaise dans l’occultation de la part d’histoire qu’elle doit à l’Afrique du Nord, en particulier à l’Algérie alors que celle-ci a contribué à faire sa prospérité à l’époque coloniale. Il suffirait de pas grand-chose pour honorer la mémoire des dizaines de jeunes alégériens qui sont morts, au 19e siècle pour rendre la vie des premiers Sétois plus confortable”...

Honorer les forçats algériens de la rampe des Arabes

Chaque hommage fait du bien au monde. D’autant que ces forçats africains ont légué une trace bien visible de leur séjour : la fameuse “Rampe des Arabes”, jadis appelée mystérieusement Rampe des Bédouins. Tous ces Arabes, condamnés pour des presque rien aux travaux forcés, ont fini, oubliés, “dans la fosse du temps”“Ajoutons, recommande Alain Rollat, une 3e plaque pour ces forçats algériens”, à côté des deux inscriptions commémoratives, celle des exilés espagnols, en juillet 1939, et le passage mémorable de l’Exodus, le bateau de l’espoir juif en route pour le futur État d’Israël. L’union des peuples et des souffrances dans la même pierre. Pour en faire un troisième centre du monde.

Olivier SCHLAMA

  • Cap Béar Editions, 18 €.

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