Humanitaire : “Les Burkinabé nous touchent par leur bienveillance”

"L'école dans ce pays n'est pas forcément ancrée dans les moeurs, explique Mina Navarro. Dès qu'ils le peuvent, les enfants aident plutôt leurs parents à vendre quelques produits au marché, par exemple. C'est la première fois que je vais en Afrique. Je m'attendais à quelque chose de fort et j'ai vécu quelque chose de fort." Photo : DR.

C’est un voyage lointain. Qui vous plonge aux confins d’un autre univers. Et un voyage intime. L’humanitaire n’est pas charité pour Mina Navarro. Montpelliéraine de 19 ans, la jeune femme, étudiante en ethnologie, a accompagné les fondateurs de l’association Denro, à Koudougou, au Burkina Faso, où ils ont créé une école sports-études. Retrouvez également son carnet de voyage, ci-après, Dix jours de rencontres au Burkina Faso.

Sur la photo, les murs du village ne sont pas rutilants. Les sourires de ces femmes, eux, rutilent. Elles vendent des fruits éclatants. Iconique paradoxe. La terre y est ocre et les échanges colorés. Etudiante en ethnologie, Mina Navarro a beaucoup photographié à Koudougou, au Burkina Faso, où elle s’est rendue du 26 octobre au 5 novembre, en compagnie des fondateurs de l’association humanitaire Denro, basée à Montpellier. Cette association y a construit une école du nom de Hugonnet où prennent place gratuitement 170 enfants, principalement de milieux très défavorisés.

C’est la première fois que je vais en Afrique. Je m’attendais à quelque chose de fort et j’ai vécu quelque chose de fort.”

Mina Navarro

“L’école dans ce pays n’est pas forcément ancrée dans les moeurs, explique Mina Navarro. Dès qu’ils le peuvent, les enfants aident plutôt leurs parents à vendre quelques produits au marché, par exemple. C’est la première fois que je vais en Afrique. Je m’attendais à quelque chose de fort et j’ai vécu quelque chose de fort.” Mina Navarro ajoute : “Les gens sont naturellement touchants. C’est très différent de ce que l’on a l’habitude de vivre chez nous. Dans leurs rapports à l’autre, il n’y a pas de calcul. Ils nous touchent par leur bienveillance et c’est quelque chose d’universel que nous avons perdu…”

Les échanges sont riches. On en revient transformée. Et je pourrais parler de l’Afrique en toute connaissance de cause.”

Mina Navarro. Photo : DR.

“Ce n’est pas de la charité, insiste-t-elle. Bien sûr, je m’étais interrogée sur cet aspect-là : créer une école en Afrique est-ce que cela ne participe pas de la reproduction du modèle occidental…? Eh bien non. De vrais échanges s’établissent. Ils sont très généreux. Quand il a fallu que l’on vienne nous chercher au fin fond de la brousse parce que notre voiture était en panne, quelqu’un l’a fait. On nous a guider et montré le pays gratuitement. humains Plus généralement, les échanges sont riches. On en revient transformée. Et je pourrais désormais parler de l’Afrique en toute connaissance de cause.”

Le principe est simple : pour 20 euros par mois, on peut parrainer un enfant pour l’année. Actuellement, 170 enfants sont scolarisés dans notre école.”

Denise Fernandez, association Denro.

Denise Fernandez est cofondatrice de l’association Denro. “Nous avons créé, dit-elle, cette association en 2012 pour financer une école sport-études, agréée par le gouvernement burkinabé. La première rentrée a eu lieu en 2014. Nous avons trouvé le budget grâce aux dons et aux parrainages. Le principe est simple : pour 20 euros par mois, on peut parrainer un enfant pour l’année. Actuellement, 170 enfants sont scolarisés dans notre école.”

Les parents des enfants scolarisés participent d’une manière ou d’une autre au fonctionnement de l’école. Ils font des menus travaux. Nettoient. Arrosent. Ensuite, nous participons à l’économie locale : nous y avons treize salariés.”

C’est très important pour ce pays parmi les plus pauvres de la planète et qui vit une explosion démographique. Et qui ne peut imaginer s’en sortir que par l’éducation. Pour créer des élites et espérer une économie plus solide à l’avenir. “C’est un pays où il n’y aucun touriste”, précise Denise Fernandez. Elle insiste à son tour : “Ce n’est absolument pas sur un mode de charité que nous fonctionnons.” C’est de la co-construction. “Les parents des enfants scolarisés participent d’une manière ou d’une autre au fonctionnement de l’école. Ils font des menus travaux. Nettoient. Arrosent. Ensuite, nous participons à l’économie locale : nous y avons treize salariés.”

Olivier SCHLAMA

  • L’association Denro, qui recherche des parrains, organise le 11 mai 2019, à Montagnac, au centre socio-culturel, une soirée solidaire avec repas et musique. Contact : ICI.

Dix jours de rencontres au Burkina

Voici le carnet de voyage de Mina Navarro : un kaleidoscope de sentiments et de partage à Koudougou.

“L’association Denro présentait le séjour comme un “voyage solidaire”, l’occasion de pouvoir aider sur le terrain. Dès le décollage les choses sont claires, il n’est pas question ici de charité. Les Américains, eux, appellent cela “service trip“, nous appellerons notre voyage : une rencontre.”Elle décrit : “Déambulants dans le joyeux brouhaha de l’arche marchande de koudougou, on nous interpelle par des : nasara (blancs). Ces femmes s’appliquent à parler le français pour nous vendre des légumes. Elles sont postées là depuis le matin et leurs mains n’ont pas cessé d’emballer, de couper, de tendre. En plus d’un sachet de tomates nous emportons pour quelques francs français, leur rire fort et lumineux mêlé à l’agitation du marché…”

Le chef est un médiateur

Devant nous, la cour du chef à des allures de scène de théâtre. Le décor suffit à imaginer la scène. Avec ses gros yeux en argiles, une statue nous surveille. L’importance que les burkinabés accordent au chef, alors même que sa position politique n’est plus reconnu par l’État, se ressent de façon immédiate à la manière dont est construite son assemblée. Le chef est un mediateur, accessible par de simples escaliers mais sur lequel repose l’unité du peuple burkinabé.

Poteau rouillé comme terrain de jeu

S’impose une scène de la vie courante : “La grande sœur de Samuela ne parle pas. Elle porte sa petite sœur sur son dos. Parfois, elle se penche d’un côté ou de l’autre en faisant mine de tomber et Samuela rit aux éclats. Rien ne prédisposait ce poteau un peu rouillé à devenir un jeu pour enfant. Pourtant, ce fut assez pour les deux petites filles qui passèrent plus d’une heure à se faire tourner autour inlassablement jusqu’à ce que le soleil se couche et qu’il soit l’heure de rentrer.”

Le foot, une religion

Un peu loin, c’est un match de foot entre jeunes qui attire l’attention de Mina. “C’est sous le soleil cuisant de fin d’après midi que le match vient de commencer. Les chaussures balayent la terre en créant des nuages de fumée rouges. Les ballons s’usent vite ici. Tout le monde joue au foot. Les enfants le pratiquent dès leur plus jeune âge à l’école et à l’exterieur. Ce sport a une importance quasi religieuse au Burkina Faso. Il représente un fort vecteur de cohésion sociale.”

Une croix sur la pommette, la marque des Mossi

La société burkinabé repose sur les ethnies. “Sur la pommette de Maryam se dessine une petite cicatrice en forme de croix. C’est la marque des Mossi. Les burkinabés se séparent en sept ethnies plus ou moins mélangées sur le territoire. Lorqu’on les questionne sur la leur, il revendique en riant sa superiorité. Et si nous avons le malheur d’être en présence de deux individus d’ethnies différentes, s’engage alors un afflux de plaisanteries afin de discréditer l’autre…”

Le regard au ciel, elle rit en chantant le Halleluja…

Dimanche matin. La messe vient de commencer dans la petite Eglise de Koudougou. Des vieilles dames appuyées sur leurs cannes aux nouveaux-nés endormis dans leurs tissus, tout le monde a revêtu sa plus belle tenue. Au milieu de la rangée, une robe d’un vert vif drape une vieille dame silencieuse. La musique débute et la maîtresse de cœur commence à se lever pour chanter. Elle l’imite en se levant difficilement. Soudain, la voix profonde du cœur résonne et son regard s’illumine. Elle se met à crier de joie en secouant les mains au dessus de la tête. Elle n’est plus ni vieille, ni malade, ni fatiguée. Le regard au ciel, elle rit en chantant le Halleluja…”

Ici, pas de péridurale, d’étriers, pas de machines ni de tubes accrochés aux pieds des nouveaux-nés…

Explosion démographique mais des salles d’accouchement démunies. “En entrant dans cette petite pièce aux parois bleues, rien ne traduit le fait que nous venons d’entrer à l’endroit où tout commence. Ici pas de péridurale, d’étriers, pas de machines ni de tubes accrochés aux pieds des nouveaux-nés. Alors pour parer aux difficultés du manque de matériels, on s’attend à rencontrer des sages-femmes extraordinaires, des êtres humains hors normes.
Mais non. Ce sont des femmes comme les autres. Avec le même regard, la même force et ce même sourire aux lèvres quand elles nous racontent comment elles ont sauvé la vie d’un enfant le matin même. Et une chanson se met à tourner comme un murmure : “Qu’est ce qu’on peut bien faire juste après… ?”

Les pieds dans les récoltes d’arachides…

Dans un pays aussi vif et brûlant que le Burkina Faso, le silence est étranger.
C’est pourtant lui qui couvre les grands espaces agricoles du petit village de Denro. Nous sommes à deux heures de route de toute agglomération et ici il n’y a ni eau ni électricité. Entre les maisons de terre grise, un groupe d’enfants nous observe à moitié cachés. Nous rencontrons le patriarche de la famille dans sa maison, autour de laquelle ses enfants ont bati la leur. Il insiste pour que nous voyions leurs récoltes, posées sur le toit. Les pieds dans les récoltes d’arachides nous surplombons le petit village qui forme comme un labyrinthe perdu au milieu des plaines sèches du Burkina profond.”

Sankara, un cri de révolte

Beaucoup de burkinabés associent l’assassinat de l’ancien président Thomas Sankara au dictateur Blaise Compaoré qui, épaulé de la France de Mitterand, récupera le pouvoir en 1987.
Le nom de Sankara s’apparente aujourd’hui à un cri de révolte. Un souffle d’éspoir dont se souvient le Burkina Faso et qui devint un symbole de liberté (1).

L’heure de rentrer en classe…

En repensant à ces sourires qu’on nous a donnés sans rien attendre en retour, on peut se demander comment y repondre. Qu’est ce que nous avons, nous, à leur donner ? C’est la question que Denise et Romuald, les fondateurs de l’association Denro se sont posée. Alors, ils ont commencé par cette école. Ici, les enfants issus de familles pauvres peuvent suivre gratuitement le même enseignement que les autres. Grâce aux dons et aux parrainages de l’association, c’est 170 enfants qui ont pu faire leur rentrée cette année.
C’est ici que le voyage se termine pour nous et que tout peut commencer pour eux. La maîtresse appelle les enfants. C’est l’heure de rentrer en classe.”

Mina NAVARRO

(1) Sankara, un symbole de liberté (ICI son discours de 1984 à l’ONU)