Hautes-Pyrénées : Comment ses 300 000 habitants ont pu bénéficier de la fibre gratuitement !

À la fin de l’année, l’ensemble des foyers de ce département seront raccordés. Et cela n’a pas coûté un euro au contribuable grâce à un contrat inédit avec Orange. Redoutable négociateur, Michel Pélieu explique comment cela a été rendu possible. Directeur régional d’Orange, Nicolas Brochot souligne tout ce que cette transformation numérique apporte de positif à l’économie et à la vie quotidienne.

Le département des Hautes-Pyrénées sera totalement raccordé à la fibre en fin d’année. Et, pour cela, la collectivité n’a pas dépensé les quelque 300 M€ qu’elle aurait dû investir pour raccorder l’ensemble de ses 470 communes et ses quelque 300 000 habitants, parfois isolés ! Redoutable négociateur, Michel Pélieu a réussi un tour de force en 2018 quasi-unique dans l’histoire. Jusque-là, les Hautes-Pyrénées avait eu recours à un opérateur, filiale de Bouygues, Axione, dans le cadre d’un coûteux partenariat public-privé : quelque 800 abonnés à ce jour, notamment des entreprises, pour un investissement de plusieurs millions d’euros. Cher, même si en 2032, ce réseau appartiendra de plein droit au département.

Ce déploiement s’est fait sans que cela ne coûte un centime au contribuable des Hautes-Pyrénées. Le contrat est exceptionnel, inédit. C’est le fruit d’une longue négociation avec le président d’Orange”

Michel Pélieu, président des Hautes-Pyrénées

Avec Orange, on passe dans une tout autre dimension. Michel Pélieu opine : “Il reste quelques points à raccorder mais l’ensemble des 470 communes sont desservies et tous les foyers seront raccordés d’ici la fin de l’année. Ce qu’il faut retenir, c’est que ce déploiement de la fibre s’est fait sans que cela ne coûte un centime au contribuable des Hautes-Pyrénées. Le contrat est exceptionnel, inédit. C’est le fruit d’une longue négociation avec le président d’Orange et le directeur régional d’Orange. En Occitanie, nous sommes le département le plus en avance dans ce domaine. La plupart des départements financent à 70 % le déploiement et sollicitent 30 % du coût auprès des intercommunalités de leur territoire.”

“Que la fibre soit la plus utile possible pour les utilisateurs”

Un technicien de la fibre chez Orange. Ph. DR

Mais les contraintes budgétaires sont devenues très importantes et ce déploiement, dans la plupart des départements ne va pas aussi vite que prévu. Pas dans les Hautes-Pyrenees. “Maintenant qu’elle est déployée, souligne Michel Pélieu, il faut faire en sorte que la fibre soit la plus utile possible pour les utilisateurs des Hautes-Pyrénées. On ne peut pas intervenir directement dans le monde économique mais nous faisons en sorte de le faire auprès des collectivités, les aider à mieux s’équiper et mieux utiliser la fibre.”

Cela peut, accessoirement, favoriser jusqu’à la création d’entreprises et d’espaces de coworking. Surtout dans “le monde rural”. “Cela facilite aussi la vie des gens qui vivent à Toulouse et qui ont une résidence qui était jusque-là secondaire dans les Hautes-Pyrénées et qui pourront désormais faire du télétravail. C’est donc générateur d’installations de familles dans le secteur rural”, avance Michel Pélieu.

Des capteurs sur les conteneurs de déchets pour savoir s’ils sont plein, vides, à moitié-plein. S’il faut ou non le relever. Cela permettra d’en optimiser la gestion…”

Car l’outil fait l’usage, confirme le président des Hautes-Pyrénées : “Grâce à la fibre, on a pu mettre en place des téléconsultations pour les pensionnaires d’une maison de retraite au nord du département plutôt que d’amener le patient à Tarbes dans un cabinet médical. Cela fait des économies aussi. Ce que l’on essaie de voir, en dehors d’Orange, c’est comment on peut au niveau départemental, c’est comment on peut favoriser la gestion des déchets. Par exemple, en ayant des systèmes de connexion aux conteneurs de déchets pour savoir s’ils sont plein, vides, à moitié-plein. S’il faut ou non le relever. Cela permettra d’en optimiser la gestion. Et avoir moins de déplacements.” Certaines applications ne sont pas encore connues aujourd’hui.Mais à l’heure de l’IA, il faut bien connaître toutes les nouvelles technologies pour être plus efficace.”

Les intercommunalités préservent leurs finances

Michel Pélieu, président du département des Hautes-Pyrénées. Photo DR

À l’arrivée de Michel Pélieu à la tête de la collectivité, c’est donc un contrat inédit qu’il a réussi à offrir à tous les habitants : la fibre pour tous sans un seul euro à dépenser. “Le réseau sera totalement complet d’ici la fin de l’année 2025. Nous n’avons que des retours positifs”, confie Nicolas Datas, maire du Tournay. Le conseiller départemental de la vallée de l’Arros et des Baïses et président de la régie Haut débit numérique des Hautes-Pyrénées, ajoute qu’il reçoit aussi “des retours très positifs des intercommunalités” qui n’ont pas besoin comme c’est le cas ailleurs de mettre la main à la poche. Et pour cause. “C’est autant d’argent qu’elle peuvent continuer à sortir pour continuer à investir, ce qui n’est pas anodin dans l’époque de restrictions actuelles. Dans le Gers, par exemple, chaque intercommunalité a dû payer 10 M€ par an pour un tel réseau.”

Pourquoi est-ce si important d’avoir un département rural comme celui-ci proposant la fibre, c’est-à-dire le très haut débit, à 100 % des foyers ? Pour apporter au passage “des répercussions économiques, chantiers et emplois directs et induits; Une révolution digitale d’un grand nombre d’activités économiques et administratives”.

“Mettre tous les Français au même niveau”

Au-delà des économies, sensibles, réalisées, “cela permet de mettre tous les Français au même niveau. Ce n’est pas plus ou moins important à Toulouse ou Montpellier. C’est une nécessité. Chaque territoire doit pouvoir bénéficier des mêmes réseaux. C’est ce à quoi nous nous sommes employés.” Celui qui parle c’est Jean-Christophe Arguillère, à l’époque directeur régional d’Orange lors de la signature du contrat, d’un contrat rare qui ne concernera que “les Hautes-Pyrénées et le Territoire de Belfort”, souligne Michel Pélieu, président du département. Un gros contrat qui n’a, certes, pas coûté 300 M€ à Orange qui préfère rester discrète sur cet “investissement sur fonds propres” (lire ci-dessous)

Les Hautes-Pyrénées bénéficient d’un réseau de très grande qualité. C’est l’Arcep qui le dit, pas Orange, avec le taux de raccordement le plus fiable et le taux de pannes le moins élevé au niveau national”

Nicolas Brochot, directeur régional d’Orange

De son côté Nicolas Brochot, directeur régional d’Orange, consent à dire que ce contrat, assumé seul par Orange, a coûté la bagatelle de “plusieurs dizaines de millions d’euros. Pour ne pas dire plus. Ce sont des investissements colossaux. C’est un enjeu notamment dans les usages. Même si on parle beaucoup de cloud, de services dématérialisés, tout cela repose sur des infrastructures essentielles. Dans le monde du numérique, on a tendance à faire l’apologie du monde du logiciel, du software en général. Pour autant, les plus gros investisseurs, ce sont bien les opérateurs d’infrastructures, télécom en particulier”. Aujourd’hui, “Orange accompagne plusieurs départements d’Occitanie avec des Réseaux d’initiative publique, notamment le Gers, l’Aveyron, le Lot ou la Lozère, l’Ariège. On y est présent de manière différente des Hautes-Pyrénées.

Nicolas Brochot direct Orange Occitanie

Quant à l’expérience utilisateur, “le département des Hautes-Pyrénées bénéficie d’un réseau de très grande qualité, souligne Nicolas Brochot. C’est l’Arcep {autorité de régulation des communications, Ndlr} qui le dit, pas Orange, avec le taux de raccordement le plus fiable et le taux de pannes le moins élevé au niveau national. C’est de bon augure pour cela. On n’est pas encore complètement au rendez-vous de l’adoption du haut débit. C’est tout le sujet. On organise la “fermeture” du cuivre à l’horizon 2030. Il y a déjà 57 % des communes embarquées dans les Hautes-Pyrénées dans cette fermeture et 18 communes ont fermé commercialement fin janvier : on ne peut plus y commander de l’ADSL traditionnel dans les boutiques ou ailleurs. Il y a maintenant à mettre en place une dynamique vers le haut débit. Il faut remplir les réseaux. On a tous du travail”.

Permettre aux PME, aux artisans des Hautes-Pyrénées, en l’occurence, de booster leur activité ; permettre à des entreprises locales, aux producteurs de pouvoir vendre en ligne, d’accéder à des plateformes de gestion de stock”

Nicolas Brochot, directeur régional d’Orange

Qu’est-ce que cela apporte à Orange ce genre de contrat avec les Hautes-Pyrénées, hormis les abonnements à venir des box ? “Nous sommes un opérateur numérique responsable. La fibre optique c’est bien davantage qu’un progrès technologique ; c’est potentiellement un catalyseur de transformation qui peut toucher tous les aspects de la vie locale. Nous avons un rôle-clef en accompagnant les entreprises et les citoyens dans une transformation numérique efficace et inclusive. Déjà, la fibre consomme trois fois moins d’énergie que le cuivre. Pour les entreprises, il y a un enjeu de compétitivité, d’attractivité : permettre aux PME, aux artisans des Hautes-Pyrénées, en l’occurence, de booster leur activité ; permettre à des entreprises locales, aux producteurs de pouvoir vendre en ligne, d’accéder à des plateformes de gestion de stock en temps réel.”

Hôtels, gîtes, Pic du Midi, zone Pyrène Aéro-Pole…

Le Pic du Midi, dans les Hautes-Pyrénées. Photo : Olivier SCHLAMA

Le dirigeant d’Orange poursuit : “Des villes comme Lourdes, avec des offres touristiques très importantes, avec des hôtels, des gîtes, etc. Eh bien la fibre peut permettre des services connectés, des réservations plus fluides, adresser des clients internationaux, etc. Il y a des sites comme le Pic du Midi qui peuvent déployer des expériences immersives qui pourront en tirer partie. C’est une question d’attractivité. Au-delà du très haut débit, Orange veut accompagner les usages. Evidemment, le télétravail, le travail collaboratif, le développement des start-up (il y en a beaucoup qui se développement dans la tech. Et il n’y a pas qu’à Montpellier ou à Toulouse que ça se passe. Il y a, par exemple, la zone Pyrène Aéro-Pole de Tarbes, une zone importante dans le secteur de l’aéronautique et de l’industrie 4.0.” 

“Émergence de territoires intelligents”

Intervention technicienne Orange. Ph. DR

Pour Nicolas Brochot, l’avènement de la fibre généralisée est aussi source d’amélioration des services publics. “Nous avons à répondre à un enjeu de modernisation des administrations ; à mettre en place une gestion intelligente des territoires. Et, au-delà, la fibre ouvre la voie à l’émergence de territoires intelligents. On peut avoir des systèmes avec des capteurs connectés et voir en temps réel ce que donnent des tournées de ramassages d’ordures grâce à l’IA, tout cela au bénéfice d’une baisse des coûts pour les collectivités et les citoyens. C’est aussi un meilleur service et une moindre empreinte carbone. On a besoin de travailler tous ensemble dans cet écosystème.”

Est-ce, finalement, le principal chantier pour Orange ? “Aujourd’hui, on a plusieurs chantiers, confie encore Nicolas Brochot. Un premier est d’aller au bout des infrastructures pour le très haut débit. On a un mix technologique à l’oeuvre chez Orange. Accompagner les territoires intelligents et soutenir l’innovation numérique dans les services publics, entreprises, les domaines de la santé et de l’éducation pour en faire un progrès. On amène aussi la 5 G du réseau mobile qui monte en puissance cette année dans les territoires, avec l’ouverture services à valeur ajoutée, notamment pour les objets connectés. Et il y aussi le satellite qui fait partie des solutions.”

Olivier SCHLAMA

“Michel Pélieu est un très bon négociateur…”

Michel Pélieu. Ph. DR

En 2017, quand Jean-Christophe Arguillère propose au président Pélieu de lui fibrer – une partie, à l’époque – du territoire, il n’y croyais pas. “Il était empêtré dans des réseaux locaux, qui avaient été décidés par son prédécesseur, pour lesquels il avait des sommes importantes à payer. Il ne voyait pas comment budgétairement il allait pouvoir fibrer tout ce territoire.” Il s’est même demandé si la proposition d’Orange était vraie !

“On était dans une période où Orange investissait sur fonds propres pour couvrir de 70 % à 80 % des grandes agglomérations de France. Mais ce n’était pas prévu au départ dans les zones rurales  : on était ok pour raccorder Tarbes mais pas au-delà. Habituellement, on attendait les appels d’offres dans des départements pour postuler et se voir attribuer au moins une partie des équipements en France (et encaisser accessoirement aussi les abonnements qui en découlent et la location du réseau à d’autres opérateurs, Ndlr). Mais il y a eu quelques territoires qui se sont regroupés comme le Grand Est et que nous avons perdus lors de ces appels d’offres. On s’est dit que si on voulait continuer à être un réseau important, il fallait aussi investir dans quelques territoires sur fonds propres.” Dont les Hautes-Pyrénées.

“Il a vraiment mouillé la chemise pour que Orange n’abandonne pas ce projet crucial pour ce département”

La fibre d’Orange même en montagne. Ph DR

Mais, reconnaît Jean-Christophe Arguillère, “Michel Pélieu est aussi un très bon négociateur qui a su saisir l’occasion qui se présentait : pendant des mois, je l’ai vu chaque semaine pour parler de ce gros projet qui est celui de son mandat. Il voulait savoir comment nous allions nous y prendre, le cadencement, etc. Il était présent à toutes les réunions de pilotage ; qui y a fait venir le préfet ; qui, même dans l’opérationnel, débloquait des situations où il y avait des soucis dans tel ou tel village : il appelait le maire. Il a vraiment mouillé la chemise, y compris pour que Orange n’abandonne pas ce projet crucial pour ce département. En France, au final, il y a eu très peu de territoires comme les Hautes-Pyrénées à bénéficier de tels investissements d’Orange. Nous, on avait besoin de trouver des territoires où investir et Michel Pélieu avait besoin de concrétiser ce projet.” Du gagnant-gagnant.

O.SC.