Graffitis / Antigraffitis : “Sur les murs de mon ennui, j’écris ton nom…”

Reproduction d'une oeuvre de Balksy réalisée en 2011 sur un mur de Clipstone Street, elle souligne l’importance du street art et critique son interdiction. La création a d’ailleurs failli être effacée par le Conseil municipal de Westminster, mais une campagne lancée par les habitants du quartier a permis de la conserver. À présent, elle est recouverte d’un film de Plexiglas, qui a malheureusement été recouvert de plusieurs tags. Plus d'infos : https://lepetitjournal.com/londres/marchez-sur-les-pas-de-lartiste-banksy-londres-275637

Tags, graffs et autres modes d’expression sur les murs des villes désobéissent aux règles communes dans l’espace urbain et apparaissent souvent comme une violence au regard de nombre d’habitants. Et ce non-respect de la propriété – privée et publique – provoque un certain malaise, voire même la colère et l’indignation entraînant une réponse systématique des collectivités. Deux artistes toulousains s’interrogent sur “l’évolution des politiques urbaines étudiées sous le prisme des graffitis et de leur répression” dans un livre : “Antigraffitisme – Aseptiser les villes, contrôler les corps”, aux éditions Le passager clandestin.

Le graffiti a une histoire. Une histoire qui n’a rien à envier à l’art le plus conventionnel. Le fait est d’ailleurs attesté par les archéologues qui y voient les “témoignages laissés dans la pierre par opportunité ou conjoncture, tant comme œuvre artistique ou esthétique que comme témoignage historique…”  ainsi que le soulignait l’exposition “Histoire(s) de graffitis” du Centre des monuments nationaux, au château de Vincennes en 2018.

Ces témoignages populaires, au même titre que les graffitis actuels, disent quelque chose de la société dont ils ont recouvert les murs. Ainsi qu’en attestent, par exemple, les gameux graffitis antiques découverts sur les murs de Pompeï, qui ont notamment permis de réviser la date réelle de l’éruption du Vésuve qui a détruit cette cité, en 79 ap. J.-C.

les couleurs de la rue (archive) Photo DR

L’inscritpion devenue “le symptôme d’une dépression morale”

Mais comme le soulignent les auteurs du livre “Antigraffitisme”(en vente dès ce 20 janvier 2023) : “Pour beaucoup de détracteur·ices, l’inscription illégale s’oppose à un ordre visuel «sain» et «sûr». Elle est une tâche qui salit depuis longtemps l’image de l’autorité publique et menace son contrôle sur la ville. La répression des graffitis a une histoire, des théoricien·nes et des méthodes. Elle est liée à un héritage de la censure, mais aussi à une idéologie politique de discipline du «corps urbain». À travers cette métaphore, l’urbanisme a apposé un champ lexical médical aux manières de vivre et de se comporter en ville. L’inscription est alors devenue le symptôme d’une dépravation morale, d’une pathologie susceptible de contaminer les espaces urbains…”

La loi et l’action des collectivités

Alors que dit la loi aujourd’hui ? “S’il n’en résulte que des dommages légers, la peine maximale pour avoir fait un tag ou un graffiti est une amende de 3750 € et un travail d’intérêt général. Cette dernière peine peut consister en la réparation des dégâts causés sur un équipement public (…) En cas de dommage important, un tag ou un graffiti est puni jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende.” (https://www.demarches.interieur.gouv.fr/particuliers/vandalisme)

Archive;. Photo DR

Et les communes s’équipent d’un matériel toujours plus sophistiqué afin de faire disparaître au plus vite ces marques, que ce soit sur le domaine public ou chez des propriétaires privés; Ainsi, la communauté de communes de l’Albigeois (Tarn) “propose aux propriétaires (résidant dans les 16 communes de l’agglo) de procéder à l’enlèvement gratuit des tags sur les murs et façades…” (lire plus bas)

Dans l’espace urbain, cette lutte est quotidienne. Mais ne s’agit-il que d’une nouvelle forme de jeu du gendarme et du “voleur”, ou les enjeux sont-ils plus profonds ? C’est là dessus qu’ont enquêté, travaillé, creusé, les deux auteurs (*) du livre Antigraffitisme (aseptiser les villes – contrôler les corps), Jean-Baptiste Barra et Timothée Engasser :

“De l’avènement de l’hygiénisme au XVIIIe siècle à la mise en place d’un véritable marché sécuritaire à partir des années 1980″, ils retracent l’histoire de la répression de ce geste d’apparence anodine. Ils cherchent ainsi à “comprendre ce qui se joue dans la gouvernance des espaces urbains contemporains et alertent sur ces effacements, signes avant-coureurs de logiques de contrôle bien plus insidieuses, qui ne concernent plus seulement celles et ceux qui écrivent dans la ville.”

Les auteurs décryptent cette “lutte acharnée” menée dans les villes

L’un des deux auteurs, Timothée Engasser, est diplômé de l’ENSAV (École nationale supérieure d’audiovisuel) et de l’Université Toulouse II Jean-Jaurès, où il a notamment mené une thèse sur “la manière dont l’effacement des inscriptions urbaines peut être révélateur de logiques de contrôle.”

Après une licence de droit, Jean-Baptiste Barra a poursuivi son parcours universitaire à la faculté du Mirail et à l’ENSAV à Toulouse. Dans son travail de thèse, il a étudié “les systèmes de répression du graffiti dans les métropoles contemporaines”, et comment, selon lui, “le divertissement et l’esthétique dans les espaces urbains sont liés à des logiques de militarisation, de traque et d’exclusion.” Il enseigne aujourd’hui à l’ENSA (École nationale supérieure d’architecture) à Toulouse.

Tous deux sont également graffeurs et apportent donc un “regard incarné” sur les problématiques liées à l’expression créative dans l’espace urbain.

Selon eux : “L’antigraffitisme désigne tout cet ensemble d’idéologies, d’acteur·ices et de techniques déployé contre les inscriptions urbaines. Cet essai cherche à rendre visibles les stratégies et les dispositifs répressifs mis en œuvre dans le cadre de cette lutte acharnée et tente de déconstruire ses fondements politiques et autoritaires. L’antigraffitisme révèle beaucoup au sujet des villes contemporaines, de pour quoi et pour qui elles sont pensées et aménagées, et donne un aperçu du niveau et des formes du contrôle qui règne dans les espaces urbains…”

Signature dans un graf (photo archive). photo DR

Dans une logique toute autre, les collectivités se mobilisent toujours plus afin de répondre aux “dégradations liées aux tags et graffitis sur des murs extérieurs.” Telle la Communauté d’agglomération de l’Albigeois (Tarn) qui “propose aux propriétaires (résidant dans les 16 communes de l’agglo) de procéder à l’enlèvement gratuit des tags sur les murs et façades. Cette opération concerne également les bâtiments publics ou ceux des administrations diverses…”

La communauté d’agglomération de l’Albigeois “s’engage à intervenir gratuitement avec le matériel ou les techniques adaptées au support” et demande notamment en contrepartie aux personnes concernées de “déposer plainte auprès des services de police préalablement à la demande d’intervention auprès de l’agglomération (la copie du récépissé de dépôt de plainte sera exigible).” 

Une invitation à être attentifs aux enjeux de la conception de l’espace urbain

Il est intéressant de suivre la pensée des deux auteurs face à ces deux analyses qui apparaissent pour l’istant irréconciliables. Ils précisent : “Ce texte est une invitation à être attentif·ve et sensible aux signes présents dans la ville, à saisir les opportunités de lire les murs pour mieux entrevoir les batailles qui s’y jouent…”

Pas très différent, au fond, de ce qu’écrivait Paul Eluard en 1942 : “Sur mes refuges détruits / Sur mes phares écroulés / Sur les murs de mon ennuiJ’écris ton nom (…) Et par le pouvoir d’un mot / Je recommence ma vie / Je suis né pour te connaître Pour te nommer / Liberté.”

Philippe MOURET

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